SUR LES COLLINES DE JUDÉE •Pèlerinage à Ein Kerem

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                  SUR LES COLLINES DE JUDÉE : Pèlerinage à Ein Kerem


Le 16/10/07, Article paru dans "le Courrier International"

Des clochers, une source coulant en abondance, des montagnes boisées et un panorama à couper le souffle. Non, ce n’est pas Lausanne, mais un vieux village des faubourgs de Jérusalem, dont les murs regorgent de trésors cachés.
    
Imaginez un petit village entouré de montagnes verdoyantes, des clochers, une source, une merveille à chaque coin de rue et des restaurants de style européen. Imaginez des trésors perdus que certains espèrent découvrir un jour ou l’autre, touchés par la grâce. Imaginez un village jadis visité par des généraux britanniques, des aristocrates européens, et même par le pape. Non, vous ne rêvez pas ! Cet endroit existe. Il se trouve à deux pas de Jérusalem. Ein Kerem, c’est le meilleur de l’étranger à Jérusalem.

Pour visiter ce faubourg occidental de Jérusalem, il suffit de prendre sa voiture, de traverser le village et de se garer (gratuitement) soit dans le parking aménagé en haut de la route, soit à proximité de la source, au cœur du village. Du centre du village, il faut remonter vers le nord par un chemin étroit qui mène à l’église Saint-Jean-Baptiste. Remarquez les deux mains gravées dans la pierre sur le porche de l’église, chacune tenant un rameau. L’une symbolise Jésus crucifié, l’autre la main de saint François d’Assise, fondateur de l’ordre des Franciscains, qui est chargé de la protection des Lieux saints pour le compte du Vatican.

Bien que cette église n’ait été édifiée qu’au XVIIe siècle, on peut deviner sous ses fondations les restes d’un temple dédié à Aphrodite (ou Vénus), ainsi que les ruines d’une église byzantine et croisée. En 1939, lorsqu’un bataillon de fusiliers britanniques prit possession des lieux [au plus fort de la révolte arabe contre le projet sioniste], un des canons provoqua l’affaissement du sol, ce qui permit de découvrir des restes de mosaïques, des inscriptions, ainsi qu’une statue d’Aphrodite.
Pour plus de 1 milliard de chrétiens, Ein Kerem est le lieu de naissance de Jean, l’un des messagers de la révélation chrétienne. Notons à ce propos que, comme Jésus, Jean (ou Yohanan) était juif. Selon la tradition chrétienne, son père, Zacharie (ou Zekharia), était un prêtre du Second Temple, et sa mère, Elisabeth (ou Elisheva), était la petite-fille de Matan, un prêtre issu de la lignée d’Aaron, et ils vivaient à Ein Kerem.

A l’intérieur de l’église se dresse une abside impressionnante, orientée vers l’est, qui abrite les statues de Zacharie et d’Elisabeth. A gauche de l’abside, on distingue une petite crypte où serait né Jean-Baptiste – toujours selon la tradition chrétienne. Sur certaines des peintures qui ornent les murs de la crypte, on peut le reconnaître à sa barbe, à ses vêtements (en peau de chèvre) et à son bâton orné d’un serpent. Pendant des siècles, à une époque où le commun des mortels ne savait ni lire ni écrire, le christianisme s’adressa ainsi à ses fidèles par le biais de peintures ou d’icônes.
Comme dans toute église catholique, on trouve un confessionnal, des fonts baptismaux et, sur les murs de l’édifice, les quatorze stations du chemin de croix, la Via Dolorosa.
 
La plupart des ornements de l’église Saint-Jean-Baptiste ont été offerts au cours des siècles par de riches pèlerins, des monarques européens ou de simples fidèles des quatre coins du monde. Quittons l’église Saint-Jean-Baptiste et allons vers le couvent des Sœurs-de-Notre-Dame-de-Sion, à cinq minutes. Au milieu du XIXe siècle, un juif converti au christianisme, Alphonse Ratisbonne, s’installa à Jérusalem. Il y laissa de nombreuses traces, comme le monastère de Ratisbonne (à côté du vieil immeuble Betzalel) et l’église des Sœurs-de-Notre-Dame-de-Sion, dans la vieille ville de Jérusalem. Ratisbonne, fondateur de la congrégation des Sœurs de Notre-Dame-de-Sion, dut user de la ruse pour acquérir les terres nécessaires à l’édification du couvent et contourner le droit ottoman, qui interdisait la vente de terres à des non-musulmans. A gauche du sentier, on peut encore voir sa modeste demeure, entourée de cèdres âgés de plus de 130 ans.
 
