Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art contemporain et écrivain.
Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art contemporain et écrivain.
Quand le petit avait déjà tout d’un grand - Saul Leiter
Saul Leiter, « Carte Postale », Galerie FIFTY ONE, Anvers, jusqu’ai 1er février 2025
Les œuvres de Saul Leiter exposées à Anvers sont choisies afin de comprendre ses œuvres de jeunesse. Elles furent à l’origine imprimées par le photographe lui-même sur le format carte postale.
Ces prises révèlent le portrait de sa vie quotidienne autant dans les rues animées de New York que dans des intérieurs intimes. Leiter transformait déja des moments ordinaires en expressions poétiques.
Cela rappelle que le photographe commença sa carrière en tant que peintre. Mais cette sensibilité picturale se retrouve à la photographie tout au long de sa vie.
Ses prises ne sont pas des instantanés. Elles sont parfaitement composées dans les jeux d’ombre et de lumière.
Jean-Paul Gavard-Perret
César Chouraqui et la sensibilité
César Chouraqui est le fils du réalisateur Elie Chouraqui. Il a deux soeurs, Margaux et Sarah. Dès l’enfance il baigne dans un univers artistique, aux côté de son père mais aussi de sa mère qui est scénariste. Acteur et musicien il est devenu un photographe qui aime orchestrer des scènes « et savoir où je vais’ dit-il. C’est là pour lui toute la magie de la photographie par rapport à la vidéo. « Saisir une scène banale au bon moment, peut produire des résultats saisissants et, à elle seule, raconter une histoire » précise-t-il.
Polyvalent et audacieux, il incarne une nouvelle génération de créateurs pluridisciplinaires.
Tour à tour comédien, réalisateur, photographe, producteur et musicien, au-delà de ces titres, il est avant tout un conteur moderne dans ses racines une sensibilité particulière pour raconter des histoires visuelles afin de capter la fugacité du moment avec une précision et une justesse désarmante.
Passionné par la photographie en noir et blanc, il est également fasciné par l’exploration des palettes de couleurs vives, jouant avec les contrastes pour créer des univers visuels qui allient simplicité et profondeur influencé par Richard Avedon, Nan Goldin, Irving Penn, Anton Corbjin. Le photographe s’impose souvent des limites jusqu’à ce qu’il ressente ne plus.
Jean-Paul Gavard-Perret
Instagram : @cesarchouraqui
Filiations selon Orly Castel-Bloom
Orly Castel-Bloom, « Biotope », traduit de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, Actes Sud, 2356 p.22,50 €
« Biotope » est une fiction-chronique. Celui d’un vertige, d’un naufrage ou encore « d’une chute libre immobile ». Cette épopée ratée ) romanesque marque une nouvelle résurrection d’Orly Castel Bloom. Ce maître de la littérature israélienne publia le best-seller « Dolly City ». Son nouveau roman devient une vision remasterisée du premier.
Ici le héros (Joseph Shimel) devait être, via sa thèse, l’élu et spécialiste de la gastronomie dans l’œuvre de Balzac. Mais ne parvenant pas au sacre de ce travail, il est exclu du département de français de l’université de Tel-Aviv.
Il se retrouve dans son appartement monacal dont la chambre avec vue surplombe le terminal des bus et un centre de distribution de méthadone. Il devient le voyeur de premier plan sur les aller et venue de « sublimes » SDF sublimes.
Ce perdant magnifique survit bien que mal accompagné de son chien qu’il balade et travaille en aidant des migrants aisés originaires de France pour leurs démarches administratives Une telle routine est renversé en la projetant dans une spirale abyssal lors d’un héritage imprévu : la propriété en Normandie de sa grand-mère et la rencontre d’un aigrefin aimable à priori.
Grace à cette entremise d’une vie gagnée/perdue l’auteur nommé « Kafka de Tel Aviv » lie ainsi la filiation de l'oeuvre, entre ramifications, feuillaisons, filiations, fructifications, réensemencements. Tous ces éléments suffisent à dire et écrire la complexité de la vie et du monde.
