Les articles de Jean-Paul Gavard-Perret

Artiste juif : Martin Jakob, réinterprétation du réel

ARTISTE JUIF. MARTIN JAKOB : REINTERPRETATION DU REEL

ARTISTE JUIF. MARTIN JAKOB : REINTERPRETATION DU REEL

 

Martin Jakob, « Un peu de sueur, de sciure, des clous. Rien »
Editions Piano Nobile, Genève, 2014.

Œuvres de l’artiste : Milkshake Agency, Genève

 

 

Beaucoup se demandent en quoi les assemblages de Martin Jakob peuvent mériter le nom de « sculptures ». C’est pourtant le registre où il faut les classer sinon à les ranger dans « choses vues »… En elles et par leurs rebus et leur débris dont elles sont le « fuit » surgit un déplcaement esthétique indéniable. L’art est le contraire de ce qu’on nomme désormais déceptif. « Un peu de sueur, de sciure, des clous, rien » dit Jérémy Liron. Il a raison.

 

Les volumes de Martin Jakob ne se contente pas de raconter une histoire ils imposent leur masse, leurs poussière, leurs couleurs. Reconstruisant après avoir déconstruit les lieux, l’artiste accorde au réel une dimension drôle, intrigante, poétique. Dans un travail de récupération ou de déplacement, les normes comme les habitudes sont revisitées. Les installations brouillent nos grilles de lecture, créent des torsions programmatiques, obligent à plonger en eaux troubles. La réalité est comme démentie. Surgit une intensité rare qui provoque l’Imaginaire.

 

Au « pittoresque » à l’exotique Jakob préfère le morceau, l’extraction de pans presque anonymes sur lequel le regard ne bute pas : il commence. Preuve que la « trivialité » de la représentation reste ce qu’en disait Baudelaire : « positive ». L’esquisse d’un fragment de réel tel que l’impose l’artiste franco-suisse permet à l’imaginaire de travailler. La marge du monde devient centre. La présence banale se voit rehaussé en expérience esthétique majeure. Le réel est comme démenti. L’artiste le dégage de son étau physique sans toutefois le porter vers le vice de l’idéalité.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Ecrivain juif :Shmuel T. Meyer poétique de la ville

Shmuel T. Meyer, « Ah j’oubliais l’effarante beauté des lieux », Editions Métropolis, Genève

Shmuel T. Meyer : poétique de la ville

Shmuel T. Meyer, « Ah j’oubliais l’effarante beauté des lieux », Editions Métropolis, Genève

 

Entre poésie et nouvelle Meyer crée un chant à la ville de Genève et à sa femme de cœur. Les deux deviennent les égéries d’un livre passionnant où elles dialoguent : « Tu as de la chance m’avait-elle dit, il ne pleut pas. Cette soudaineté climatique était-elle à proprement parler une chance ? J’aimais Genève sous la pluie, sous la neige, sous la bise, bleue de son séchard venu du nord, grise de son Joran descendu du Jura avec fracas, irritée de son foehn. J’aimais Genève comme cette femme qui me menait vers la ville. ».

 

Suivent une séries d’historiettes, de portrais sur le vif d’inconnus et marginaux entre des allers-retours Jérusalem-Genève.

Les ballades sont captivantes au cœur de la ville qui – selon une problématique chère à Baudelaire - change plus vite que le cœur des mortels. Rencontres intempestives, souvenirs se mêlent de manière subtile. Dans un tripot de Plainpalais l’auteur offre sa tournée à des poivrots, plus loin il rencontre un auteur mort et projette dans un monde fantomatique et fantasmatique : « À l’angle de la rue des Alpes, un vieillard chauve l’avait abordé, robe de chambre pourpre damassée et lèvres purpurines : – Vous cherchez votre chemin ? – Non, je cherche le vôtre ».

 

Frontières et seuils du temps et de l’espace deviennent pour Meyer une manière d’explorer ce qui tient à l’incessant devenir de son « moi » et maintient le néant à distance. Il flaire le grain de peau de son aimée comme il croque l’asphalte de chocolat des rues. Il prend le temps qu’il faut pour faire l’amour ou divaguer au bord du Léman. Chacun y garde sa manière de vaquer. Et si vivre ce n’est qu’une fois mort qu’on rentre dans la chronologie ; c’est au présent et dans sa poétique que l’auteur écrit dans la fusion avec l’amoureuse et la ville.


