Les articles de Jean-Paul Gavard-Perret

Franz Kafka : idées souvent noires.

Franz Kafka : idées souvent noires.

Kafka a vécu huit mois entre 1917 et 1918, dans la campagne de Bohême, auprès de sa sœur Ottla. Il considérait cette période comme la plus heureuse de sa vie, avant la tuberculose qui allait l’emporter. Kafka a rassemblé des notations, des remarques. Il a recopié ces fragments sur des fiches. Elles ont pour objet des thèmes philosophiques, moraux et esthétiques.

Parfois Kafka croît à un certain avenir politique ce nmoment décisif du développement humain est, si nous abandonnons notre conception du temps, un continu. Voilà pourquoi les mouvements intellectuels révolutionnaires, qui frappent de nullité tout ce qui a précédé, ont raison, car rien n’est encore arrivé.

Mais souvent nous retrouvons les idées « noires » de l’auteur. Deux exemples suffisent « :
« De nombreuses ombres de décédés ne s’occupent que de lécher les flots du fleuve des morts, parce qu’il vient de chez nous et qu’il a encore le goût salé de nos mers. Le fleuve se hérisse alors de dégoût, remonte le courant et ramène les morts à la vie. Les voilà heureux, ils chantent des louanges. » ou encore « Toutes les fautes humaines sont de l’impatience, une rupture prématurée du méthodique, une apparente enceinte de pieux autour de la chose apparente".

Chacune fait partie d’un ensemble, mais en même temps constitue une unité autonome. D’où le choix éditorial du principe aléatoire, ce que ne permet pas la publication en volume. Les fiches détachées renvoient à la totalité de l’univers de Kafka, mais elles forment aussi un voyage autour, des points possibles là où "l’impatience" selon Kafka serait la clé

Franz Kafka : idées souvent noires.
Franz Kafka, « Fiches », co-édition Nous/La Muse en circuit
Paris, 105 fiches sous coffret2024, 35 euros

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

Patti Smith telle quelle

Patti Smith telle quelle

Patti Smith telle quelle

Patti Smith & Lynn Goldsmith, « Before . Easter . After »,  Rizzoli,  2024, 296 p., 65,00 $

Des centaines d’images rarement vues de la photographe Lynn Goldsmith offrent un portrait intime de l’icône Patti Smith à un moment transformateur de sa carrière. Les images de Smith se produisant sur scène se combinent avec des photographies   des coulisses et des prises de vue saisissantes en studio.

Surgit un regard profondément personnel sur la chanteuse. Les photographies incluent l’accident qui a changé la vie de Smith lors d’une tournée en 1977 et ses conséquences, ainsi que des portraits empathiques en gros plan qui révèlent l’assurance de le chanteuse face aux normes culturelles et son sang-froid.

Ce récit visuel poignant est ponctué tout au long de poésie originale et des paroles des chansons de Smith. Ils illustrent une œuvre révolutionnaire et Lynn Goldsmith est une photographe portraitiste de célébrités. Elle a publié quinze livres sur son travail, dont un best-seller du New York Times.

Jean-Paul Gavard-Perret

Tina Barney ou l’acmé du portrait

Tina Barney ou l’acmé du portrait

Tina Barney ou l’acmé du portrait

Tina Barney : Family Ties », Le Jeu de Paume, Paris, du  28 septembre 2024 au 19 janvier 2025

J’ai passé la majeure partie de ma vie à prendre des photos » affirme Tina Barney. Mais l’occasion fut belle dès le début de sa carrière : exploiter un œil vif pour le geste étrange ou le regard errant. En plus de quatre décennies l’artiste a capturé certains des portraits plus mémorables du siècle dernier.

D’abord épouse et mère de deux enfants ; dans les années 1980 qu’elle est tombée sous le charme de la photographie avec un travail d’ogresse « Je prenais 400 photos par an pendant cette période », se souvient la photographe mais tout en ajoutant « Si j’en obtenais neuf bons, ce serait une année formidable. »

Acérées et perçantes de la haute société américaine et européenne elles sont chargées des pièges de la richesse et de la tradition Le tout en un cocktail visuel parfois impitoyable.