Jean-Paul Gavard-Perret
Kafka a vécu huit mois entre 1917 et 1918, dans la campagne de Bohême, auprès de sa sœur Ottla. Il considérait cette période comme la plus heureuse de sa vie, avant la tuberculose qui allait l’emporter. Kafka a rassemblé des notations, des remarques. Il a recopié ces fragments sur des fiches. Elles ont pour objet des thèmes philosophiques, moraux et esthétiques.
Parfois Kafka croît à un certain avenir politique ce nmoment décisif du développement humain est, si nous abandonnons notre conception du temps, un continu. Voilà pourquoi les mouvements intellectuels révolutionnaires, qui frappent de nullité tout ce qui a précédé, ont raison, car rien n’est encore arrivé.
Mais souvent nous retrouvons les idées « noires » de l’auteur. Deux exemples suffisent « :
« De nombreuses ombres de décédés ne s’occupent que de lécher les flots du fleuve des morts, parce qu’il vient de chez nous et qu’il a encore le goût salé de nos mers. Le fleuve se hérisse alors de dégoût, remonte le courant et ramène les morts à la vie. Les voilà heureux, ils chantent des louanges. » ou encore « Toutes les fautes humaines sont de l’impatience, une rupture prématurée du méthodique, une apparente enceinte de pieux autour de la chose apparente".
Chacune fait partie d’un ensemble, mais en même temps constitue une unité autonome. D’où le choix éditorial du principe aléatoire, ce que ne permet pas la publication en volume. Les fiches détachées renvoient à la totalité de l’univers de Kafka, mais elles forment aussi un voyage autour, des points possibles là où "l’impatience" selon Kafka serait la clé
Franz Kafka : idées souvent noires.
Franz Kafka, « Fiches », co-édition Nous/La Muse en circuit
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Jean-Paul Gavard-Perret
Patti Smith telle quelle
Patti Smith & Lynn Goldsmith, « Before . Easter . After », Rizzoli, 2024, 296 p., 65,00 $
Des centaines d’images rarement vues de la photographe Lynn Goldsmith offrent un portrait intime de l’icône Patti Smith à un moment transformateur de sa carrière. Les images de Smith se produisant sur scène se combinent avec des photographies des coulisses et des prises de vue saisissantes en studio.
Surgit un regard profondément personnel sur la chanteuse. Les photographies incluent l’accident qui a changé la vie de Smith lors d’une tournée en 1977 et ses conséquences, ainsi que des portraits empathiques en gros plan qui révèlent l’assurance de le chanteuse face aux normes culturelles et son sang-froid.
Ce récit visuel poignant est ponctué tout au long de poésie originale et des paroles des chansons de Smith. Ils illustrent une œuvre révolutionnaire et Lynn Goldsmith est une photographe portraitiste de célébrités. Elle a publié quinze livres sur son travail, dont un best-seller du New York Times.
Jean-Paul Gavard-Perret
Tina Barney ou l’acmé du portrait
Tina Barney : Family Ties », Le Jeu de Paume, Paris, du 28 septembre 2024 au 19 janvier 2025
J’ai passé la majeure partie de ma vie à prendre des photos » affirme Tina Barney. Mais l’occasion fut belle dès le début de sa carrière : exploiter un œil vif pour le geste étrange ou le regard errant. En plus de quatre décennies l’artiste a capturé certains des portraits plus mémorables du siècle dernier.
D’abord épouse et mère de deux enfants ; dans les années 1980 qu’elle est tombée sous le charme de la photographie avec un travail d’ogresse « Je prenais 400 photos par an pendant cette période », se souvient la photographe mais tout en ajoutant « Si j’en obtenais neuf bons, ce serait une année formidable. »
Acérées et perçantes de la haute société américaine et européenne elles sont chargées des pièges de la richesse et de la tradition Le tout en un cocktail visuel parfois impitoyable.
Sa rétrospective - première en Europe grâce au Jeu de Paume -, Barney Bne la considère comme telle mais comme un point final. Toutefois ses photographies prises principalement à l’époque du grand format de Barney capturent les familles de la côte Est au sang bleu mais elle tourne également la caméra sur elle-même dans une série de mises en scène dans sa maison où par exemple une armoire à linge de luxe devint un sujet ironique et profitable.