Artiste juive :Sabrina Gruss ogresse fabuliste

Gruss Artiste juive

Sabrina Gruss ogresse fabuliste
Galerie Gabriel Soulié

 

Tout part chez Sabrina Gruss d’un moi originel empêché et qui se sent seulement digne de laisser surgir - sur le plan de l’affect - une émotion cérébrale. En témoigne le « grand » frère de l’artiste :

« Sabrina fut sommée de venir au monde au début du mois de février 1958 dans le 12e arrondissement de Paris. Elle pose à cette occasion son premier acte de résistance aux forces de la nature et elle ne se rendra qu’aux forceps ».

Par la suite, leur yiddish mama tenta bien de les dévorer afin qu’ils réintègrent l’endroit d’où ils n’auraient jamais dû sorti mais mal était fait.

Cette mère ogresse donne néanmoins à sa fille le désir d’exorciser de manière sarcastique son bestiaire intérieur.

Elle ne s’en prive pas et invente des monstres. Son travail ne « fait » pas dans le psychique mais dans le symbolique.

Celui-ci est révulsé dans un réalisme fantastique constitué de totems sans tabous. Ils perdent toute leur valeur sacrée et deviennent les colifichets d’une imagerie transgressive. Ne refusant pas l’ornemental et le théâtral qu’impliquent tout rite l'artiste les détourne. Par défiguration symbolique, à la croyance et à la dévotion fait place un montage où le corps vénéré est remplacé par son imagerie animalière.

 

 

J-P Gavard-Perret


Artiste israélien : Ronit Baranga

Artiste juif céramique , Ronit Baranga

Les métaphores blanches de l’artiste israélien Ronit Baranga
Le céramiste israélien Ronit Baraga est un des artistes les plus en vue de sa génération de son pas. Le corps et les objets y prennent une dimension particulière. Sculptés dans l’argile blanche des doigts réalistes apparaissent sous des soucoupes tandis que des bouches se cachent à l’intérieur d’assiette où sur des tertres impeccables. Doigts et lèvres semblent en action pour des chorégraphies plus ou moins sensuelles. Chacun semble chercher son « autre » mais sans savoir lequel. Il est certain que de tels objets sont à manipuler avec précaution : non seulement parce qu’ils sont fragiles mais parce qu’ils peuvent mordre ou écraser…

 

Ronit Baranga dit avoir traité la bouche comme « métaphore de la frontière entre l’organisme et l’environnement afin de créer une vision déstabilisante. D’autant que par ses objets-images et en un imaginaire immaculé il renvoie à une sorte de premier temps de la métaphore. Elle devient "l’acte d’instauration du sujet" (Lacan) et le remaniement des rapports au monde à travers trois concepts de base : le réel, le désir et la jouissance.

 

Le plasticien place toujours ses créations dans un certain désordre afin d'éviter l’entrée en jeu d’un signifiant-maître quelconque. Ses images de « re-présentation » se soustraient aux images « représentations ». Il entreprend tout un travail analytique qui englobe l'histoire de l'art, le social et le politique ainsi que l'évolution même des processus de création d'images et de leur transmission. Ses œuvres décalent le réel tel qu'il est donné à voir. Dans leur béance surgissent par renversement un plaisir et une résistance. La capacité à détourner les objets, à se réapproprier leurs codes relève néanmoins d'un besoin d'appartenance au monde en rapport à sa culture. En son sens on peut qualifier l’œuvre de politique même si elle reste avant tout poétique.

 

Ecrivain juif :Mika Biermann démiurge miniature

écrivain juif mika bierman livre-mikki-et-le-village

Mika Biermann démiurge miniature

 

Mika Biermann, « Mikki » et le village miniature, P.O.L éditeur, 2015, 352 pages, 18 Euros.

 

 

Sans vraiment nous ramener par son œuvre narrative à l’enfance, Mika Biermann permet de faire survivre un paradis et le non dit de l’existence. Il donne ainsi un autre espace au temps, un autre temps à l'espace et n'hésite jamais à nous ouvrir les yeux face aux murs que nous ne voyons pas ou si mal.

Celui qui se veut prolétaire de la littérature regarde non sans noblesse la façon qu'ont ses personnages de se mettre en ordre ou en désordre sur un parquet « caveaubulaire ». Celui-ci devient celui d’un pont suspendu au dessus du monde. Peu à peu s'élabore par ces installations littéraires et littérales une exode.

