Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art contemporain et écrivain.
Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art contemporain et écrivain.
David Goodis, « Godlis Miami », Réel-Art, Press réédition 2025, 128p, 40 €
David Goodis est connu pour ses photographies de la scène punk de New York des années 1970,. Prises à la lumière naturelle avec de longues expositions ses photographies en noir et blanc granuleuses devinrent emblématiques de groupes punk dans son premier livre, « History Is Made At Night ». Pendant près de 50 ans il reste un des photographes de rue les plus célèbres en cadrant le quotidiens avec un humour et parfois le sens du pathétique.
Les photos de ce livre sont le résultat d’un voyage de dix jours à Miami Beach, en Floride puis lors d’un retour en voulant photographie (disait-il) « un Disneyland juif. Adieu neige. Bonjour les noix de coco ». Il photographia les retraités juifs sur les vastes plages qui passaient leurs journées sur des transats et des fauteuils sous les palmiers .Les photographies sont remplies d’humour lors de moments ensoleillés et d’instants surréalistes.. La zone qu’il a photographiée en 1974 est maintenant la tristement célèbre mais il avait découvrit là sa voie photographique et son style.
Jean-Paul Gavard-Perret
Aaron Rothman : che sierra, sierra
Sierra d’Aaron Rothman, « Sierra », édition The Eriskay Collection, 2025, 112 p., 40 E .
Aaron Rothman au cœur des USA sauvages et plus particulièrement dans de la Sierra Nevada réinvente la beauté de la nature mais sous l’oppression des changements climatiques.
Certes, l’idée du sublime charrie forcément de tels paysages. la simplicité du beau, la majesté de la nature baignée où tout regard peut générer une expérience quasi mystique.
Mais désormais Rothman ressent qu’à l’émerveillement du Nevada une forme de peur et d’angoisse justifiées apparaissent
Le photographe face à la Sierra Nevada ressent moins une forme nouvelle du sublime qu’une une éco-anxiété. Sous ce gâchis de l’humanité les paysages délavés sont pris dans la fumée et se couvrent d’un voile dont les couleurs échappent à la réalité : le ciel devient ocre et la végétation violette.
Les montagnes sont incendiées, leurs horizons sont effacés par le ciel enfumé et les paysages semblent de plus en plus vulnérables. L’atmosphère menaçante est le fruit d’un apocalypse trottant menu. Mais Aaron Rothman devient lanceur d’alertes et engage une réflexion sur le rapport visuel au règne naturel et sur la manière dont celui-ci influe sur son devenir :
Les nouvelles couleurs de la Sierra modifient mémoire et cognition là où la réflexion du photographe traverse son œuvre depuis maintenant deux décennies. Le fameux paysage « Americana » - plus particulièrement de l’Ouest - perd l’héritage vivant des imaginaires car ce paysage se meurt. Le livre se veut un appel à l’aide tant le désert avance.
Jean-Paul Gavard-Perret
Steve Shapiro : les uns et les autres
Steve Schapiro, Then and Now, Textes de Steve Schapiro, interview avec le photographe par Matthias Harder, Hatje Cantz Editions, 2025, 272 p., 60 €
Steve Schapiro (né en 1934 à Brooklyn) était et est toujours bien placé a photographié ceux qui l'ont fascinés politiciens ou artistes. Robert Kennedy, Johnny Depp - " incroyablement photogénique" dit-il, Martin Luther King Jr., Mohammed Ali, Barbara Streisand, Marlon Brando, David Bowie, Jodie Foster, et Robert de Niro et Woody Allen.
Il a saisi tous et toutes qui font partie de notre mémoire visuelle collective.
À côté de son travail avec les stars, Schapiro a suivi les plus grands bouleversements politiques et sociaux des années 60 et 70. Ces images ont également gagné le statut d’icônes intemporelles.
Ce volume rassemble plus de cinquante ans de travail dont des clichés inédits. Dans le texte qui les accompagne, Schapiro explique comment elles ont été créées, décrivant son expérience de manière vivante et humoristique.
Jean-Paul Gavard-Perret
Sacha Golberger, « Solitude augmentée » place de la Concorde à Paris du 12 septembre au 12 octobre 202, « Daydreams , , Galerie XII – 14 rue des Jardins Saint-Paul Paris IVe, du 17 septembre au 29 octobre 2025
Le photographe inclassable, Sacha Goldberger présente en même temps deux projets très différents mais qui épousent sa démarche. Pour lui prendre des photographies c’est ouvrir un espace de doute, de flottement entre réel et imaginaire.
Avec « Solitude augmentée » il donne des visage à des personnes âgées isolées qui complètent leur solitude par des amis imaginaires. Ils ont tous une histoire, leur histoire. C’est souvent une histoire d’amour avec l’autre qui s’en va Maos avec humour, tendresse l’artiste rappelle que le virtuel ne remplace pas la chaleur d’une présence humaine.
