Sdé Teman, le 'Guantánamo israélien' : torture, viols et démission fracassante à Tsahal

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Affaire Sdé Teman : quand l'armée israélienne se déchire entre justice et impunité.

Le camp de détention militaire de Sdé Teman cache un système de torture systématique : 35 morts, des viols collectifs, des corps écrasés sous les chenilles de chars. Quand la procureure militaire divulgue les preuves vidéo pour contrer 'la propagande mensongère', elle est forcée de démissionner. Pendant ce temps, des ministres d'extrême droite prennent d'assaut la base pour libérer les soldats accusés, qualifiés de 'héros'. L'affaire Sdé Teman révèle une armée israélienne déchirée entre justice et impunité absolue."

Le camp de détention militaire devient l'épicentre d'une crise institutionnelle majeure après la démission de la procureure générale militaire et les accusations de torture systématique

Le camp de Sdé Teman, situé dans le désert du Néguev à environ 30 kilomètres de la bande de Gaza, est devenu le théâtre d'un séisme judiciaire et politique sans précédent en Israël. Surnommé le "Guantánamo israélien", ce centre de détention militaire utilisé depuis le 7 octobre 2023 cristallise aujourd'hui un affrontement majeur entre l'appareil judiciaire militaire et la droite nationaliste israélienne.

La révolte des soldats : "Vous nous avez traités comme des criminels"

Plusieurs soldats de réserve de la "Force 100" sont poursuivis pour avoir infligé de graves violences, incluant des actes de torture et d'abus sexuels, à des prisonniers palestiniens. Une vidéo de surveillance diffusée en août 2024 montre des soldats isolant un détenu allongé face contre terre, puis l'entourant de boucliers anti-émeutes pour dissimuler la scène pendant qu'ils commettaient les sévices présumés. Le détenu a ensuite été transporté pour recevoir des soins pour des blessures graves, incluant des traces de viol avec des objets contondants.

Mais cette semaine, l'un des inculpés, identifié seulement comme "A.", a pris la parole devant les médias, le visage couvert, pour dénoncer ce qu'il décrit comme une trahison : « Nous en avons assez de rester silencieux. Le 7 octobre, nous sommes sortis sans réfléchir à deux fois. Nous n'avons pas demandé de crédit, nous savions qu'il y avait un pays à défendre. Au lieu d'une reconnaissance nous avons reçu des accusations. Vous ne nous avez pas laissé répondre ; vous avez fait un procès de terrain comme si vous décidiez qui est coupable. P
eut-être que vous avez essayé de nous briser, mais vous avez oublié que nous sommes une Force 100. »

Le suicide de Liel Shoham : une affaire instrumentalisée

Le 8 juillet 2025, quelques semaines avant l'éclatement public du scandale, le caporal Liel Shoham, 20 ans, soldat du 12e bataillon de la brigade Golani, a été retrouvé mort à la base de Sdé Teman. Il avait été interrogé par la police militaire durant plusieurs heures avant la découverte de son corps sans vie.

L'armée a déclaré « qu'il n'a pas été interrogé pour des faits présumés de viols contre des Palestiniens, mais pour d'autres raisons », sans préciser lesquelles. Tsahal a ajouté : « Une enquête a été ouverte. Ses conclusions seront transmises à la procureure générale militaire Yifat Tomer-Yerushalmi, pour examen. L'armée israélienne partage la douleur de la famille et continuera de la soutenir. »

Liel laisse derrière lui ses parents, Efrat et Yizhar, dévastés, ainsi que trois frères et sœurs. Ses obsèques ont eu lieu au cimetière militaire de Rehovot.

Les circonstances exactes de son interrogatoire et les raisons de sa mort restent floues. Cependant, l'extrême droite israélienne a rapidement instrumentalisé cette tragédie pour attaquer la procureure militaire et le système judiciaire, suggérant que les enquêtes sur Sdé Teman « poussent les soldats au suicide » et alimentant un narratif de « trahison » des soldats par les autorités. Aucune preuve vérifiable n'établit toutefois de lien de causalité direct entre les actions de Yifat Tomer-Yerushalmi et le suicide du jeune soldat.

