Elie Chouraqui fait son Alyah
Après quelques derniers repérages en Allemagne, le tournage du film d’Elie Chouraqui va (enfin) pouvoir débuter à la rentrée à Leipzig. Et cela grâce notamment au soutien des internautes sur le site Movies Angels et surtout à la persévérance du réalisateur qui nous explique justement les origines de l’Origine de la violence.
L.B. : Pour débuter, quelle est l’histoire de l’Origine de la violence, de Fabrice Humbert?
Elie Chouraqui : Il est un sujet incontournable par les temps qui courent. Le récit est celui d’un jeune professeur de français qui décide d’emmener sa classe pour un voyage de fin d’année à Weimar. Parmi leur périple, en arrivant à Buchenwald, les élèves en prennent un coup, notamment à cause de ce fameux mur de photographies.
Au sein de cette planche, notre professeur va croiser une photo qui va bouleverser sa vie. Elle ressemble trait pour trait à son père. Lui, loin de toute judéité, va tantôt s’interroger, tantôt interroger son père. Aussi, cette enquête commencée, ne permettra-t-elle pas d’y découvrir une effroyable vérité ?
L.B. : Comment avez-vous pris connaissance du livre de Fabrice Humbert ?
E.C. : Tout débuta le jour dans un café où je lisais un journal qui racontait le pitch - environ quatre petites lignes - du livre de Fabrice Humbert. A ce moment précis, je peux vous dire que c’était le coup de foudre ! Immédiatement, j’ai appelé l’éditeur (sans même avoir lu le livre !) en lui disant que je voulais en faire une adaptation. Puis, Fabrice et moi sommes rencontrés ; d’autres metteurs en scène et d’autres producteurs étaient aussi « sur le coup ».
L.B. : Pourquoi va-t-il décider justement que l’adaptation sera pour vous ? Quelles sont les prémices de l’écriture ?
E.C. : Ce qui a touché l’auteur, venait du fait que je lui dise que cette histoire avait quelque chose de caché, voire autobiographique. On ne peut écrire une histoire pareille par hasard. Bref, j’ai acquis les droits, il y a un certain temps maintenant (trois ans, environ).
Au fil de l’écriture du scénario, en compagnie ou non de Fabrice Humbert, je sentais que le film allait se monter rapidement, tellement le projet serait remarquable dans sa force que dans sa profondeur. Puis, petit à petit, les choses se sont délitées.
L.B. : Que s’est-il passé ?
E.C. : Evidemment, cela n’était pas lié au scénario, ni aux acteurs, ni à moi j’espère, mais à une correspondance forte avec ce que la société française était en train de vivre. D’une certaine façon, les films sur la Shoah (ou sur les juifs en général) ne font plus vendre. On se souvient de ce fameux film de Danièle Thompson (Des gens qui s’embrassent), au bide retentissant, concentré sur la communauté juive.
Du coup, mon distributeur, SND, de peur, a décidé de quitter le navire. Cela m’avait beaucoup choqué. On a dû repartir à zéro. Obstiné, je ne voulais pas le lâcher. Il fallait sortir du canal habituel. Prendre la direction de personnes atteintes par le sujet.
Etant donné mon grand âge, j’ai décidé de ne faire que des films qui me paraissent plus qu’essentiels (Harrison Flowers, Ô Jérusalem,…). Aussi, faire l’Origine de la violence me semble indispensable; non seulement pour la communauté juive, mais pour que nos enfants, nos petits-enfants et même plus, ne laissent pas la mémoire s’évanouir. Il faut la préserver à tout prix ! En voyant chaque jour des calamités, je me dis que Tout est malheureusement possible !
L.B. : Justement, comment se présente à vos yeux la communauté juive de France de 2014 ?
E.C. : Ça serait de mentir que de dire que tout se passe bien en France. Hier, Jacques Attali avait déclaré « … heureux comme un juif en France… » Peut-être que dans le 16ème arrondissement de Paris, on pourrait s’y sentir à l’aise, et encore.
Aujourd’hui, on est moins à l’aise qu’il y a dix ans, c’est sûr ! Il y a dix ans justement, pour ma part en tout cas, jamais de la vie, j’aurai pu imaginer chose pareille. Qu’une ombre malveillante du fait de ma religion vienne me porter atteint…
L.B. : Comprenez-vous l’Alya massive ?
E.C. : Oui bien sûr que je la comprends à tel point que je l’ai faite !...
L.B. : Revenons au cinéma ; votre film verra le jour grâce, notamment, à une innovation dans la finance participative sur le site Movies Angels, hier votre confrère Alexandre Arcady a dû faire appel aux internautes afin de produire 24jours. Pourquoi, tant de difficultés ?
E.C. : En France, pour que le cinéma survive, il doit se réinventer. Par ces temps de crise, ce qui fonctionne aujourd’hui au cinéma, c’est le trio humour, sexe et violence. En passant deux heures de détente, les gens trouvent le moyen de décompression. Ce que je comprends moi-même volontiers. Le cinéma n’est plus ce lieu d’enrichissement.
Puis, le système de financement du cinéma est devenu caduque. Il repose sur une fonction qui est malsaine : il y a les exploitants qui considèrent qu’ils représentent « le gros du travail », alors qu’ils ne sont que salles et projecteurs et empochent 50% du ticket ! Ils ne sont pas artistes ; et pourtant. Et puis, au milieu de tout cela, on trouve cette grande machine de guerre : la télévision. Plus on avance, plus on remarque que ce qui marche, ce sont les séries.
Tout, sauf du cinéma. Que Canal+ n’ait pas voulu faire l’Origine de la violence, me parait comme quelque chose d’inadmissible, quand on sait que le premier film passé sur cette chaine, à une heure de grande audience, n’était autre que Paroles et musiques. Depuis, tous mes autres films n’ont jamais été refusés. Jusqu’aujourd’hui. Pourquoi ? Cette chaine, qui était le conservatoire du cinéma, est devenue aujourd’hui une chaine commerciale.
L.B. : N’avez-vous pas peur que votre film tombe dans le film communautaire, comme celui d’Alexandre Arcady justement ?
E.C. : Cela ne me dérangerait point du tout. Pourquoi ? Tout simplement puisque comme on l’a dit plus haut, l’important est de faire des films. Pour reprendre Picasso, « l’important est de faire… ». Le film d’Arcady n’a pas fait 3 millions d’entrées, ça n’est pas grave. 24 jours sera vu par beaucoup plus de gens grâce à la V.O.D, les DVD, etc.
Sinon, la différence entre ce dernier et le mien, demeure dans le fait que l’Origine de la violence est une œuvre porteuse d’espoir. Il s’agit d’un homme qui retrouve son passé ; il va le comprendre et ainsi apprendra à vivre… avec.
Laurent Bartoleschi
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