Dans « Daydreams », il explore une rêverie éveillée aux confins de l’Ouest américain. Déserts saturés de lumière, motels oubliés, apparitions énigmatiques : l’artiste y confronte l’imagerie mythologique de la Californie à ses propres fantasmes intimes.
Travailler sur l’imaginaire en photos .pour le créateur cela revient à « forcer» des idées du cinéma et de la littérature, Dans cet univers des personnages et des paysages ont une histoire comme ceux de la série « Twin Peaks » de David Lynch.
Reste toujours que les narrations du photographe restent ouvertes, énigmatiques. Le tout avec la douceur d’une rêverie.
Jean-Paul Gavard-Perret
Sarah Waltz et l'art de la danse
Sarah Waltz & Guets, Sasha Waltz et Jochen Sandig, Hatje Cantz, Berlin, |344 p. ,| € 58.00
En tant que chorégraphe, Sasha Waltz a profondément influencé la danse contemporaine. Son travail se caractérise par une fusion unique de danse, d'architecture et d'art visuel. Aujourd'hui, le travail de Sasha Waltz & Guests est publié sous forme de livre.
Depuis plus de 30 ans, la compagnie de danse Sasha Waltz & Guests fait une tournée internationale, présentant des chorégraphies contemporaines et des opéras chorégraphiés à travers le monde, développant des projets de "dialogue" spécifiques aux sites, et réalisant des projets artistiques et sociaux.
Comme le décrit Sarah Waltz, "un ensemble est une archive vivante." Mais comment un ensemble se souvient-il ? Au-delà de la simple chronologie des événements, le livre met en avant un aspect du souvenir qui garantit la répétabilité de la danse : la notation.
Les "partitions" de Sasha Waltz consistent en des termes fascinants, chacun désignant des figures chorégraphiques individuelles. Le livre reprend 65 de ces "codes" sous la forme d'un cabinet de curiosités encyclopédique, les extrayant de leur contexte original. De plus à travers des liens avec l'histoire de l'art et des commentaires de contributeurs invités offrant des perspectives variées.
Jean-Paul Gavard-Perret
Helmut Newton et la métamorphose géographique de la photographie
Newton, "Riviera", Helmut Newton Foundation, Museum of Photography, Berlin jusqu’au 15 février 2026
Au début des années 80, Helmut Newton et son épouse quittèrent Paris pour Monte-Carlo. Ce déménagement marqua non seulement un tournant dans leur vie privée, mais aussi un changement radical dans la perspective photographique de Newton. Exit l’élégance naturelle du chic parisien.
Newton braque son objectif sur la vie mondaine glamour de la Riviera, mais l’amour de Newton pour la Côte d’Azur est plus profond encore. Il achète une petite maison en pierre près de Ramatuelle, non loin de Saint-Tropez. Elle devient un lieu de villégiature et un espace de création, comme en témoignent les images en noir et blanc prises pour Vogue US et les photographies aux couleurs éclatantes pour le calendrier Pentax
L’exposition de Berlin présente un large éventail de tirages anciens, dont des tirages vintage uniques et des tirages de collection. Sur la Riviera Newton a exploré ses trois genres phares : la mode, le portrait et le nu,. La lumière particulière de la région joua un rôle central.
Jean-Paul Gavard-Perret
Annie Leibovitz : visions intimes ou générales
Cette exposition, récemment présente un ensemble d’œuvres—paysages, natures mortes et portraits—réalisées au cours des deux dernières décennies par Annie Leibowitz.Elle fait suite à son intronisation à la prestigieuse Académie des Beaux-Arts de Paris en 2024.
« Stream of Consciousness » présente à la fois des images bien connues d’écrivains, de performeurs et d’artistes ainsi que des images qui ont rarement été exposées auparavant. Sont montrées paysages, intérieurs;, objets historiquesn( chapeau haut de forme d’Abraham Lincoln, télévision criblée de balles d’Elvis Presley. Ces juxtapositions montrent la diversité des sujets traités par sa capacité à équilibrer l’intimité et la théâtralité.
Son œil guidé par son intuition et son sens de la narration trouvent un équilibre entre intimité et mise en scène, entre le délicatement personnel et le grandiose universel. Ses photographies ne sont pas ancrées au seul moment de leur création : "Je reviens sans cesse à ces images'" dit Annie Leibovitz.
Anès Varda et la mer
Agnès Varda, "Je suis curieuse. Point", Musée Soulages, Rodez, du 28 juin 2025 au 4 janvier 2026
"La Méditerranée, l’Atlantique, le flux et le reflux, le détail ou l’immensité, forment la clef de voûte de l’esprit de Varda." écrit Benoît Decron conservateur et directeur musée Soulages, Rodez. Et pour lui Agnès Varda est une figure majeure du cinéma et de la photographie,. Le musée Soulages a décidé de lui rendre un hommage.