La démission qui ébranle Tsahal

Le vendredi 31 octobre 2025, la générale de division Yifat Tomer-Yerushalmi, procureure générale militaire de Tsahal, a présenté sa démission au chef d'état-major, le lieutenant-général Eyal Zamir.
Dans sa lettre, elle reconnaît avoir « approuvé la divulgation de documents aux médias afin de contrer la propagande mensongère dirigée contre les autorités militaires chargées de l'application de la loi ».

« J'assume l'entière responsabilité de toutes les données qui ont été transmises aux médias depuis l'intérieur de l'unité », a-t-elle ajouté, précisant que « c'est aussi de cette responsabilité que découle ma décision de mettre fin à mon mandat de procureure générale militaire ».

Cette admission a déclenché une tempête politique. Selon les avocats des soldats accusés, si la plus haute autorité judiciaire militaire a elle-même violé la loi en divulguant des preuves confidentielles, "tout le procès est entaché". L'organisation Honenu, qui défend plusieurs soldats inculpés, envisage désormais de demander l'abandon pur et simple des poursuites.

Le ministre de la Défense, Israel Katz, avait annoncé avant la démission qu'il empêcherait Tomer-Yerushalmi de reprendre ses fonctions, citant « la gravité des soupçons et la sensibilité de la fonction ». Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a quant à lui déclaré : « Le prochain sur la liste est le procureur général chargé des affaires pénales. »

Un système de torture institutionnalisé

Les témoignages et rapports d'organisations de droits humains dressent un tableau glaçant de Sdé Teman. Depuis décembre 2023, la "loi sur la détention des combattants illégaux", votée par la Knesset, permet à Tsahal de détenir des individus sans le statut de prisonnier de guerre et donc sans les protections afférentes. Cette législation autorise l'armée israélienne à emprisonner des Palestiniens pendant 45 jours sans mandat d'arrêt.

Les conditions de détention

Selon une enquête de CNN publiée en mai 2024, basée sur les témoignages de trois employés israéliens du camp devenus lanceurs d'alerte :

  • Les détenus sont maintenus menottés et les yeux bandés en permanence, même pendant les soins médicaux et lors de leurs besoins naturels
  • Ils doivent rester assis en silence, sans pouvoir bouger ni regarder sous leur bandeau, sous peine de violences
  • Les menottes prolongées ont causé des blessures graves nécessitant des amputations dans certains cas
  • L'hôpital de campagne est devenu "un paradis pour les internes", des procédures médicales étant parfois réalisées sans anesthésie par du personnel sous-qualifié
  • L'air est saturé de l'odeur de blessures négligées laissées à pourrir

Les chiffres de l'horreur

Environ 4 000 Palestiniens de Gaza ont été détenus à Sdé Teman depuis octobre 2023. Sur ce total :

  • 35 détenus sont morts dans le camp ou dans des hôpitaux où ils ont été transférés
  • 70 % ont été détenus pour "enquêtes supplémentaires" sans charges formelles
  • 1 200 ont été rapatriés à Gaza sans jamais avoir été jugés

En octobre 2025, dans le cadre du cessez-le-feu, Israël a restitué 135 corps de Palestiniens détenus à Sdé Teman. Selon les médecins de Khan Younès qui ont pratiqué des examens médico-légaux, les corps présentaient « des signes de coups de feu à bout portant et des corps écrasés sous les chenilles de chars israéliens », indiquant selon eux « des actes de meurtre, d'exécutions sommaires et de tortures systématiques ».