Néanmoins ce tournant intimiste est moins une enquête sur son propre paysage émotionnel qu’un exercice formel. « C’est comme résoudre un problème mathématique » dit-elle.
Jean-Paul Gavard-Perret
Elle dort à dos - d’autres aussi : Boris Muskevich
Comme l'écrit Danielle Mémoire "l’amour préside au chemin – il n’y a pas de chemin où il n’y a pas d’amour". Sur ce chemin, les photographies ont créent des mystères où se rapprocher – enfin presque…
Boris Muskevich fut d’abord un autodidacte né en 1969 à Tallinn (Estonie). Il est devenu photographe professionnel. au début des années 90.
Au début, il a travaillé comme photo-journaliste pour deux publications estoniennes, mais il s’est lancé aussi dans la photographie d'art. Depuis HaIfa (Israel) le créateur participe aussi à des expositions
Ses portraits féminins et de l'érotisme, non seulement crée un langage particulier et charnel mais sont publiés dans plusieurs magazines (Vogue par exemple).
Ses photographies élégantes et sans effets superfétatoire laissent évoquer parfois un gouffre intérieur et son mystère.
Ses modèles engendrent bien de possibles spéculations mais loin de l’écart des vainqueurs de l’érection. Et ce, d’un glaive qui parfois liseronne plutôt qu’il ne grimpe au ciel du lit.
Reste surtout le charme de muses qui se dorent à dos sans jouer les innocentes. Elles fomentent des rêves mais gardent toujours les yeux ouverts quand d’autres sont aveuglés par ces miroirs. Ils sont aimantés par de telles guides « gastronomiques ».
Mais avant tout elles inspirent une forme de fronde. Il suffit de la flamme d’une telle chandelle pour réchauffer voire mettre encore le feu. Et non seulement aux atours.
Jean-Paul Gavard-Perret
Le pari est fait que le temps est venu de proposer une lecture qui se tienne à l’écart des idéologies du jacobinisme et du léninisme. L’auteur en confrontant le projet jacobin à Spinoza dévoile une nouvelle constellation dans laquelle le recours à la crainte le cède à l’espoir.
Olivia-Jeanne Cohen et l'inaccessible
Olivia-Jeanne Cohen, Présences et autres présences, Editions Rafaël de Surtis, Cordes sur Ciel, 2024 — 17,00 €.
Telle une Emily Dickinson, Olivia-Jeanne Cohen fait entrer dans des rêves qui sortent du monde des contraintes. Ses visons nous égarent sans qu’une telle créatrice ait besoin de débrider ouvertement ses fantasmes.
Elle invente une aube créatrice impose aux présences une joie buissonnière pour des noces de Cana au sein de méandres, de traits et d’ellipses. Elles deviennent vives, incisives, prégnantes là où le langage pousse des ailes au langage parfois diluvien. L’artiste les greffe sur son omoplate ou en plein cœur, pour rendre aux mots de toute tribu une consistante qu’ils n’auront jamais.
Elle sait jouer des épures et des lueurs d’incendie. Des présences sont prises de vertige grâce aux élancements d’une créatrice qui met au besoin le bas en haut et la diablesse dans ses détails.
Chaque présence est un (re)commencement, un raid dans l’inarticulé. (jusque là) Existe chez Olivia-Jane Cohen la précision du sentir, de l’émotion et ce qui est à conquérir le monde temps perdu. Le lecteur peut saisir bien des occasions et soudain les présences du nulle part passe au partout.
Jean-paul gavard-perret
Annie Leibovitz de la musique à l’image
Cette exposition présente des photographies légendaires d’icônes de la musique d’Annie Leibovitz. Elle poursuivre sa passion pour le portraits en représentant des musiciens aux côtés de leurs proches ou dans des moments de réflexion.
L’œil de la créatrice chantonne tout en offrant une vision plus magique proche de la métamorphose devant des rideaux ou entre les pattes du soleil tiré à quatre épingles en noir et blanc parfois entre Amour et Psyché au moment le silence se fait en de si belles tentatives.
Jean-Paul Gavard-Perret
Annie Leibovitz, « Summer of Love », ilon Art Gallery, New York, jusqu’au 14 septembre, 2024