Sa rétrospective - première en Europe grâce au Jeu de Paume -, Barney Bne la considère comme telle mais comme un point final. Toutefois ses photographies prises principalement à l’époque du grand format de Barney capturent les familles de la côte Est au sang bleu mais elle tourne également la caméra sur elle-même dans une série de mises en scène dans sa maison où par exemple une armoire à linge de luxe devint un sujet ironique et profitable.

Néanmoins ce tournant intimiste est moins une enquête sur son propre paysage émotionnel qu’un exercice formel. « C’est comme résoudre un problème mathématique » dit-elle.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Photographe israélien : Elle dort à dos - d’autres aussi : Boris Muskevich

Photographe israélien : Elle dort à dos - d’autres aussi : Boris Muskevich

Elle dort à dos - d’autres aussi : Boris Muskevich

Comme l'écrit Danielle Mémoire  "l’amour préside au chemin – il n’y a pas de chemin où il n’y a pas d’amour".  Sur ce chemin, les photographies ont créent des mystères où se rapprocher – enfin presque…

Boris Muskevich fut d’abord un autodidacte né en 1969 à Tallinn (Estonie). Il est devenu photographe professionnel. au début des années 90.
Au début, il a travaillé comme photo-journaliste pour deux publications estoniennes, mais il s’est lancé aussi dans la photographie d'art. Depuis HaIfa (Israel) le créateur participe aussi à des expositions

Ses portraits féminins et de l'érotisme, non seulement crée un langage particulier et charnel mais sont publiés dans plusieurs magazines (Vogue par exemple).
Ses photographies élégantes et sans effets superfétatoire  laissent évoquer parfois un gouffre intérieur et son mystère.
Ses modèles engendrent bien de possibles spéculations mais loin de l’écart des vainqueurs de l’érection. Et ce, d’un glaive qui parfois liseronne plutôt qu’il ne grimpe  au ciel du lit.

Reste surtout le charme de muses qui se dorent à dos sans jouer les innocentes. Elles fomentent des rêves mais gardent toujours  les yeux ouverts quand d’autres sont aveuglés par ces miroirs. Ils sont aimantés par de telles guides « gastronomiques ».
Mais avant tout elles inspirent une forme de fronde. Il suffit de la flamme d’une telle chandelle pour réchauffer voire mettre encore le feu. Et non seulement aux atours.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Giorgio Agamben et Levinas : le détail et le tout

Giorgio Agamben et Levinas : le détail et  le tout

Giorgio Agamben et Levinas : le détail et  le tout

Giorgio Agamben fait figure de philosophe politique majeur des temps contemporains. Retour sur une œuvre où l’ordre politique est réinscrit dans l’épaisseur historique de ses origines théologiques et où les notions de « dispositif », de « commandement » et de « destitution », qui infusent largement pensées et pratiques politiques radicales contemporaines.

Ses écrits offrent deux versants : d’une part un opus majeur, « Homo Sacer », dont l’intégrale a été récemment publiée sous la forme d’un imposant volume de plus de mille trois cents page. Mais d’autre part une multiplicité d’opus mineurs s’attach à un point, une question, une notion, textes dont la vertu singulière est souvent de donner à l’apparence du détail la forme du tout. Entre autre et pas exemple sur Emmanuel Levins.

Ce der­nier livre prévu par l’auteur qui voyait son état de santé décli­ner juste avant sa mort, montre l’importance qu’Emmanuel Levi­nas avait prise dans sa phi­lo­so­phie.
Le som­maire, consti­tué de textes “bruts” ou sans ambages, montre par­fai­te­ment les mul­ti­tudes d’angles que cette pen­sée ins­pi­rait à Miguel Aben­sour.
Une pen­sée qu’il ima­gi­nait comme l’une des plus libres qui soient, y com­pris sur des ques­tions aussi déli­cates qu’inextricables qui se posaient en son temps et se posent tou­jours.

Avec Levinas l’auteur prouve que pen­ser l’utopie tient d’une « hypo­thèse  d’un  mal élé­men­tal ». Existe là une « an-archie entre méta­po­li­tique et poli­tique ».

