Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art contemporain et écrivain.
Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art contemporain et écrivain.
Fractures selon Nathalie Azoulai,
Nathalie Azoulai, « Toutes les vies de Théo », P.O.L editeur, Paris, 2025, 272 p., 20 E..
Mené comme une romance mélo ou cruel, ce roman aborde le sujet des unions mixtes et des amours qui font alliance contre le mal mais qu’il rattrape.
Après Les Manifestations (2016), Nathalie Azoulai explore les méandres de la judéité française. Le lecteur regardent la caravane passer en ne sachant plus quoi penser car l’histoire serpente entre des amitiés et des amours où elle est mise à rude épreuve, notamment par temps de guerre et de crise.
Théo aime Léa d’origine juive. Leur différence scelle leur destin comme une alliance nécessaire. Élevé dans la culpabilité de la Shoah, Théo choisit aussi Léa pour apurer la dette et être un mensch (en yiddish, un type bien) à ses propres yeux.
Vingt-cinq ans plus tard, leur union vient buter contre la situation politique française et internationale, l’attaque du 7 octobre, Gaza et ses innombrables morts, l’inflexibilité israélienne, les agressions antisémites.
Théo ne comprend plus Léa : une ligne de fracture explose. Le héros tombe amoureux de Maya, une libanaise qui lui fait découvrir un Orient sauvage et blessé. Il bascule de l’autre côté du conflit et fait l’expérience d’une altérité. Les identités s’affirment en s’opposant et le lecteur est pris en untelle quadrature.
Jean-Paul Gavard-Perret
Erieta Attali : être au monde
Née à Tel Aviv, Erieta Attali c’est construite seule mais son œuvre incarne le passé et le présent, l'ombre et la lumière. S’engageant très jeune dans l’art de la photographie elle se façonne par la lumière méditerranéenne, l’ombre de bien des architectures (ruines ou lieux religieux) et des paysages. Les deux restent toujours pour elle indissociables.
Son œuvre traduit la quête de l’intemporalité et s beauté par un tel don pour de la lumière et l’ombre d’où jaillit l’âme des lieux. Le tout dans un exercice de lenteur et de l’observation pour percer l’invisible, et le silence. Son lien avec la musique (le jazz) est devenu une source d’inspiration. Chick Corea la décida à devenir photographe. Et depuis son lien entre les paysages, les lieux lointains reste son essence sans égale.
Utiliser la photographie sur pellicule grand format n’est pas aussi instantané que le numérique. C’est pourquoi de la première elle garde son, dit-elle, « intentionnalité ». Et elle s’élève contre toute violence qui « finissent par créer de l’apathie plutôt que de susciter une réaction. Ce n’est pas tant de la colère qu’un sentiment de frustration face à leur impact. » ajoute-t-elle.
Souvent son appareil grand format se concentre sur des séries de paysages et ce, d’une dévotion sans compromis. Pour elle encore, ce qui la touche profondément peut ne pas plaire à quelqu’un d’autre. Elle voyage constamment à travers le monde pour explorer les lieux qu’elle choisit par ses photographies de nuit, toujours en extérieur. Le tout pout inspiré les générations futures et laissé un impact significatif.
Jean-Paul Gavard-Perret
Website : www.erietaattali.com
Instagram : @erieta_attali
Après « L’idée du manque » et en même temps que « Trente-huit variations sur le mot juif », ce « brevet d’innocence » met en évidence méditations et choses vues et éprouvées. L’essentiel de sa quête reste l’oubli et la mémoire, le deuil et le souvenir, le manque et la survivance au sein d’une réflexion implicite sur l’Histoire et la judéité.
Tout l’héritage douloureux du poète transparaît de manière sibylline. Il n’écrit que l’essentiel et parfois préfère le silence à la dilution du logos puisque. Il sait que la question reste sans réponse et les concepts d’aucun recours Et si penser pour lui n’empêche pas de mourir, sa situation passagère et vulnérable fait jouer sur des oppositions entre présent et passé, entre constat et hypothèse.
Celui qui fut toutefois sauvé des catastrophes de la Shoah demeure sauvé par l’écriture. Elle ouvre l’inquiétant abyme des profondeurs bestiales et de l’Histoire mais laisse entrevoir un peu de soleil dans l’eau froide de l’obscur passé jusqu’à maintenant. L’innocent mettre là son brevet. Il se la donne. Nous aussi..
Jean-Paul Gavard-Perret
Jacques Sojcher, « Brevet d’innocence », Illustrations d’Arié Mandelbaum., Fata Morgana , Fontfroide le Haut, 2025, 64 p., 16 €
Elégies objectivistes de Charles Reznikoff
Charles Reznikoff, « Derniers poèmes. Les Juifs en Babylonie. Obiter dicta’, Editions Unes, Nice, 2025, 80 p, 16 E.
Cet ensemble des derniers poèmes de Charles complété par son essai Obiter dicta (traduit par François Heusbourg), propose l’état des lieux figure majeure du mouvement objectiviste.
