Drancy Avenir

Chronique Cinéma - le - par .
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drancyavenir.jpgUn film de Arnaud des Pallieres

A
mi chemin entre le documentaire et la fiction, Drancy Avenir est un
film sensitif sur la Shoah, qui conjugue l'Histoire au présent.

Drancy
Avenir. Deux mots qui se sont fondus dans le quotidien des Drancéens
pour désigner la station de tramway et le centre commercial qu’elle
dessert. Deux mots sourds qui s’emploient couramment, souvent sans
prendre la mesure de leur puissance. Deux mots ennemis pourtant qui,
ensemble, forment un oxymore incroyable, soulignant avec provocation
l’horreur de la Shoah. Drancy fut le camp d'internement et de transit
le plus important en France. Le passage quasi obligé pour les déportés
juifs avant leur extermination. Et c’est sur ce lieu hanté par
l’Histoire que les actuels HLM de la cité de la muette de Drancy ont
été construits.

Arnaud
de Pallières a choisi ce couple de mots bouleversant pour baptiser son
premier long-métrage, et s’interroger sur ce qui reste du génocide juif
dans les consciences. Drancy Avenir ne s’aborde pas comme un énième
film sur la Shoah. Son souci se place au delà. Le réalisateur a pensé
toute son œuvre comme une présence, celle de disparus. Drancy Avenir
est un fantôme qui chuchote, qui suggère et qui affecte. Le film
s’ouvre sur l’absence. Une pièce vide, une fenêtre ouverte, un lieu
désert. La voix d’un vieillard le présente comme « la seule mémoire
vivante de ce monde ». Elle transpire la détresse. Celle qui le rend
coupable de se sentir humain et incapable de traduire l’horreur à
laquelle il a assisté.

«
Comment faire pour que la vérité ne s’éteigne pas en même temps que le
dernier survivant des camps de concentration ? », invite à s’interroger
la scène d’ouverture. Si les « preuves » historiques disparaissent,
est-il possible de retranscrire de façon palpable le malaise que peut
susciter un tel massacre ? Arnaud de Pallières répond par
l’affirmative. En redonnant vie à un lieu de mémoire coulé dans le
quotidien d’une ville, il s’est attaché à créer un film hybride,
semi-documentaire semi-fiction, dont la trame (divisée en trois récits)
s’articule autour d’une vision poétique et sensitive de l’Histoire.

Drancy
Avenir puise sa force de sa créativité. Trois moments, trois récits
s’entrecroisent subtilement pour façonner une œuvre complète. Si les
premières scènes questionnent l’absence et la difficulté de faire vivre
une vérité, les deux autres temps du film proposent d’y apporter l’art
et l’Histoire. Une jeune étudiante en Histoire enquête sur l’ancien
camp de Drancy tandis qu’un explorateur remonte lentement une rivière
jusqu’à sa source. La métaphore du cheminement de la mémoire vient
insuffler l’énergie d’une émotion à la recherche de la vérité. Le
passage d’un récit à l’autre aurait pu s’avérer déroutant, sans les
voix (off pour la plupart) unificatrices, qui récitent sans pathos les
textes saisissants d’Anna Arendt, Georges Pérec ou encore Joseph Conrad.

Chaque
plan partage avec les autres un rapport au temps particulier. La simple
image des wagons de marchandises se séparant dans une gare de triage de
banlieue en témoigne. L’extermination des Juifs n’est pas une question
du passé, mais plus que jamais du présent. Le film s’achève sur la
jeune historienne, à l’ombre des arbres, observant des enfants de la
cité de la muette en train de jouer. Il s’achève mais ne s’arrête pas.
Cet ultime plan symbolique rappelle que la conscience est un travail de
l’ombre effectué au quotidien par tout un chacun, relayé par des
historiens mais aussi et surtout par des artistes…

Dans
la lignée de Shoah, de Claude Lanzmann, qui avait réalisé un
documentaire sur le génocide juif sans recourir à aucune image
d’archives, Drancy Avenir, en se situant à la frontière du documentaire
et de la fiction, est un film incontournable sur le sujet parce qu’il
est vrai et beau à la fois. Ineffaçable.

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