Continuons vers la pension (que je vous recommande chaudement) et profitons de la vue impressionnante sur les collines de Judée. En hiver, on peut voir l’eau bouillonner derrière le fameux barrage d’Ein Kerem. Au cours des hivers les plus pluvieux, il arrive que les eaux débordent du barrage pour déferler en un torrent impétueux. Quelques mètres plus bas, on arrive au modeste cimetière du couvent où Ratisbonne est enterré. Sur sa tombe se dresse une statue de la Vierge Marie où est gravée la phrase : “O Marie, souviens-toi de ton enfant, délicieux et adorable triomphe de ton amour.”
Les religieuses qui ont vécu au couvent depuis sa fondation sont également enterrées ici. Sur le site, on trouve même un sarcophage de l’époque du Second Temple [construit en 515 av. J.-C., il a été détruit en 70]. La vue vers le sud est à couper le souffle. On découvre aussi la tour de l’église de la Visitation, ainsi que l’église orthodoxe russe, dont la construction, qui a débuté en 1905 et a été interrompue pendant près d’un siècle, vient seulement d’être terminée.
 En sortant du couvent vers la droite et en reprenant la rue principale, on peut bifurquer vers la source d’Ein Kerem. Selon la tradition chrétienne, c’est ici que Marie, mère de Jésus, aurait rencontré sa cousine Elisabeth alors qu’elles étaient toutes deux enceintes. On apprend ainsi incidemment que Jean-Baptiste et Jésus avaient le même âge. En continuant vers le sud, on grimpe vers l’impressionnante église de la Visitation. Si vous demandez l’autorisation d’accéder au clocher et que vous avez de la chance, ne ratez pas les peintures spectaculaires décorant les murs ; sur l’un d’eux, une mosaïque porte une prière du Nouveau Testament traduite en plus de quarante langues. Depuis là-haut, vous pourrez jouir d’un panorama splendide, avec une vue imprenable sur la vallée du Sorek, de sa source jusqu’à son embouchure, à Palmahim [au sud de Tel-Aviv ; selon la tradition juive, le Sorek séparait les Hébreux et les Philistins].
La visite est maintenant terminée. Il n’y a plus qu’à retourner vers le centre du village, où la balade a commencé. Jusqu’en 1948, Ein Kerem fut un village arabe. Pendant la guerre d’Indépendance [1948], les habitants arabes de ce faubourg de Jérusalem abandonnèrent leurs foyers. Certains traversèrent le Jourdain, tandis que la plupart trouvèrent refuge à Bethléem. Une légende tenace parmi les nouveaux habitants [juifs] affirme que certains des anciens habitants arabes auraient caché leur or dans les murs de leur maison et n’auraient pu l’emporter avec eux tant leur fuite fut précipitée.
Légende ou pas, en 1950, M. Marciano achetait une épicerie rue Maayan [rue de la Source]. Il riait des histoires racontées par les quelques personnes âgées restées après la guerre, qui affirmaient que le trésor de son prédécesseur, le Dr Joachim (qui avait fui en 1948), était caché dans les murs.
Lorsque, dans la première moitié des années 1950, la Direction des travaux publics entama le chantier d’élargissement de la rue principale, les ouvriers trouvèrent deux sacs remplis d’or dans un des murets détruits par les pelleteuses. Inutile de dire que le propriétaire, qui était parti s’installer en Jordanie, fut abasourdi d’apprendre la découverte de ce trésor. La rumeur veut qu’il ait ensuite perdu la raison. Quelque temps plus tard, des Arabes qui avaient jadis vécu à Ein Kerem pénétrèrent dans l’épicerie, détruisirent un mur encore intact et s’emparèrent du trésor que leur famille avait elle aussi caché là. Rak b’Yrushalaïm ! [Ça n’arrive qu’à Jérusalem !]

Mais terminons par une petite histoire d’amour. Dans les années 1930, la ville de Jérusalem se passionna pour une histoire d’amour qui avait pour théâtre les ruelles d’Ein Kerem. Les protagonistes étaient – comment aurait-il pu en être autrement ? – un Arabe chrétien d’Ein Kerem, Jabra, et une juive de Mahané Yehuda [quartier populaire de Jérusalem-Ouest], Allegra. Inutile de vous faire un dessin sur l’opposition des deux familles à cette idylle. Mais l’amour eut le dernier mot, et les amoureux se marièrent. Comme dans un film turc, le père d’Allegra répudia sa fille et observa la shiv’a [deuil de sept jours], tandis que Jabra fut interdit de séjour à Ein Kerem. Allegra se convertit par la suite au christianisme et se consacra à l’éducation et à la charité. Jabra, quant à lui, fit carrière dans le commerce et devint le principal fournisseur de viande de l’armée britannique. En définitive, les deux amoureux revinrent à Ein Kerem et vécurent dans une maison, que l’on surnomme depuis lors en arabe et en hébreu “la maison de la juive”.

 

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