Les pratiques de torture documentées

Les témoignages recueillis par Amnesty International, B'Tselem, HaMoked et d'autres organisations révèlent :

  • Violences sexuelles systématiques : utilisation de bâtons métalliques insérés dans l'anus des détenus sous interrogatoire
  • Électrocution : chaises électrifiées utilisées pendant les interrogatoires
  • Viols collectifs : commis par des soldats hommes et femmes, y compris sur des enfants
  • Positions de stress prolongées : les détenus sont forcés de lever les mains, parfois attachés à une clôture, pendant plus d'une heure
  • Privation sensorielle : lumières allumées 24h/24, interdiction de parler ou de bouger
  • Malnutrition délibérée et déni de soins médicaux appropriés

Ibrahim Salem, détenu pendant 52 jours sans charges et libéré début août 2024, a rapporté : « La plupart des prisonniers sortiront avec des blessures rectales [causées par les viols collectifs]. » Un médecin ayant examiné un détenu victime d'abus sexuels a déclaré : « Je ne pouvais pas croire qu'un garde de prison israélien puisse faire une telle chose. »

L'assaut de l'extrême droite

Le 29 juillet 2024, lorsque la police militaire a tenté d'arrêter neuf soldats soupçonnés d'abus graves, des dizaines de militants d'extrême droite, incluant des députés comme Zvi Sukkot et des ministres comme Amihai Eliyahu, ont pris d'assaut la base militaire de Sdé Teman pendant plusieurs heures pour exiger la libération des suspects.

Zvi Sukkot, député du parti National Union-Tkuma et habitant de la colonie de Yitzhar (l'une des plus violentes de Cisjordanie), s'est même infiltré dans le camp et a menacé un gradé. Des affrontements ont éclaté entre les manifestants et les forces de l'ordre militaires.

Le ministre des Finances Bezalel Smotrich a qualifié les soldats accusés de viol de « héros, pas de criminels » sur les réseaux sociaux. Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, a écrit directement : « La procureure générale militaire, retire tes mains des réservistes ! »

Une crise institutionnelle sans précédent

Des députés de droite dénoncent aujourd'hui un "procès politique" contre ceux qui ont "défendu Israël dans les heures les plus sombres". Le vice-Premier ministre et ministre de la Justice Yariv Levin a déclaré que cette affaire coïncide avec le passage de lois visant à diviser les pouvoirs du procureur général, affirmant : « Nous sommes témoins d'une transformation historique. »

De leur côté, des voix plus modérées et les organisations de défense des droits humains appellent à maintenir l'indépendance de la justice militaire et à fermer définitivement Sdé Teman. En mai 2024, cinq organisations israéliennes majeures - l'Association pour les droits civiques en Israël (ACRI), Médecins pour les droits humains, HaMoked, le Comité public contre la torture et Gisha - ont déposé une pétition devant la Cour suprême pour exiger la fermeture du centre de détention.

En septembre 2024, la Cour suprême a rendu un jugement ordonnant au gouvernement de se conformer pleinement à ses obligations légales concernant les conditions de détention. Cependant, le camp continue d'opérer, et les témoignages d'abus persistent.

Un précédent dangereux

Yuli Novak, directrice exécutive de B'Tselem, a déclaré en août 2024 : « Le camp de détention de Sdé Teman n'est que la partie émergée de l'iceberg. Alors que nous parlons, des milliers de Palestiniens sont détenus dans des conditions inhumaines et soumis à des abus incessants. Certains ne savent pas pourquoi ils ont été arrêtés ; beaucoup seront libérés sans procès. C'est la définition d'un camp de torture : un endroit où, une fois entré - peu importe qui vous êtes ou pourquoi vous avez été arrêté - vous serez soumis à une douleur et à des souffrances sévères, délibérées et incessantes. »

Entre sentiment d'abandon chez les réservistes, perte de confiance dans les institutions, et défense acharnée de pratiques qualifiées de torture par les experts internationaux, l'affaire Sdé Teman révèle une armée israélienne déchirée entre son image d'armée "la plus morale du monde" et les réalités d'un conflit où les lignes rouges semblent s'être effacées.

La démission de Yifat Tomer-Yerushalmi marque peut-être un tournant : non pas vers plus de justice, mais vers une normalisation de l'impunité pour des actes qui, selon les standards internationaux, constituent des crimes de guerre.

Cette affaire soulève des questions fondamentales sur l'état de droit en Israël, la torture systématique dans les centres de détention militaires, et l'instrumentalisation politique de la justice dans un contexte de guerre prolongée.

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