Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art contemporain et écrivain.
Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art contemporain et écrivain.
La complexité des êtres et des mondes : Carole Zalberg
Carole Zalberg, "A la trace", Intervalles Editions, 88 p.
Passant un mois près d’eux l’à Tel-Aviv l’auteure y transcrit son journal de voyage au sein d’une chronique de la rencontre et des retrouvailles. Il propose un maillage nostalgique de remémoration au sein d’une terre qui reste pour Carole Zalberg l’ « ancrage » capable de résister aux incertitudes des lendemain.
Y planent aussi ce qui est souvent tu : la présence de Tsahal et le rapport que la jeunesse mais aussi les parents entretiennent avec l’armée et des guerres jugées parfois justes parfois absurdes.
Pour beaucoup d’entre ceux qui ont cherché refuge en Israël pour se reconstruire voir leurs enfants exposés à la mort n’est pas une simple affaire et suscite bien des interrogations dont les questions ne sont pas simples.
Jean-Paul Gavard-Perret
Richard Avedon : portraits
Richard Avedon était l'un des deux photographes de mode et d’art les plus influents par ses portraits de célébrités. Et dès 1985 son livre "In the American West" est considéré comme un ouvrage fondateur de l’histoire de la photographie.
Jean-Paul Gavard-Perret
Richard Avedon : Relationships, Skira, New York, 2023, 196 p..
Emmanuel Moses : quand l'écriture garde malgré tout le dernier mot
Emmanuel Moses précise sa quête : "Quand chaque moment peut être un signe, chaque émotion, un chemin, chaque changement de lumière, une promesse ou un séisme, quand on a l’impression que la vie se livre enfin (...), il faut cesser de parler et, faux ou juste, chanter, semer les notes comme on sème des graines, et ainsi déjouer le vide, ce rongeur à qui il n’est pas question de laisser gagner la partie." Néanmoins son livre s'inscrit en faux contre cet abandon.
Reste encore une écriture qui évitant les écueils précisés par l'auteur, "suit son cours" comme disait Beckett. Ce dernier il pourrait se retrouver dans un tel recueil. Implicitement Moses lui doit beaucoup même s'il est tout autant imprégné de Lévinas.
Existe chez un tel poète quelqu'un tout occupé à demeurer immobile pour saisir, au bout de longues années d’humble contemplation, la vérité d’u lieu et surtout de l'être. Mais il y a aussi quelqu'un toujours en mouvement à la recherche d’une lumière fuyante.
Jean-Paul Gavard-Perret
Emmanuel Moses, "Étude d’éloignement", Collection Blanche, Gallimard, mai 2023, 80 p.
Son père était le philosophe franco-israélien Stéphane Mosès. Sa mère est l'artiste Liliane Klapisch (en). Il est l'arrière-petit-fils de l'écrivain allemand Heinrich Kurtzig (1865-1946).
Deux pionnières - engagement et photographie
Sonia Handelman a grandi à New York. Ses parents étaient des immigrants juifs d’Europe de l’Est. Après avoir obtenu son diplôme universitaire, elle a travaillé pendant la Seconde Guerre mondiale au Bureau d’information pour la guerre pour le US Signal Corps à Porto Rico, et au Bureau d’information pour la guerre à New York, puis dans une agence de photographie d’actualités. En 1943, elle rejoint la "Photo League".
Fille aussi d’immigrants juifs d’Europe de l’Est, Ida Wyman s'est retrouvée à New York, où elle a rejoint le club de photographie de la Walton High School. En 1943, elle a rejoint "Acme Newspictures" puis s’est lancée seule pour commencer à travailler en freelance . Elle a rejoint la "Photo League" et pour le magazine Life elle couvrit plus de 100 reportages avant d'en faire pour Fortune, Saturday Evening Post, Parade et de nombreuses autres publications.
La Monroe Gallery of Photography présente une exposition de ces deux femmes photographes pionnières. Manière aussi de mettre l'accent sur "La Photo League" - collectif de photographes actifs entre 1936 et 1951 qui estimait pouvoir changer les mauvaises conditions sociales et défendre la photographie en tant que forme. Le collectif est devenu l’un des centres de photographie les plus progressistes des USA et de nombreux membres du collectif étaient des femmes.
