Article paru dans "Charente Libre"
Mickaël Giraud a reconstitué l'histoire de la famille Cwajgenbaum, déportée en 1942 et 1944. Une plaque va être ajoutée sur le monument aux morts le 23 avril. Pour leur rendre hommage.
Auschwitz. Un nom qui glace plus encore que la liste des soldats morts sur le front en 1914-1918 ou en 1939-1945. Un nom qui apparaîtra le 23 avril sur le monument aux morts de Balzac au cours de l'hommage rendu à quatre membres de la famille Cwajgenbaum-Guindine, qui ont vécu plusieurs années dans la petite commune charentaise avant de mourir en déportation.
Abraham le père, né en Pologne, Raymonde la mère, parisienne de naissance, sa petite fille de deux ans Eliane et son frère René. Morts parce que juifs. Une histoire qui n'existait jusqu'à présent que dans une mémoire collective disparate, celle des plus anciens des Balzatois.
Un dossier avec ses mystères
Une histoire qui revit sous la plume de Mickaël Giraud, 27 ans, comptable de profession mais historien amateur, qui a recensé dans un pavé énorme tous les monuments aux morts du département en 2008. «L'histoire de cette famille juive déportée, je l'ai apprise en faisant une étude sur le monument aux morts de Balzac», raconte le jeune Balzatois. Deux ans de recherches concentrées dans une cinquantaine de pages. Un dossier qui sera remis à la mairie de Balzac, au Mémorial de la Shoah à Paris et aux descendants dont Mickaël Giraud a retrouvé la trace.
Un dossier avec ses mystères. Impossible, par exemple, de dater précisément l'arrivée de la famille Cwajgenbaum-Guindine dans la commune. «On peut juste affirmer qu'ils sont arrivés entre 1936 et 1941, c'est-à-dire entre le recensement de 1935 et la liste des ''étrangers'' à la commune dressée en 1942 sur laquelle ils figurent, souligne le jeune historien. D'après les témoignages que j'ai collectés, la famille n'était pas cachée ici. Le père, coupeur de cuir de métier, a vraisemblablement travaillé comme ouvrier maçon ou ouvrier agricole.» Les témoignages, souvenirs de Balzatois qui étaient enfants à l'époque, sont à prendre avec des pincettes.
Pas comme les documents écrits - extraits d'actes de naissance, de mariage, registres des camps, etc. - qui ont permis à Mickaël Giraud de raconter la suite de cette histoire tragique.
Abraham, le père, arrêté par les Allemands en juillet 1942, déporté à Auschwitz par le convoi n°8, mort avant d'avoir vu naître sa fille. Raymonde, René et la petite Eliane, arrêtés en février 1944, déportés au camp de Drancy le 3 février avant de partir pour Auschwitz sept jours plus tard dans le convoi n°68. Matricules 13.641, 13.642 et 13.643. Toute la précision de la machine nazie qui fait disparaître l'humain derrière les chiffres.
«Travailler sur cette histoire, c'est beaucoup plus dur que de recenser les soldats morts de 1914-1918, avoue Mickaël Giraud. Quand on voit 1.500 noms de gens dans le convoi 68, ça remue.»
Présente pour l'hommage à ses aïeuls
Une histoire qui remue aussi les descendants que le jeune Balzatois a retrouvés. Tous issus d'un autre frère de Raymonde, Maurice Guindine, le seul de cette branche qui a échappé à la déportation, décédé en 1981, mais qui n'a apparemment pas vécu à Balzac.
Marié à une Américaine, divorcé, remarié après la guerre, il a laissé au moins deux enfants. Marcel, né de sa première union, caché par une famille vosgienne pendant la guerre et parti aux Etats-Unis avec sa mère en 1954. Un homme retraité en Pennsylvanie aujourd'hui qui a aussi remonté l'histoire de sa mère et en témoigne dans les écoles américaines. Et Françoise Guindine, qui vit dans l'Allier. «La seule à porter ce nom en France quand j'ai fait une recherche sur les Pages Jaunes», raconte Mickaël Giraud.
Elle sera là le 23 avril, veille de la Journée nationale des déportés, pour l'hommage rendu à ces aïeuls dont elle ignorait tout. «Elle ne connaissait pas l'histoire de son père qu'elle a très peu connu. C'est moi qui la lui ai apprise», avoue Mickaël Giraud.
Sur le monument aux morts de Balzac, quatre noms de civils vont s'ajouter aux 30 soldats de 1914-1918 et aux deux soldats de 1939-1945. «Une plaque commémorative, proposée par Mickaël Giraud, dit René Bujon, premier adjoint de la commune. Une suite tellement logique à son travail que j'aurais bien voulu avoir l'idée moi-même.»
Des dates de décès incertaines
Sur la plaque commémorative inaugurée samedi 23 avril à Balzac, Raymonde Guindine et sa fille Eliane Cwajgenbaum sont décédées le 15 février 1944, et René, le frère de Raymonde, le 8 février de la même année, à Auschwitz. Des dates officielles fixées par la loi de 1985, en l'absence de certificat de décès. «Une loi qui, pour les personnes mentionnées ''mortes en déportation'', fixe le décès cinq jours après la sortie des camps français», souligne Mickaël Giraud. Ce qui n'exclut pas quelques incohérences, puisque René Guindine, lui, a été déclaré mort à la date du 8 février 1944, alors qu'il était dans le convoi parti pour Auschwitz le 10 février. Seul le décès du père, Abraham Cwajgenbaum, figure sur le registre d'Auschwitz le 5 octobre 1942 avec sa date et son lieu de naissance, sa résidence à Balzac - Les Chabots et sa religion, juive. «Sans doute, parce les registres étaient encore tenus à l'époque, avant le déclenchement de la politique d'extermination massive par les Nazis», avance Mickaël Giraud.
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