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Macron joue la carte palestinienne pour éviter la guerre civile : enquête sur un pari à haut risque

Macron joue la carte palestinienne pour éviter la guerre civile : enquête sur un pari à haut risque

« J’ai senti le sang couler, puis le silence autour de moi. » La voix du rav Élie Lemmel tremble encore lorsqu’il évoque la chaise qui lui a explosé au visage, vendredi, à la terrasse d’un café de Neuilly-sur-Seine. Quelques jours plus tôt, l’homme de foi avait déjà essuyé des coups de poing à Deauville. Deux agressions en six jours, comme un condensé d’une haine antijuive qui ne se cache plus  .

Depuis la guerre de Gaza, la parole antisémite s’est libérée à grande vitesse : le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) parle d’une hausse de 1 000 % des incidents dès le 7 octobre 2023, soit l’équivalent de trois années d’actes en trois mois  . L’an dernier, 1 570 faits antijuifs ont encore été comptabilisés par le ministère de l’Intérieur – 62 % de toutes les violences religieuses du pays  . Gérald Darmanin a réagi en déployant des soldats Sentinelle devant chaque synagogue, mais, de l’aveu d’un préfet, « l’odeur de kérosène reste dans l’air »  .

En 2023 sous la lumière blafarde d’un matin d’octobre des étoiles de David bleues surgissent sur une soixantaine de façades parisiennes. L’alerte antisémite explose… avant de bifurquer : l’enquête révèle que deux Moldaves, payés depuis l’étranger, ont agi sur commande d’un réseau de désinformation pro-russe visant à semer la panique communautaire  . Ce n’est pas la haine « endogène » qui peignait, mais une fabrique d’images destinée à attiser la braise française.

Le 31 mai 2025, la palette change : vert fluo sur deux synagogues, un restaurant et le Mur des Justes. Quarante-huit heures plus tard, trois hommes sont arrêtés dans les Alpes-Maritimes : trois ressortissants serbes que la police soupçonne d’avoir agi « pour le compte d’une puissance étrangère »  . Encore une fois, la violence prend l’accent d’ailleurs, mais sa cible est bien française.

Entre ces deux dates, la vie juive s’est rétrécie au pas cadencé des militaires Sentinelle : +1 000 % d’incidents antisémites dans le seul mois qui a suivi le 7 octobre 2023, selon le SPCJ  . Au total, 1 676 actes recensés pour l’année — quatre fois plus qu’en 2022  . Et la courbe ne redescend pas : la police note encore +11 % d’infractions racistes et antireligieuses en 2024

 

Vivre juif, mode sursis

Devant la majeure partie des écoles confessionnelles, les vigiles privés doublent désormais les militaires. « Nous vivons avec un réflexe de bunker », confie Rachel, directrice d’un collège juif de Créteil : parents et élèves passent sous portique ; les sorties scolaires se limitent à des « espaces sécurisés ». L’état d’esprit ? « Nous aimons la France, mais nous vérifions toujours la dernière porte de secours. »

Beaucoup songent au départ. L’Agence juive a enregistré 1 200 demandes d’alya entre octobre 2023 et décembre 2023, soit +430 % par rapport à l’année précédente  . « Je ne veux pas élever mes enfants dans un pays où ma kippa est un risque », dit David, cardiologue à Levallois, qui boucle ses démarches pour Tel-Aviv.
D’autres, comme la famille Hassoun, choisissent de rester : « Partir, c’est renoncer ; rester, c’est témoigner que la France ne sera pas livrée aux antisémites. »

Une routine de peur sous escorte militaire

La vie juive ne disparaît pas : elle se replie, sous escorte. Les offices de shabbat à la synagogue de la Victoire se tiennent derrière trois rangées de grilles anti-voiture-bélier. Dans les boucheries cacher, on baisse le rideau dès 18 h ; les restaurants du Marais ont recruté des maîtres-chiens. La scène est devenue familière : une foule de fidèles sort de l’office, téléphone sur mode silencieux, casquettes rabattues sur la kippa.