Après la pratique de la photographie mise au service du TNP (Théâtre National Populaire) et de la troupe de Jean Vilar pour le festival d’Avignon, c’est donc le cinéma qui occupa le plus clair de son temps : proche d’Alain Resnais, de Chris Marker, de William Klein et bien sûr de Jacques Demy, qui deviendra son compagnon, Agnès Varda partage son appétence sociologique et imaginative au sein de ce petit groupe dit de la « Rive Gauche ». Ensemble, ils se distinguent du groupe de la « Rive Droite » portée par les jeunes cinéastes et critiques des Cahiers du Cinéma dont Godard, Rivette, Rohmer et Truffaut.
Les oeuvres d’Agnès Varda traitent des sujets politiques, de société, de revendications féministes. Son univers apparaît varié et abondant, propre à être décliné avec originalité. De plus, le projet d’exposition du musée Soulages joue sur le lien amical entre Pierre et Colette Soulages et Agnès Varda à Sète, lien qu’elle immortalisa d’une part dans "Les plages d’Agnès" puis dans "Agnès de ci de là"
L’exposition associer le fonds photographique d’Agnès Varda autour du tournage de "La Pointe Courte" et d'autres photographies couleur inédites de Noirmoutier et de ses cabanes de pêcheurs. La photographie singulièrement muette des premiers temps, se prolongera avec de l’écriture visuelle ou non, des objets… Au delà du cinéma, elle représente une part de Varda, un trait majeur de son modus operandi.
Jean-Paul Gavard-Perret
Guillaume Erner : révisions
Guillaume Erner, « Judéobsessions », Flammarion, 2025, 300 pages, 20 €.
Guillaume Erner (présentateur des matins de France Culture) explore la mémoire familiale, du témoignage de la judéisté ,en évoquant des ouvrages récents de Gérard Ejnès
(Comment le dire avec circoncision ?) ou de Michel Persitz (Juif de personne).
L’auteur a pu trouver chez lui une citation qui devient sa clé : « Je suis installé sur le même banc que Marc Bloch, parmi ces Français juifs qui ne se sentent et ne s’affirment jamais aussi pleinement juifs que lorsque cela dérange quelqu’un ». A ce titre Ernrer explore aussi , son histoire maternelle et paternelle dans le monde juif dont le peuple est un nombre dérisoire de l’humanité et au nom du seul état juif de la planète qui capte actuellement l’attention médiatique.
Dans ce livre Erner s’attaque contre le système négationniste et montre que l’antisémitisme et la haine d’Israël fleurissent à nouveau en France et s’enflamment toujours plus dans le monde arabo-musuluman.
L’auteur montre aussi que le problème de l’antisémitisme est de nature métaphysique et théologique et souligne aussi que certaines visions veulent effacer le judaïsme de l’égalité, l’universalisme et l’abstraction. Son analyse a le mérite de remettre un monde à sa place et de réviser tant d'idées médiatiques et politiques.
Jean-Paul Gavard-Perret
L'entrée dans l'horreur et l'impensable
Christoph Kreutzmüller & Tal Bruttmann, "Auschwitz. L'image comme source", Seil editions, Aout 2025, 160 p., 23 E..
Tal Bruttmann est l’un des meilleurs spécialistes de la Shoah et de l’antisémitisme en France au xxe siècle.
Il est notamment l’auteur de La Logique des bourreaux . Christoph Kreutzmüller est spécialiste de l’histoire de la société allemande sous le régime nazi et a publié plusieurs livres remarqués dont cet album.
Les deux auteurs ont retrouvé les photos de deux photographes SS qui ont réalisé plusieurs centaines de clichés montrant leur arrivée sur la rampe de la mi-mai au début du mois d’août 1944, des dizaines de milliers de Juifs hongrois ont été déportés à Auschwitz.
Ces images, rassemblées dans un album, constituent la principale source visuelle sur la
« solution finale ». Elles ont modelé la manière dont on se représente la Shoah, faisant parfois oublier que leur objectif premier était de témoigner du bon fonctionnement de l’entreprise d’extermination. A la série de reconstitution des séries qui composent l’album permet de leur donner bien plus de sens, mais elle n’offre elle aussi qu’une vision limitée.
Elle ne montre que ce qui se déroule entre l’arrivée sur la rampe d’un convoi et la lisière des chambres à gaz, réduisant ainsi la « solution finale » à un processus relativement simple : des bourreaux, les SS, et leurs victimes juives, en un site qui paraît totalement isolé du reste du monde. C’est oublier qu’autour du terrible face-à-face gravitaient d’autres individus, visibles sur certaines photographies. Mais la présence laisse deviner l’anticipation, la préparation du crime et son inscription dans un monde glaçant par son caractère quasi ordinaire. Et cela reste toujours aussi terrorisant et impensable.
Jean_Paul Gavard-Perret