Rabbin Fruman : l’homme qui osait parler au Hamas au nom de Dieu

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Rabbin Fruman : l’homme qui osait parler au Hamas au nom de Dieu

Le rabbin Menaḥem Fruman : une figure mouvante entre dialogue religieux et polémique

Une vie hors normes

Né dans la localité de Kfar Chassidim où ses parents, issus du mouvement hassidique Gur, s’étaient éloignés de leur milieu d’origine,
Menaḥem Fruman grandit hors des sentiers battus.
Il fréquenta l’école Ré’al de Haïfa, fut animateur du mouvement de jeunesse HaNoar HaOved VeHaLomed puis servit comme soldat dans la Nahal parachutiste pendant les guerres de 1967 et 1973.
La mort d’un de ses camarades durant un combat le frappa profondément, déclenchant un tournant personnel.
Par la suite, il retourna à la religion et devint l’un des élèves du rabbin Zvi Yehuda Kook. Pourtant, lorsque la yeshiva de son maître refusa qu’il s’y installe en tant qu’étudiant résident  au motif qu’il ne se consacrait pas exclusivement à l’étude il dormira pendant six mois chez Zvi Yehuda Kook lui-même.

Un engagement pour le dialogue religieux et le « réel »

Fruman œuvra pour instaurer un pont entre judaïsme orthodoxe et islam politique, notamment avec le mouvement Hamas mais sans illusion sur ses intentions.
Pour lui, l’idée était simple : dialoguer dans une langue religieuse partagée.
Comme l’explique le Dr Mordi Miller, qui a consacré un ouvrage à la vie de Fruman :
« le rabbin Fruman croyait que les religieux, dans le judaïsme comme dans l’islam, ont un vaste fond commun, ancré dans la tradition, qui peut mener à la royauté divine dans le monde. »

Fruman lui-même déclara, à propos de l’un de ses entretiens avec le cheikh Ahmed Yassin :
« Dieu te mettra dans les flammes de l’enfer et te brûlera parce que tu tues des femmes et des enfants. » Yassin répondait qu’il « ne tue pas mais défend sa tradition », alors que Fruman répliquait que tuer des femmes et des enfants était « un acte répréhensible selon le Coran ».

Pour lui, la paix ne relevait pas d’un accord purement politique mais d’une reconnaissance mutuelle à un niveau religieux. Il ambitionnait une « hudna » : suspension de la violence par consentement religieux, non par renoncement complet au projet utopique.
« Les laïcs cherchent une paix définitive, un engagement pour toujours, mais cela ne peut fonctionner ; dans une perspective religieuse il y a aussi un futur messianique. »

Des choix contestés, des combats internes

Malgré sa volonté de dialogue, Fruman refusait les solutions qu’il considérait comme artificielles. Il s’opposa fermement à l’échange de prisonniers qui conduisit à la libération de Gilad Shalit, avertissant qu’en cas de mise en œuvre des accords « des centaines de Juifs seront tués ». Il défia l’idée selon laquelle la mort de portée stratégique pouvait être justifiée.

Sur le plan communautaire, Fruman ne se fondait pas dans le moule de l’establishment : il remettait en cause le statut-quo religieux, « la religion bourgeoise, ordonnée, esthétique ». Chez lui, on récitait le verset : « Même s’il y aura tout le peuple religieux, moi et ma maison nous servirons l’Éternel », en paraphrase du livre de Josué.
Il laissait tomber sa kippa ou celle de ses élèves sur le sol afin de provoquer, d’interpeller le confort spirituel.
On comparait certains de ses rythmes à une « folie de village » : il en était conscient et jouait de cette image. Le Dr Miller note : « Il y avait un type de ‘fou du village’, et il en faisait usage conscient. Le ‘délire’ faisait partie de sa liberté et des éléments de jeu, de paradoxe, de rituel qui caractérisaient sa pensée. »

Une tension fut évidente entre lui et le rabbin Zvi Israel Tao : ce dernier, guidé par une idéologie structurée de la Torah de la Rédemption, dénonçait les cris de Fruman pendant la prière, qui perturbaient selon lui l’étude. Fruman incarnait une conscience du désordre, de la rupture, du inattendu, à rebours de la stabilité théorique prônée par Tao.

Un héritage d’engagement et de complexité

Selon la recherche de Mordi Miller, Fruman voyait dans l’épisode de ‎Moïse face à ‎Pharaon un modèle de confrontation : « Moïse ‘entra’ chez Pharaon, dans ses pensées, ses croyances. Il se tenait face à lui dans une connaissance intime, profonde. » Fruman estimait que c’était la voie pour affronter le Hamas : aller vers eux, dans leur monde.

Le Dr Miller précise que si certains élèves ou proches évoquent une admiration sans réserve, son travail a montré que beaucoup « connaissent sa complexité ».
À ses funérailles, on vit des applaudissements mêlés à la tristesse : celui qui passa par la Nahal parachutiste, qui défia les conventions religieuses, qui prôna la rencontre audacieuse… S’en est allé en 2013.

Son œuvre laisse derrière elle un message contradictoire mais important : croire qu’un échange religieux même avec un ennemi déclaré demeure possible, tout en se garder de l’angélisme quant à sa nature violente.

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