Stella,
de Sylvie Verheyde (France 2008), avec Léora Barbara, Karole Rocher,
Benjamin Biolay, Melissa Rodrigues, Laëtitia Guerard, Guillaume
Depardieu, Johan Libéreau. 1h43
Pas évident d'être une fillette de 10 ans
Gladys
(Melissa Rodrigues, à gauche) et Stella (Léora Barbara, à droite).
Quand une meilleure amie vous révèle l’existence d’un autre monde.
(photo: Agora Cinéma)
Petite merveille passée par la Mostra de Venise, «Stella» de Sylvie Verheyde restitue toutes les émotions de l'enfance.
Evidemment,
il y a James Bond, Mesrine et la bande à Baader, les espions de Ridley
Scott et les frimeurs de Guy Ritchie. Mais aux poids lourds de cette
fin d'année, tous flingues dehors, on se permettra de préférer - et de
loin - une... fillette. Qui, elle, se contente de toucher en plein
cœur! Sans millions et sans effets, sans vedettes et sans publicité,
Stella est juste un de ces films d'auteur libres, réalistes et
intimistes, comme le marché n'en veut plus, mais qui font encore partie
de ce que le cinéma français a de mieux à offrir. Et quand les trajets
entre un bistrot et une école déclassent à ce point les sauts entre
pays et continents, croyez-moi, il y a aussi de quoi réfléchir sur ce
qu'est vraiment le cinéma.
Presque un ovni sur grand écran, sur n'importe quel écran, que ce Stella de Sylvie Verheyde! En apparence, la chronique d'une enfance dans les années 1970, sur fond de
«tubes» d'époque et avec apprentissage à la clé. Mais c'est aussi bien
plus que cela. Une matière vivante, arrachée au réel autant que recréée
de mémoire. Un équilibre miraculeux entre immédiateté et recul. Bref,
un film tendu entre ce quotidien qu'on dit «banal» et l'émotion intense
qu'il peut susciter, revisité.
Nous sommes à Paris en 1977.
Trimballée par ses parents, tenanciers d'un bar-hôtel (zéro étoiles) du
XIIIe arrondissement, la petite Stella entre dans un lycée du XVIe où
elle ne connaît personne. Tout lui paraît étranger, les murs imposants,
les autres enfants («du genre protégés»), l'orthographe comme les
maths. Alors elle se fait toute petite, pour éviter les moqueries et
passer inaperçue - ce qui ne l'empêche pas de rentrer de sa première
journée avec un œil au beurre noir! Et comme ses parents ne sont pas du
genre à la faire plancher sur ses devoirs, elle passe le reste de son
temps au bistrot, parmi les habitués qui boivent, fument, jouent et
dansent. Heureusement, elle se fait quand même une copine, Gladys, une
petite juive d'Argentine, fille d'un psy et plutôt première de classe.
Car lorsque ses parents menacent de se séparer, il va bien falloir
trouver autre chose à quoi se raccrocher.
Entre
une mère au caractère bien trempé (Karole Rocher, épatante) qui trompe
son mari, un père faible (le chanteur-compositeur Benjamin Biolay,
inattendu) qui se noie doucement dans le pastis et des clients tous
plus ou moins amochés (dont un émouvant Guillaume Depardieu
d'outre-tombe en premier roi de cœur), la petite Stella s'accroche
encore à son innocence, mais voit et devine déjà tout. Quant à ses
vacances dans le Nord (séquence magnifique) chez sa grand-mère
paternelle et sa copine Geneviève, elles la révèlent au seuil de
l'adolescence, bientôt trop Parisienne pour la province. Alors, un
jour, elle se met à lire, puis à dévorer Cocteau et Duras (Un Barrage
contre le Pacifique), qui lui ouvrent soudain des horizons
insoupçonnés...
A l'évidence, la cinéaste connaît intimement ce
dont elle parle. Tant sa direction de la petite Léora Barbara que son
évocation des lieux, des milieux sociaux et de l'époque en témoignent.
Tout ici sonne vrai, jusqu'à cette narration en voix off par la petite
fille elle-même. Le grain de la photo, mais aussi le refus d'évacuer ce
que d'autres considéreraient comme «déplaisant» signalent quant à eux
une fille de Cassavetes et de Pialat, comme la France en a connu un
certain nombre. Sauf que dix ans après son premier essai prometteur, Un
frère (1997), Sylvie Verheyde a persisté sur cette voie. Malgré un
polar incompris (Princesses), deux films de télévision trop peu vus (Un
amour de femme, Sang froid) et le temps perdu sur un film de boxe
abandonné (Scorpion, de Julien Seri).
Ce qu'elle a réussi là,
c'est un de ces rares films vraiment filmés «à hauteur d'enfant», comme
Les 400coups (François Truffaut), L'Enfance nue (Maurice Pialat) ou
L'Effrontée (Claude Miller), capables de vous remuer comme peu
d'autres. Souvent, on croit en avoir fini avec l'enfance, fait la paix
et oublié. Et puis arrive un film comme celui-ci, et tout ressurgit
d'un coup, à la fois merveilleux et terrible, dérisoire et essentiel.
Car même si on n'a jamais été une petite fille de 10 ans dans un bar,
tout le monde se souvient de la relativisation du cocon familial, du
trouble des premiers émois, de l'excitation face au premier livre qui
nous a emporté, de l'angoisse de ne pas y arriver. Toutes choses que
Stella résumera par un bouleversant: «Moi, j'ai peur de tout!»
C'est
de tout cela que parle Stella, sans mièvrerie ni nostalgie facile, sans
misérabilisme ni artifice. Bien mieux que les récents Je m'appelle
Elisabeth (Jean-Pierre Améris), La Faute à Fidel! (Julie Gavras) ou La
Tête de maman (Carine Tardieu), autres chroniques de fin d'enfance
estimables mais qui n'en possédaient pas l'immédiate sincérité. Avec en
prime un éloge inattendu de l'école publique, seule capable d'effacer
certaines inégalités de départ, malgré tous ses défauts.
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