Une vache pour le labour et un âne pour la route ; une chèvre pour la traite et une agnelle pour la tonte. Une poule pour les oeufs et un dattier pour ses fruits ; un lit où s'asseoir et une table où manger proposent de minces flux migratoires des sortes d’ élégies documentaires propres à l’école de poésie new-yorkaise et son mixage du document à la poésie.
L’auteure le développe en « faits » et théorie. Ce qui n’empêche pas à l’utopie de tenter de mettre à mal les formes classiques de la poésie comme la douleur du peuple juif longtemps exterminés. Reznikoff en a conscience dans trop se faire d’illusion sur un ordre pacifié : tohu-bohu, désordre, fusions s’agitent en tout sens. Cela relativise le monde et sa vision sur l’atmosphérique et l’élémentaire comme sur le culturel et l’idéologie des sociétés humaines
Dans sa poésie aussi concrète que spéculative Reznikoff n’a aussi n’a pas émis son dernier mot, ni celui de l’Histoire. Mais elle fait bouger les lignes. Le poète ose avancer dans l’inconnu mais il n’est pas pour autant somnambule ou amnésique et il n’oublie jamais ce qui lui manque. S’il est parfois séparé de lui même dans l’esprit d’une telle poétique, il n’est pas seul. Son travail - parce que ce n’est pas un simple labeur - est une autre vie au cœur de sa propre vie : il tenta de saisir après tout le secret de ses doubles.
Jean-paul gavard-perret.
Quand le petit avait déjà tout d’un grand - Saul Leiter
Saul Leiter, « Carte Postale », Galerie FIFTY ONE, Anvers, jusqu’ai 1er février 2025
Les œuvres de Saul Leiter exposées à Anvers sont choisies afin de comprendre ses œuvres de jeunesse. Elles furent à l’origine imprimées par le photographe lui-même sur le format carte postale.
Ces prises révèlent le portrait de sa vie quotidienne autant dans les rues animées de New York que dans des intérieurs intimes. Leiter transformait déja des moments ordinaires en expressions poétiques.
Cela rappelle que le photographe commença sa carrière en tant que peintre. Mais cette sensibilité picturale se retrouve à la photographie tout au long de sa vie.
Ses prises ne sont pas des instantanés. Elles sont parfaitement composées dans les jeux d’ombre et de lumière.
Jean-Paul Gavard-Perret
César Chouraqui et la sensibilité
César Chouraqui est le fils du réalisateur Elie Chouraqui. Il a deux soeurs, Margaux et Sarah. Dès l’enfance il baigne dans un univers artistique, aux côté de son père mais aussi de sa mère qui est scénariste. Acteur et musicien il est devenu un photographe qui aime orchestrer des scènes « et savoir où je vais’ dit-il. C’est là pour lui toute la magie de la photographie par rapport à la vidéo. « Saisir une scène banale au bon moment, peut produire des résultats saisissants et, à elle seule, raconter une histoire » précise-t-il.
Polyvalent et audacieux, il incarne une nouvelle génération de créateurs pluridisciplinaires.
Tour à tour comédien, réalisateur, photographe, producteur et musicien, au-delà de ces titres, il est avant tout un conteur moderne dans ses racines une sensibilité particulière pour raconter des histoires visuelles afin de capter la fugacité du moment avec une précision et une justesse désarmante.
Passionné par la photographie en noir et blanc, il est également fasciné par l’exploration des palettes de couleurs vives, jouant avec les contrastes pour créer des univers visuels qui allient simplicité et profondeur influencé par Richard Avedon, Nan Goldin, Irving Penn, Anton Corbjin. Le photographe s’impose souvent des limites jusqu’à ce qu’il ressente ne plus.
Jean-Paul Gavard-Perret
Instagram : @cesarchouraqui
Filiations selon Orly Castel-Bloom
Orly Castel-Bloom, « Biotope », traduit de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, Actes Sud, 2356 p.22,50 €
« Biotope » est une fiction-chronique. Celui d’un vertige, d’un naufrage ou encore « d’une chute libre immobile ». Cette épopée ratée ) romanesque marque une nouvelle résurrection d’Orly Castel Bloom. Ce maître de la littérature israélienne publia le best-seller « Dolly City ». Son nouveau roman devient une vision remasterisée du premier.
Ici le héros (Joseph Shimel) devait être, via sa thèse, l’élu et spécialiste de la gastronomie dans l’œuvre de Balzac. Mais ne parvenant pas au sacre de ce travail, il est exclu du département de français de l’université de Tel-Aviv.
Il se retrouve dans son appartement monacal dont la chambre avec vue surplombe le terminal des bus et un centre de distribution de méthadone. Il devient le voyeur de premier plan sur les aller et venue de « sublimes » SDF sublimes.
