
60 milliards de shekels pour la Défense : le dilemme israélien entre réarmement et faillite économique
Un budget militaire qui explose, un débat politique brûlant
« Je conseillerais de nous retirer de Gaza immédiatement pour ne pas gaspiller des munitions dont nous aurons peut-être besoin demain face à une menace réelle contre Tel-Aviv. »
L’avertissement du général de brigade (réserviste) Ram Aminoach, ancien chef de la division économique de Tsahal, résonne comme un signal d’alarme.
Au cœur du débat : une demande de 60 milliards de shekels supplémentaires émanant de l’appareil de défense israélien, pour réapprovisionner les stocks d’intercepteurs, de missiles et de munitions, gravement entamés par la guerre contre le Hamas à Gaza et l’opération
« Les chars de Gédéon », mais aussi par l’offensive menée contre l’Iran.
Le ministère des Finances, en face, campe sur ses positions. Il refuse de débloquer cette somme colossale, jugeant la situation budgétaire du pays dangereusement précaire.
Ce bras de fer entre militaires et économistes menace à la fois la sécurité immédiate d’Israël et sa stabilité économique de long terme.
Un budget hors normes : entre improvisation militaire et chaos fiscal
Pour Yoel Naveh, ancien économiste en chef du ministère des Finances, cette surenchère budgétaire est inédite et insoutenable :
« Cela entraînera une crise économique majeure. » Il rappelle que même dans les périodes tendues, les hausses budgétaires restaient dans une fourchette de 5 à 10 milliards de shekels. « 60 milliards, c’est un tremblement de terre. »
Même Aminoach abonde : « Nous n’avons jamais vu un tel chiffre demandé pour une seule année. » Et d’ajouter que la guerre contre l’Iran et l’opération prolongée à Gaza ont fait exploser les prévisions initiales, établies à 135 milliards de shekels pour 2025.
La guerre prolongée, les manœuvres imprévues comme « les chars de Gédéon » et les ambitions avortées de rallonger le service militaire ou de recruter les jeunes Haredim, ont porté la facture totale à près de 195 milliards, soit 60 milliards au-delà du budget prévu.
Reconstituer les stocks ou contenir le déficit ?
Le différend dépasse les chiffres : il pose une question stratégique cruciale. Faut-il reconstituer à tout prix les stocks militaires, ou préserver la capacité économique de l’État à se projeter dans l’avenir ? Pour Naveh, la réponse est claire : « Il est impossible de gérer le budget de l’État dans une logique d’urgence permanente. Oui, nous avons neutralisé plusieurs menaces — l’Iran, le Liban — mais le prix à payer pour se prémunir de menaces hypothétiques, comme un coup d’État en Jordanie ou en Égypte, est trop élevé. »
Aminoach rétorque : « Peut-on acheter des munitions dix minutes après avoir appris un coup d’État chez nos voisins ? La réponse est non. C’est maintenant qu’il faut prévoir. » Son appel à la prudence s’accompagne pourtant d’une remise en question tactique de la poursuite de la guerre à Gaza : « Quitter Gaza immédiatement est un impératif, car nous y gaspillons des munitions dont nous pourrions avoir besoin pour défendre Tel-Aviv. »
Une guerre vaine et un gaspillage stratégique ?
La critique devient politique. « Vous avez 100 % raison, nous devons quitter Gaza maintenant et mettre un terme au gaspillage insensé de cette guerre délirante », affirme Yoel Naveh avec une rare virulence. « Elle n’apporte aucune production, cause des pertes économiques massives et des pertes humaines inutiles. »
Le ministère des Finances, lui, reste sur sa ligne : toute dépense militaire doit désormais être justifiée au centime près, et toute stratégie redéfinie en fonction de la menace réelle, et non supposée. Autrement dit, l’État hébreu ne peut plus naviguer à vue entre guerres ouvertes, fronts simultanés et imprévus géopolitiques.
Une armée sans limite face à un État exsangue
« L’appareil de défense fonctionne depuis un an et neuf mois sans aucune restriction, avec un chèque en blanc », déplore Naveh. Or, même dans une démocratie mobilisée, l’armée ne peut pas faire abstraction des limites budgétaires. « Le budget de la défense ne vit pas en vase clos. L’État doit continuer à fonctionner, et ce déficit est désormais un gouffre. »
Face à une population épuisée par la guerre, un coût de la vie qui flambe, et des infrastructures publiques sous-financées, le dilemme entre défense et économie devient existentiel. Le choix entre réarmer les batteries de Tsahal ou garantir l’avenir économique d’Israël ne peut plus être différé.
Le gouvernement devra trancher. Mais une chose est certaine : chaque shekel dépensé aujourd’hui sur un missile est un shekel en moins pour les écoles, les hôpitaux, les retraites. L’arbitrage n’est plus seulement technique ou militaire — il est moral, social et politique.
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