En 1948, elle est déclarée organisation subversive et mise sur liste noire. C'est sans doute pourquoi le travail des deux photographes est resté méconnu pendant des décennies. Ces dernières années, il y a eu un regain d’intérêt pour le collectif et ces deux femmes qui ont contribué de manière incomparable à la promotion de la photographie de rue en tant que forme d’art.
Jean-Paul Gavard-Perret
Sonia Handelman Meyer et Ida Wyman, "Deux femmes pionnières de la Photo League"Monroe Gallery of Photography, Santa Fe, Jusqu’au 18 juin 2023.
Janette Beckman portraitiste d'exception
Janette Beckman reste une femme libre et une photographe rebelle mais sa valeur première reste le respect. Avant tout photographe documentaire elle a appris l'art du portrait en allant à la National Portrait Gallery de Londres.
Fascinée par celles et ceux qu’elle rencontrait dans la rue, elle les shootait avant de devenir une incontournable photographe de la scène musicale anglaise puis new yorkaise. Cette ville ne la quitte plus, pour ses nombreuses toiles de fond, avec quelque chose de différent à chaque coin de rue.
Ses images d'instants capturé font d'elle une des photographes les plus importants de notre époque. Son travail est exposé dans des galeries du monde entier.
Inspirée par les oeuvres de Richard Avedon, Danny Lyon, Martha Cooper, Irving Penn, William Klein, Steve Shapiro, Mary Ellen Mark, Jamel Shabazz et bien d’autres elle a su trouver son propre langage même si son absolu photographique reste le portrait de Miles Davis par Irving Penn en 1986.
Selon elle la qualité nécessaire pour être un bon photographe (plus particulièrement en noir et blanc et à la lumière du jour) est de suivre sa passion et de traiter les autres avec respect pour créer une émotion et une intensité particulières en une connexion immédiate avec eux . Et ce avec un seul but : "Trouvez votre tribu, suivez votre étoile et n’abandonnez pas votre rêve."
Jean-Paul Gavard-Perret
L’hymne des femmes de Judith Martin-Razi
Les photographies de Judith Martin-Razi sont troublantes par leur simplicité mais aussi par la complexité et la diversité des êtres qu'elles dévoilent non sans humour.
Dans sa série la créatrice renvoie à l’image d’une seule et même jeune femme servant de modèle unique, et mise en scène dans des situations politiques, sociales ou charnelles.
Les codes établis se renversent ; il y a là autant une femme garçonne qu'une femme militaire, une femme enceinte qu'une religieuse et sans oublier la première d'entre elles.
Preuve que la psyché peut s’avérer être bien plus complexe que prévu. Les jeux de rôle auxquels nous nous soumettons sont ainsi suggérés là ou chaque photo ainsi traitée comme un tableau avec un "fil rouge" - en l'occurence bleu - , la modèle porte à chaque fois une bague ornée d’une grosse turquoise.
Jean-Paul Gavard-Perret
« Elle, unique et plurielle ». Photographies de Judith Martin-Razi.
Le Jewish Museum of Florida-FIU présente une rétrospective de Bonnie Latenberg : 'Lady Liberty". S'y découvrent des images puissantes de femmes issues de divers milieux, origines et cultures. Le regard que l'artiste porte sur elles est plein d'attention, d'amour et non dénué d'ironie.
Ces femmes possèdent comme point commun d'être admirées par la photographe pour leur esprit de liberté et de lutte. Elles sont chapeautées par ses représentations de la Statue de la Liberté.
Jean-Paul Gavard-Perret
Bonnie Lautenberg , "Lady Liberty", Jewish Museum of Florida, Miami, jusqu'au 26 mars 2023.
Décadrages de Tina Barney
Ce livre ramène au début de l'oeuvre de Tina Barney dans les années 1970. Elle y capture la vie de ses proches, le tout influencé par les peintures des maîtres anciens qu’elle a étudiées dans les musées tout au long de sa jeunesse. Elle porte une attention soutenue aux gestes les plus subtils de ses sujets et explorent les intimités tacites avec humour.
