Crier toujours jusqu'à la fin du monde.
Benjamin Fondane, auteur encore peu connu de la communauté juive, malgré une oeuvre importante, qui mérite aujourd'hui toute notre attention.
A l'heure où justement la transmission de la mémoire est un enjeu important pour les générations futures, la sienne s'inscrit de façon originale à travers des textes écrits pendant les heures les plus noires de sa vie.
Une volonté de témoignage qui se révèle exceptionnelle tant par sa structure que par son contenu surtout quand celui-ci s'avère être post-mortem.
Son approche de la condition du juif à l'époque de la Shoah, nous en rapproche de facon intelligible, émotionnelle et nous permet d'être en prise directe avec une réalité individuelle, souvent occultée au profit de la collective.
Ses textes sobres, où le rythme atypique se rapproche souvent plus de la confidence que d'une prose classique, nous invite à l'écoute, nous surprend aussi, lorsque des expressions un peu crues, traduisent des scènes de la vie, de notre vie.
Plus particulièrement dans "préface en prose"qui aurait pu d'ailleurs être titré "préface en prose" tant le jeu de miroir entre l'auteur et l'auditeur est frappant, où la demande d'identification se fait insistante et nécessaire pour comprendre la condition de l'homme.
Michel Carassou éditeur des oeuvres de Fondane le résume parfaitement dans ces termes: " Je fus saisi par la force des images ancrées dans le charnel, et éprouvais le sentiment d'entendre une voix unique puissante, celle d'un homme qui, sans se soucier d'effets littéraires, criait sa condition d'homme."
Claudine Douillet
Né en 1898 à Iasi (Roumanie), a d'abord été un écrivain en langue roumaine ; il a participé aux cercles d'avant garde de Bucarest avant de s'installer à Paris en 1923.
Il a poursuivi là, en marge des groupes et des écoles, son oeuvre de poète et de critique. Devenu le disciple du philosophe russe Léon Chestov, Benjamin Fondane s'est employé à faire connaître sa pensée et à en développer les implications dans le domaine poétique.
Pendant la guerre, il collabora à plusieurs publications clandestines; dénoncé par la Gestapo, parce que juif, il fut déporté à Auschwitz et gazé à Birkenau le 3 octobre 1944.
En 1996 les oeuvres poétiques ont été rééditées.
Cette oeuvre forte et originale n'a pas la place qu'elle mérite.
Ardente et lisible, cette poésie ne peut qu'envoûter le lecteur.
Ce roumain qui a écrit en français a trouvé une langue puissante, un ton prophétique, une chaleur communicative.
Ce montage le présentera sous divers aspects,
depuis son enfance roumaine jusqu'a sa mort
à Birkenau, poète injustement méconnu.
C'est à vous que je parle , hommes des antipodes,
Je parle d'homme à homme, avec le peu en moi qui demeure
de l'homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang est sur les routes, puisse-t-il.
Puisse-t-il ne pas crier vengeance!
L'halalli est donné, les bêtes sont traquées,
laissez -moi
vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage.
il reste peu d'intelligible !
jour viendra, c'est sûr, de la soif, apaisée,nous serons au-delà du souvenir, la mort aura parachevée les travaux de la haine,je serais un bouquet d'orties sous vos pieds,alors, eh bien, sachez que j'avais un visage comme vous. Une bouche qui priait comme vous.Quand une poussière entrait, ou bien un songe,dans l'oeil, cet oeil pleurait un peu de sel.
Et quand une épine mauvaise égratignait ma peau,il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre!
Certes, tout comme vous j'étais cruel,j'avais soif de tendresse, de puissance,d'or, de plaisir et de douleur.Tout comme vous j'étais méchant et angoissé solide dans la paix, ivre dans la victoire,et titubant, hagard, à l'heure de l'échec!Oui, j'ai été un homme comme les autres hommes,nourri de pain, de rêve, de désespoir.
Eh oui,j'ai aimé, pleuré, j'ai haï, j'ai souffert,j'ai acheté des fleurs et je n'ai pas toujours payé mon terme. Le dimanche j'allais à la campagne pêcher, sous l'oeil de Dieu, des poissons irréels,je me baignais dans la rivière qui chantait dans les jonc et je mangeais des frites.
Le soir. Aprés, aprés, je rentrais me coucher fatigué,le coeur las et plein de solitude,plein de pitié pour l'homme,cherchant en vain sur un ventre de femme cette paix impossible que nous avions perdue naguère, dans un grand verger où fleurissait au centre, l'arbre de vie...
J'ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins
et je n'ai rien compris au monde et je n'ai rien compris à
l'homme, bien qu'il me soit souvent arrivé d'affirmer le contraire.
Et quand la mort, la mort est venue, peut-être ai-je prétendu savoir ce qu'elle était mais vrai,
je puis vous le dire à cette heure,
elle est entrée en mes yeux étonnés, étonnés de si peu comprendre-avez-vous mieux compris que moi ?
Benjamin Fondane (1942)
Archives Alliance 1999
Ecoutez , respirez ses textes, une véritable conscience dans un monde inconscient.
Préface en prose