Le pari est fait que le temps est venu de pro­po­ser une lec­ture qui se tienne à l’écart des idéo­lo­gies du jaco­bi­nisme et du léni­nisme. L’auteur en confron­tant le pro­jet jaco­bin à Spi­noza dévoile une nou­velle constel­la­tion dans laquelle le recours à la crainte le cède à l’espoir.

Ce texte a donc pour ambi­tion de révé­ler Lévi­nas capable de s’expliquer avec Saint-Just en fai­sant de la ques­tion poli­tique le lieu cri­tique par excel­lence. Son inten­tion était d’aboutir à la mise en lumière de ce qu’il appelle « l’aporie de l’héroïsme ». Et l’essayiste d’ajouter : « L’action poli­tique ne peut pas se pas­ser du cou­rage, voire de l’héroïsme, mais la forme héroïque, l’intrigue de l’héroïsme ne conduisent-elles pas sou­vent à une sor­tie du poli­tique, à la déné­ga­tion de la logique qui lui est propre ? » ». A réfléchir.

Jean-Paul Gavard-Perret

Miguel Aben­sour, Levi­nas, Sens et Tonka, coll. Sciences sociales, 2023, 352 p., 35,00 €.

Olivia-Jeanne Cohen et l'inaccessible

Olivia-Jeanne Cohen et l'inaccessible

Olivia-Jeanne Cohen et l'inaccessible

Olivia-Jeanne Cohen, Pré­sences et autres pré­sences, Edi­tions Rafaël de Sur­tis, Cordes sur Ciel, 2024 — 17,00 €.

Telle une Emily Dickin­son, Olivia-Jeanne Cohen fait entrer dans des rêves qui sortent du monde des contraintes. Ses visons nous égarent sans qu’une telle créa­trice ait besoin de débri­der ouver­te­ment ses fantasmes.

Elle invente une aube créa­trice impose aux pré­sences une joie buis­son­nière pour des noces de Cana au sein de méandres, de traits et d’ellipses. Elles deviennent vives, inci­sives, pré­gnantes là où le lan­gage pousse des ailes au lan­gage par­fois dilu­vien. L’artiste les greffe sur son omo­plate ou en plein cœur, pour rendre aux mots de toute tribu une consis­tante qu’ils n’auront jamais.

Elle sait jouer des épures et des lueurs d’incendie. Des pré­sences sont prises de ver­tige grâce aux élan­ce­ments d’une créa­trice qui met au besoin le bas en haut et la dia­blesse dans ses détails.
Chaque pré­sence est un (re)commencement, un raid dans l’inarticulé. (jusque là) Existe chez Olivia-Jane Cohen la pré­ci­sion du sen­tir, de l’émotion et ce qui est à conqué­rir le monde temps perdu. Le lec­teur peut sai­sir bien des occa­sions et soudain les pré­sences du nulle part passe au par­tout.

Jean-paul gavard-perret

Artiste juive : Annie Leibovitz de la musique à l’image

Artiste juive : Annie Leibovitz de la musique à l’image

Annie Leibovitz de la musique à l’image

Cette exposition présente des photographies légendaires d’icônes de la musique d’Annie Leibovitz. Elle  poursuivre sa passion pour le portraits en représentant des musiciens aux côtés de leurs proches ou dans des moments de réflexion.

L’œil de la créatrice chantonne tout en offrant une vision plus magique proche de la métamorphose devant des rideaux ou entre les pattes du soleil tiré à quatre épingles en noir et blanc parfois entre Amour et Psyché au moment le silence se fait en de si belles tentatives.

Jean-Paul Gavard-Perret

Annie Leibovitz, « Summer of Love », ilon Art Gallery, New York,  jusqu’au 14 septembre, 2024

Artiste : Joshua Lutz et les territoires de l’illusion.

Joshua Lutz

Joshua Lutz et les territoires de l’illusion.

Tout a commencé en Floride en écho au dicton « avec une orange tout s’arrange". Depuis longtemps  l’"Orange Blossom Trailé relie les abondantes orangeraies non loin de la côte du centre de la Floride.
Ce territoire agreste  devint une destination prisée pour ceux qui recherchaient une évasion idyllique : « Les oranges sont devenues une métaphore des douces récompenses du travail acharné, de la persévérance et de l’espoir d’un avenir meilleur » précise Lutz..

