Au commencement...Je m'accroche pour ne pas entrer dans ce monde, entre réalité et illusions, le flou est dérangeant, dangereux aussi.

Je m'accroche comme à une bouée de sauvetage à mon esprit cartésien, je résiste comme je peux, mais une force extérieure me pousse à tourner les pages ,les unes après les autres.
J'ai lâché ma bouée et me laisse porter par les flots des mots et accepte d'entrer dans cet univers bouleversant.

C'est l'histoire qui m'accroche, me prend par la main, et m'entraîne dans un univers digne d'un film de Spielberg. Je ne lâche plus le livre, j'ai hâte de savoir si j'ai rêvé ou non.

Kaléidoscope ne se présente pas comme un livre de mémoire, car il est loin, très loin des lectures classiques, des témoignages que nous avons tous lu, au moins, une fois dans notre vie.

L'auteur va plus loin, et se pose la question que sont devenues ces âmes disparues ?
Si elles avaient vécues, si ces "arbres généalogiques n'avaient pas été arrachés" qu'auraient-elles pu apporter de plus au monde ? 

Claudine Douillet : En lisant votre livre, j'ai eu cette impression, en tout cas au début que vous vouliez donner une réponse à l'énigme de la Shoah, comme apporté un sens à ce qui reste une tragédie sans précédent 

Eytan Ellenberg : En réalité, ce livre est une réponse, du moins une tentative de réponse à cette question qui m'obsède:  que sont devenues ces six millions d'âmes?
C'est une idée qui me hante depuis bien longtemps et je ne suis certainement pas le seul à me poser cette question.
On parle beaucoup de nos morts, comment ils sont morts, le nombre de morts et c'est évidemment très important de perpétuer cette mémoire.
Mais, toutes ces personnes là, avaient une vie avant, alors comment auraient-elles pu contribuer au monde si elles n'avaient pas été assassinées ?
A travers mon livre, sans vouloir le dévoiler,  j'offre cette opportunité, quelle aurait été leur influence si elles avaient pu vivre leur vie.

CD : Mais qui nous dit que ces âmes disparues, ces esprits souvent  brillants arrachés si tôt,  n'accomplissent par leurs missions à travers nos prix Nobels, les Césars, l'Etat d'Israël, victoires militaires etc.. ?
Ce que nous considérons comme des exploits, parfois comme des miracles,  ne sont peut être que l'oeuvre de l'autre monde peuplé de ces âmes justement ? 

EE : Pour ma part, j'ai une autre explication.
À l'évidence l'absence de ces gens à créer un traumatisme. Au point de vue médicale, on peut constater que les générations suivantes portent en elles les stigmates de ce génocide.
Ceux qui ont survécu à cette tragédie, après des années de sidération, ont su insuffler à leurs enfants, la force d'entreprendre, de créer, d'être reconnus.

C'est une façon de témoigner de leur existence malgré la volonté, durant la guerre, de les faire disparaître à jamais. On constate, d'ailleurs,  que l'impact des juifs, l'influence des Juifs dans le monde est beaucoup plus forts après la guerre qu'avant la guerre, et ce dans presque dans tous les domaines, technologique, militaire, créations, arts, litterature.
C'est une revanche, inconsciente bien-sûr, une façon de vivre mille fois une vie afin de donner une place à ces fantômes, si proches de nous.

CD : Vous pensez donc que le génie juif s'est révélé à la suite de ce traumatisme sans précédent ?

EE : Là ,il faut faire très attention nous sommes sur une ligne rouge qu'il ne faut pas franchir.
La Shoah n'a pas révélé le génie juif, il a toujours existé, il était latent pour les domaines profanes, car nous n'avions pas accès. Nous sommes un peuple de l'étude, avant tout, un peuple de recherche, un peuple d'esprit, avide de sens.
La Shoah a mis fin à au ghetto mental du peuple juif, la volonté de nous exterminer a mis fin à nos atermoiements.
Après la guerre , le peuple juif a eu une volonté décuplée, une volonté de trancher dans le vif du monde, en d'autres termes de vivre plus plus plus.

CD : Que regrettez-vous le plus dans l'après guerre ?

EE: le sentiment le plus douloureux est bien sûr l'injustice. Pas seulement du fait d'avoir eu à subir un tel massacre, la Shoah, qui est l'injustice absolue mais l'absence de justice aussi après la guerre.

La grande majorité de nos bourreaux, de nos délateurs, n'ont jamais eu à s'inquiéter pour leur vie. Ils ont vécu une vie paisible entourée de leurs familles ce qui a été impossible à la grande majorité d'entre nous.
Cette injustice rappelle que nous ne pouvons dépendre d'aucune justice. Nous ne pouvons que sublimer notre tragédie à travers tous les moyens d'expression, et c'est peut-être là que réside notre génie.

Propos recueillis par Claudine Douillet