Ce perdant magnifique survit bien que mal accompagné de son chien qu’il balade et travaille en aidant des migrants aisés originaires de France pour leurs démarches administratives Une telle routine est renversé en la projetant dans une spirale abyssal lors d’un héritage imprévu : la propriété en Normandie de sa grand-mère et la rencontre d’un aigrefin aimable à priori.
Grace à cette entremise d’une vie gagnée/perdue l’auteur nommé « Kafka de Tel Aviv » lie ainsi la filiation de l'oeuvre, entre ramifications, feuillaisons, filiations, fructifications, réensemencements. Tous ces éléments suffisent à dire et écrire la complexité de la vie et du monde.
Jean-Paul Gavard-Perret
Kafka a vécu huit mois entre 1917 et 1918, dans la campagne de Bohême, auprès de sa sœur Ottla. Il considérait cette période comme la plus heureuse de sa vie, avant la tuberculose qui allait l’emporter. Kafka a rassemblé des notations, des remarques. Il a recopié ces fragments sur des fiches. Elles ont pour objet des thèmes philosophiques, moraux et esthétiques.
Parfois Kafka croît à un certain avenir politique ce nmoment décisif du développement humain est, si nous abandonnons notre conception du temps, un continu. Voilà pourquoi les mouvements intellectuels révolutionnaires, qui frappent de nullité tout ce qui a précédé, ont raison, car rien n’est encore arrivé.
Mais souvent nous retrouvons les idées « noires » de l’auteur. Deux exemples suffisent « :
« De nombreuses ombres de décédés ne s’occupent que de lécher les flots du fleuve des morts, parce qu’il vient de chez nous et qu’il a encore le goût salé de nos mers. Le fleuve se hérisse alors de dégoût, remonte le courant et ramène les morts à la vie. Les voilà heureux, ils chantent des louanges. » ou encore « Toutes les fautes humaines sont de l’impatience, une rupture prématurée du méthodique, une apparente enceinte de pieux autour de la chose apparente".
Chacune fait partie d’un ensemble, mais en même temps constitue une unité autonome. D’où le choix éditorial du principe aléatoire, ce que ne permet pas la publication en volume. Les fiches détachées renvoient à la totalité de l’univers de Kafka, mais elles forment aussi un voyage autour, des points possibles là où "l’impatience" selon Kafka serait la clé
Franz Kafka : idées souvent noires.
Franz Kafka, « Fiches », co-édition Nous/La Muse en circuit
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Jean-Paul Gavard-Perret
Patti Smith telle quelle
Patti Smith & Lynn Goldsmith, « Before . Easter . After », Rizzoli, 2024, 296 p., 65,00 $
Des centaines d’images rarement vues de la photographe Lynn Goldsmith offrent un portrait intime de l’icône Patti Smith à un moment transformateur de sa carrière. Les images de Smith se produisant sur scène se combinent avec des photographies des coulisses et des prises de vue saisissantes en studio.
Surgit un regard profondément personnel sur la chanteuse. Les photographies incluent l’accident qui a changé la vie de Smith lors d’une tournée en 1977 et ses conséquences, ainsi que des portraits empathiques en gros plan qui révèlent l’assurance de le chanteuse face aux normes culturelles et son sang-froid.
Ce récit visuel poignant est ponctué tout au long de poésie originale et des paroles des chansons de Smith. Ils illustrent une œuvre révolutionnaire et Lynn Goldsmith est une photographe portraitiste de célébrités. Elle a publié quinze livres sur son travail, dont un best-seller du New York Times.
Jean-Paul Gavard-Perret
Tina Barney ou l’acmé du portrait
Tina Barney : Family Ties », Le Jeu de Paume, Paris, du 28 septembre 2024 au 19 janvier 2025
J’ai passé la majeure partie de ma vie à prendre des photos » affirme Tina Barney. Mais l’occasion fut belle dès le début de sa carrière : exploiter un œil vif pour le geste étrange ou le regard errant. En plus de quatre décennies l’artiste a capturé certains des portraits plus mémorables du siècle dernier.
D’abord épouse et mère de deux enfants ; dans les années 1980 qu’elle est tombée sous le charme de la photographie avec un travail d’ogresse « Je prenais 400 photos par an pendant cette période », se souvient la photographe mais tout en ajoutant « Si j’en obtenais neuf bons, ce serait une année formidable. »
Acérées et perçantes de la haute société américaine et européenne elles sont chargées des pièges de la richesse et de la tradition Le tout en un cocktail visuel parfois impitoyable.
Sa rétrospective - première en Europe grâce au Jeu de Paume -, Barney Bne la considère comme telle mais comme un point final. Toutefois ses photographies prises principalement à l’époque du grand format de Barney capturent les familles de la côte Est au sang bleu mais elle tourne également la caméra sur elle-même dans une série de mises en scène dans sa maison où par exemple une armoire à linge de luxe devint un sujet ironique et profitable.
Néanmoins ce tournant intimiste est moins une enquête sur son propre paysage émotionnel qu’un exercice formel. « C’est comme résoudre un problème mathématique » dit-elle.
Jean-Paul Gavard-Perret