Mais , la réalité est devenue beaucoup plus difficile. Les bosquets autrefois abondants ont diminué et les hommes sont confrontés aux défis posés par les maladies, l’expansion urbaine et le changement climatique. L'arôme des fleurs a cédé la place à l’odeur des fumées et de la pourriture de la nature. Les familles enthousiastes ont dû faire face à de dures vérités. 

Certes, la communauté, le long des orangers espère en l’humanité mais l’espoir devient la proie de difficultés et parfois de détresse. Les photos récentes de Lutz (et trois textes de Saunders) montrent ceux qui sont face aux rudes réalités derrière le récit idyllique des orangeraies. Ces photos et les textes moralisateurs illustrent souvent de manière symbolique une réflexion sur l’aliénation du paysage industrialisé et les inégalités.

Joshua Lutz & George Saunders, « Orange Blossom Trail »,  Ithaca Press, 2024,  150 p., 40 E.

Une rose à Tel-Aviv de Coralie Akyama

Une rose à Tel-Aviv de Coralie Akyama

Une rose à Tel-Aviv

Un pays et sa culture peut donner des orientations et  des stimulants. Et ici Tel-Aviv crée le génie du lieu et de son « héroïne » : Soshanna (Rose en hébreu).

Une telle poésie crée une chimie qui tient d’un miracle. Sa rhétorique particulière crée de l’âme et de la vie sensorielle qui dépend de la force du lieu. Il n’est pas étranger mais accueil.

Des perspectives sensuelles s’ouvrent pour une renaissance qui soudain trouve une pulsion profondément enracinée dans Tel Aviv.

Shoshanna trouve une nouvelle direction.  Et le poème prend forme, devient matière vive où se résorbe le mal en direction d’un paradis terrestre. Il croît dans les sensations d’une telle femme. Elles sont ici  le centre et le noyau du livre.

Jean-Paul Gavard-Perret

Coralie Akiyama, « Shoshana », coll. Présences d’écriture, Editions Douro, Chaumont, 2024, 72 p., 16 E.

Artiste juif : Les voyages interstitiels de Sacha Goldberger

Artiste juif : Les voyages interstitiels de Sacha Goldberger

Les voyages interstitiels de Sacha Goldberger

Sacha Goldberger est un photographe réputé pour ses créations visuelles audacieuses où ses images jouxtent le cinéma. Toutes ses séries explorent le dédoublement de personnalité à travers des mises en scène sophistiquées qui allient esthétique rétro ou de science-fiction.

Chaque série crée une histoire complexe par le biais de scènes interconnectées qui représente un point de vue différent d’une même situation (par les femmes et les hommes par exemple) en des scènes de cinéma figée dans le temps.

Cette approche permet d’explorer les moindres détails de l’intrigue, chaque image étant soigneusement composée pour fonctionner à la fois comme une œuvre d’art autonome et comme une pièce d’un puzzle.

A ce titre « Secret Eden » est une véritable expérience cinématographique où le spectateur est invité à reconstruire le récit pièce par pièce.

Dans cette série l’érotisme se déploie dans toute sa complexité entre mystère et de la sensualité et repousse les limites du visible pour ouvrir la porte à l’imaginaire guidé par des images qui murmurent plus qu’elles ne disent Et l’artiste de s’expliquer :

«  je n’avais encore jamais vu de série érotique qui ne soit pas vulgaire, et qui correspondait à ce que moi j’imaginais être érotique. L’érotisme et l’imagination étaient étroitement liés. Il me fallait donc trouver le moyen de pouvoir montrer des choses sans les montrer, et de trouver des œuvres qui parlent d’érotisme sans être choquantes ». Si bien que l’érotisme est abordé non pour une finalité explicite, mais une exploration subtile des non-dits qui caressent les contours de l’âme plus que du corps.

Une telle démarche est onirique en un jeu de superpositions où le temps semble se dissoudre. Le créateur brouille les pistes, offrant au spectateur un voyage à travers les âges en 17 diptyques qui  révèlent 17 univers différents et  un voyage dans le temps qui renforce le caractère intemporel et universel de l’œuvre.

Jean-Paul Gavard-Perret

Sacha Golberger, "Secret Eden",  voir sur  sachagoldberger.com. Instagram: sachagoldberger