Elle fait parcourir espaces privés et publics (piscines, jardins, boutiques, etc. en des photographies en couleur et en noir et blanc pour capter les surfaces sensuelles des corps et des paysages dans une atmosphère d’étrangeté et de décalage qui représentent par exemple un groupe de jeunes gens gravissant des marches sous temps pluvieux
De telles moments sont mis en scène pour illuminer la vie intérieure de ses sujets, observant la répétition générationnelle des rituels familiaux tels qu’ils se déroulent dans les contextes domestiques. Le tout avec complexité et sensibilité.
Jean-Paul Gavard-Perret
Tina Barney, "The Beginning", Kasmin Gallery, New York, du 2 mars au 22 avril, 2023
Irving Penn : états du corps
"Chefs d’œuvres de la Collection MEP" montre les ensembles iconiques, déjà présents lors de la grande rétrospective Irving Penn au Grand Palais (2018). Se retrouvent ses portraits iconiques d’artistes (Picasso, Duchamp, Cocteau) et ceux de sa femme, la danseuse puis mannequin Lisa Fonssagrives-Penn.
Ces compositions firent la gloire de l’artiste. Mais réapparaissent aussi celles des enfants de la peuplade Cuzco ou les détails plus graphiques des eye-liners, mascaras, réhausseurs et autres accessoires de mode.
Un tel ensemble montre l'œuvre complexe de ce photographe d'exception qui bouscula les codes établis pour capter les corps et ce, avec des ponts avec l’histoire de la peinture : toilettes intimes des prostitués de Degas, femmes lascives de Poussin, etc..
Preuve qu'il faut parfois la photographie et le souvenir de la Genèse, pour se rappelle des possibilités qu'offre le "verbe" du corps. Et surtout celui des femmes.
Jean-Paul Gavard-Perret
Celle qui part : Aurore Clément par Peter Wyss
“Tous les livres ont une histoire. Et la vie d’un livre est toujours un roman. Celui que vous tenez entre les mains ne fait pas exception à la règle.”, écrit Aurore Clément pour évoquer ce superbe ouvrage né d’une rencontre plus ou moins étrange avec Peter Wyss, “l’une des personnes les plus secrètes qu’il m’ait été donné de rencontrer “, précise encore l’actrice.
Il l’a photographiée un matin froid d’hiver au moment où elle pleurait. Et elle d’ajouter : “J’habitais ce qui avait été le salon de maquillage de Mistinguett sur la terrasse du Moulin Rouge.
" Je savais sans vraiment le savoir que je me trouvais en un moment crucial qu’on reconnaît comme tel, longtemps après l’avoir traversé.”
Le photographe quelque temps après ce shooting matinal et presque improvisé a remis à Aurore Clément un petit livre noir qui contenait ses prises. Elle l’a gardé secrètement pendant des années comme compagnon de vie, de voyage sans pour autant l’ouvrir, dans une belle torsion de l’inconscient.
Ayant remis plus tard cet “objet de compagnie” à Mathieu Terence, un ami de longue date, elle le laissa libre de mettre des mots pour, au besoin, souligner ce que les photos ne disaient pas en totalité. L’auteur devint le porte-voix voire le double de l’actrice pour la dire.
Ce qui fut d’abord n’était pas encore tout à fait un livre, en le devenant. Et l'actrice y découvrit une clé : “donner le jour à Une femme qui sans fin s’enfuit, et accorder à cet instant de ma vie où j’ai cessé d’être pour devenir, sa destinée véritable, fatale en un sens.“
Ce fut pour elle un moyen de traverser encore bien des rives et des ponts, au bord de l’aplomb et aux confins de certaines chutes là où elle est à la fois hors-champ mais tout autant dedans. Ce qui vaut bien plus que toute autobiographie. A travers la surface lisse des images ‚glisse le visage de l’actrice dans la lumière blafarde de l'aube.
Aurore Clément est ici tout entière, "à sa proie arrachée" et avec la pudeur requise là où — au-delà du froid d’un jour dit — son pouls se perçoit juste avant qu’elle se retire à pas lents loin de la lentille de Wyss.
Jean-Paul Gavard-Perret