Georges Kiejman, une vie remplie de procès retentissants et de rencontres éblouissantes
Enfant d’immigrés juifs polonais devenu avocat de renom et ministre de François Mitterrand, Georges Kiejman publie ses mémoires. Sous la plume de Vanessa Schneider, il revient sur sa vie et son envie profonde d’être aimé.
À 89 ans, Georges Kiejman s’est décidé à raconter sa vie. Un livre de souvenirs plus que de mémoires, plus léger que pompeux, plus sincère qu’historique. Pour en parler, il nous a reçus chez lui, dans son appartement parisien du VIe arrondissement. La moustache est grise et le pas hésitant, mais l’homme est brillant et son œil frise quand il déroule le fil d’une vie remplie de procès retentissants et de rencontres éblouissantes. Au milieu de livres de la Pléiade, d’affiches de films et de photos de famille, la rencontre est à son image : vive et riche.
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de raconter cette vie qui se confond souvent avec l’histoire française ?
J’ai longtemps été paralysé par le fait que je n’ai pas le don de l’écriture. Chaque fois que j’ai voulu prendre la plume, je trouvais mon style extrêmement lourd. Plaider et écrire un livre, ce n’est pas du tout la même chose. C’est toujours difficile, sinon de se mettre à nu au moins de révéler une petite partie de ce que l’on est. Dans ce livre, j’ai réussi à parler de ma mère. C’est déjà exceptionnel.
On aurait pu s’attendre à un pavé en trois tomes !
Avec le temps, les choses se décantent et curieusement les événements professionnels et publics ne sont pas ceux qui restent les plus vivants. Ce sont plutôt les souvenirs d’enfance et les amours que l’on n’a pas forcément eu envie de raconter dans leur intimité. Finalement, 250 pages c’est pas mal et elles doivent beaucoup au talent de Vanessa Schneider (journaliste au Monde, qui a coécrit ce livre).
Vous dites que vous avez eu une existence miraculeuse, pourquoi ?
Elle a été marquée par un drame terrible : la perte de mon père, déporté à Auschwitz et assassiné dès son arrivée dans le camp. J’ai été élevé par ma mère, qui était analphabète… Mes parents étaient des juifs polonais immigrés en France. Rien ne me prédestinait à la vie que j’ai eue. Je veux bien me prêter quelques qualités personnelles, mais je crois aussi que j’ai eu beaucoup de chance.
Vous parlez souvent de rencontres déterminantes, des hommes comme des femmes.
Les malheurs de la guerre ont fait de moi un petit Parisien pauvre et marginal, puis, parce que nous nous sommes réfugiés dans le Berry, un petit paysan qui vivait dans une maison sans eau ni électricité. Je dois énormément à l’instituteur de la petite commune de Loye-sur-Arnon (Cher). Il s’appelait Maurice Renon. Un hussard de la République qui m’a permis de progresser et d’aller ensuite au collège. Un de mes regrets aujourd’hui est que le corps enseignant soit à ce point dévalorisé.
Vous aviez la rage de vous en sortir ?
Le mot rage est trop fort pour moi. Mais j’en avais la volonté. Je savais qu’un monde plus intelligent et plus confortable que le mien existait. Forcément, cela m’attirait. J’ai appris très vite que la société était inégale. J’ai rapidement été convaincu qu’il fallait lutter contre ces inégalités, en commençant par moi-même ( il sourit ). Je garde en moi le souvenir du proviseur de mon collège qui m’avait acheté une place de théâtre quand j’étais en troisième. J’ai pu voir une représentation de L’École des femmes, de Molière, avec Louis Jouvet. Cela m’a ouvert les yeux. J’ai compris qu’en marge du quotidien, il existait un monde féerique et qu’il fallait savoir le trouver.
En attendant, vous viviez avec votre mère dans une toute petite pièce…
Nous partagions une pièce de quelques mètres carrés où il n’y avait pas la place pour deux lits. Je dormais sur un petit lit et ma mère sur un canapé. J’ai vécu là du lycée à mes deux premières années de droit. À un âge où l’on rêve d’avoir son intimité…
Et vous dites que vous avez eu de la chance ?
Mais oui, toujours. Quand j’étais étudiant, je suis devenu le précepteur d’un jeune garçon. Au courant de ma situation, son père m’a logé dans une chambre de bonne. Grâce à lui, j’ai enfin eu mon indépendance. Puis il m’a permis de rencontrer René Moatti, qui était un avocat assez connu. Les choses se sont mises en marche. Je me suis servi de ma capacité d’élocution, une force qui m’a servi dans l’adversité.
Vous dites que vous n’écriviez jamais vos plaidoiries. C’est vrai ?
Je n’en rédigeais jamais la forme, je me contentais de vagues plans et de grandes idées. Je fabriquais les cartes du jeu. Je ne suis pas un grand orateur, mais quand je défendais une idée, elle était mienne et j’allais au bout. C’est une force de croire ce que l’on dit, au moment où on le dit.
Terrorisme avec l’affaire Abdallah, violences policières avec Malik Oussekine, féminicide avec le procès de Bertrand Cantat : vos plaidoiries ont accompagné de grands sujets de société qui ont explosé aujourd’hui.
Quand on est jeune avocat, on est persuadé que par son éloquence, on va améliorer le fonctionnement de la société… Hélas, il n’y a que peu d’exemples. J’en vois deux : Robert Badinter avec l’abolition de la peine de mort et Gisèle Halimi pour son rôle dans la dépénalisation de l’avortement. En ce qui me concerne, les féminicides existent toujours, les violences policières aussi et les prisons sont restées un pourrissoir.
Vous avez été ministre de François Mitterrand, que vous respectez, mais votre admiration inconditionnelle va à l’homme d’État Pierre Mendès France.
Pierre était une figure paternelle pour moi. Il s’intéressait véritablement aux gens. On existait à ses yeux. Pour résumer, je dirais que Mitterrand vous écoutait par curiosité. Mendès avec intérêt. Une de mes fiertés avec Mitterrand, c’est de lui avoir fait découvrir Belle-Île.
Les femmes ne sont-elles pas les vraies héroïnes de vos mémoires ?
Oui. C’est le grand bonheur d’une vie d’aimer et d’être aimé. Je comprends les raisons du mouvement #MeToo ( il a été l’avocat du Mouvement de libération des femmes, le MLF ), mais j’espère que la violence qu’il a parfois engendrée ne viendra pas abîmer le plaisir de la séduction et du plaisir physique réciproque entre les hommes et les femmes.
Dans vos mémoires, on croise vos épouses et vos amoureuses, de Marie-France Pisier à Marlène Jobert, de Françoise Giroud à Laure de Broglie, en passant par Fanny Ardant. Quelle vie !
Les femmes, qu’elles soient célèbres ou non, m’ont énormément apporté. Je leur dois tellement. Avec l’une, j’ai appris à lire Balzac. Avec une autre, j’ai fait des rencontres extraordinaires. Je suis devenu père grâce à Laure… Avec les femmes, je ne me suis jamais ennuyé. Ce qui n’est pas forcément le cas avec bien des hommes.
L’homme qui voulait être aimé, de Georges Kiejman et Vanessa Schneider, 251 pages, Grasset, 20 €.
Source : Ouest France
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