L’État, lui, multiplie les messages d’assurance. Mais l’addition privée est lourde : selon le Fonds social juif unifié, la sécurité représente désormais 18 % du budget d’une école ; nombre d’établissements repoussent des activités pédagogiques faute de moyens.

La carte palestinienne : diplomatie ou pare-feu ?

Le 30 mai 2025, depuis Singapour, Emmanuel Macron répète que la reconnaissance d’un État palestinien n’est « pas simplement un devoir moral, mais une exigence politique »  .
Derrière la déclaration, plusieurs conseillers admettent qu’une partie de la motivation est intérieure : désamorcer la colère qui couve dans les quartiers après la guerre de Gaza.
Le pari est audacieux : calmer une rue sans attiser une autre, alors que Tel-Aviv fulmine et que l’opposition française crie au « cadeau fait aux extrémistes ».

Paris pose d’ailleurs ses conditions : démilitarisation du Hamas, réforme de l’Autorité palestinienne. En coulisses, l’Élysée temporise jusqu’à la conférence de New York mi-juin, signe qu’on joue la montre plus que la rupture.

Plusieurs conseillers reconnaissent que « la rue française s’invite dans chaque conseil de défense » : un geste diplomatique à l’international devient remède préventif pour les cités  . L’Élysée conditionne toutefois ce saut à la démilitarisation du Hamas – preuve que la manœuvre reste suspendue à de nombreux écueils.

Les communautés juives, elles, sont  perplexes : « Si l’on croit désarmer la haine intérieure par un acte diplomatique, on se trompe de cible », avertit Yonathan Arfi, président du CRIF, qui réclame une application ferme des lois existantes et des sanctions rapides contre les auteurs d’agressions.

Le fil du rasoir

La France n’est pas à feu et à sang, mais la ligne rouge s’est rapprochée. Les chiffres nationaux ramènent à l’archipel : 1 % des communes concentre plus de 80 % de la violence  . Pourtant, la répétition des signaux – agressions, tags, propos haineux – grignote la confiance.
Le mot « guerre civile », banalisé en studio, se charge d’une performativité : plus il est martelé, plus il semble plausible.

Pour les 480 000 Juifs que compte encore la France, l’heure est à la lucidité, pas à la panique. Mais ils savent qu’une société se fissure d’abord dans les mots avant de se déchirer dans les rues. Au lendemain de l’agression du rav Lemmel, le message d’une rescapée de la rue des Rosiers a circulé sur WhatsApp : « On peut changer de trottoir ; on ne changera pas de mémoire. »

Ce souvenir obstiné fonde la résistance : garder la tête haute, même sous un casque de chantier républicain, et rappeler qu’une démocratie se juge à la sécurité de ses minorités. La France est prévenue : la kippa peut encore se porter, mais elle pèse plus lourd chaque matin.

Entre fantasme et lucidité : où se situe la ligne de crête ?

Le pire n’est pas toujours sûr. Les services de renseignement esquissent trois trajectoires : l’enchaînement d’éruptions ponctuelles, un apaisement partiel par la voie palestinienne, ou la convergence des colères en cas de choc économique. La première est la plus probable, la troisième encore marginale mais redoutée.
Ce que l’on peut affirmer, c’est que la France demeure un État de droit solide ; aucune faction armée ne contrôle de territoire. En revanche, la bataille du récit est bel et bien engagée.
Plus le mot « guerre civile » est martelé, plus il devient plausible — et c’est peut-être là que se joue le basculement.

L'urgence d’un discours de vérité

Tant que l’antisémitisme flambe et que l’on convoque la guerre civile comme argument de campagne, la démocratie se fragilise. Le cas Lemmel agit comme un miroir grossissant : il révèle ce qui se disait à demi-voix et oblige la société à se regarder sans fard.
La digue, pour l’heure, repose sur trois piliers : des institutions qui tiennent, des chiffres qui refusent l’hyperbole, et une opinion publique encore majoritairement attachée à la coexistence.

Rien n’est écrit : le fracas menace, mais il est temps, justement, de replacer le factuel au cœur du débat et de nommer clairement la haine qui vise les Juifs aujourd’hui — avant qu’elle ne change de cible demain.

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