L'ensemble reste faussement naïf et tout aussi faussement terre è terre. Le roman devient un poème puisqu'il dépasse les bornes que le réel nous a lâchement assignées. Peuplant notre propre imaginaire de ses monstres Biermann extirpe des tourbiers de l'existence en conservant toujours en lui un désir d’infini nonsensique. A nous de le suivre.

Faye lecteur critique d'Heidegger « Eclats dans la philosophie »,

Eclats dans la philosophie

 

 

Faye lecteur critique d'Heidegger

 

Jean Pierre Paye ( préface de Michel Cohen-Halimi) : « Eclats dans la philosophie », Editions Notes de Nuit, Paris, 2015, 250 p., 23 E.

 

Jean-Pierre Faye Affronte la philosophie douteuse (entendons celle antisémite d’Heidegger) non pour fondre en sa lumière sombre mais pour la démonter et ébranler le théâtre de ses apparitions. Surgit de la spéculation narrative du texte du tout autre que les présupposés Heideggériens : celle de l’ordre de l’enjambement, de la métaphore de l’être face aux cérémonies du chaos telles qu’Heidegger les construisit dans l'inconsolable perte d’avoir dû quitter un paradis utérin de l’état-total qu’il remplaça par l’état totalitaire.

Et si parfois Faye se veut dur comme une pierre en celle-ci demeure une fontaine de vie prête à jaillir. Aussi dilatées qu’elliptiques ses pensées surgissent selon divers tracés et narrations qui font suer le concept. Faye l’ironise ou montre la haine qu’il traîne parfois derrière lui. Refusant d’incliner vers l’inféodation l’auteur démonte ce qui dans une philosophie blesse, annihile, étouffe à travers des successions de figures et de paravents. Il brise les illusions d’alouettes des esclaves en créant ce que Prigent pourrait appeler un babil radical et dangereux pour l’ordre établi.

Faye avance ainsi dans la délivrance et la séparation. Son livre constitué comme un abécédaire (ce qu’il n’est pas) à diverses entrées possède une force franche, immédiate. Un tel texte est moteur. Il porte le virus mortel aux langages totalitaires qui ont « construit » (ou « monté » si on reprend un terme clé et cher au philosophe) le juif en « accélérateur de l’histoire » qui viendrait contrarier la pérénité de l’état-fort, absolu.

La dynamique reste omniprésente dans le livre. Elle permet de rejeter la pensée qui enferme, retient. Faye possède pour cela la lucidité nécessaire même s’il ne cherche jamais à rendre son « trait » intelligent. Il redonne vie à la philosophie dont il traverse (change) la forme. Il l’extrait du contrôle mental qui enlève la vie.

Le philosophe invente une autre impulsion, une autre direction à la pensée que celles de l’idéologie totalitaire. D’où son goût ici pour le fragment et pour Nietzsche et leur caractère débridé. Le texte (et Michèle Cohen-Halimi n’y est pas pour rien) est comparable à une sarabande pleine d’inattendus avec des enchaînements que le lecteur doit découvrir.

 

Le désir de force libre de l’être traverse un tel travail et traverse ses formes. Le feu de l’intensité montre que Faye est toujours prêt à en découdre avec le discours totalitaire. Il le défait au plus haut point. Et même si le livre se termine tragiquement sur l’entrée « Vernichtung / Extermination », Faye prouve qu’une philosophie peut venir à bout de celles qui réifient et donner le change au lieu de transformer et de donner du change au monde.

En ce sens il se fait fidèle à Lou Andrea Salomé comme à Sabina Spielrein (égérie « différée » de Freud) à travers des espaces qui prouvent que « le sophos – et le misophos – est homme et la philosophia femme ». Le « geste » philosophique veut donc la liberté et l’ardeur pour sommer et parfois assommer les concepts jusqu’à parfois les retirer de leur immobile splendeur.

Le corps en ses désirs semble marcher en avant de lui-même là où Faye par son écriture éclaboussante en retire l’écume comme on retirait jadis la peau sur le lait.

Artiste juif :Clay Ketter : structurer l’espace

Artiste juif, Clay Ketter structurer l'espace

Clay Ketter : structurer l’espace

 

Né en 1961 aux Etats-Unis, Clay Ketter vit et travaille depuis une dizaine d’années en Suède. Il est représenté par la galerie Daniel Templon à Paris et avec les galeries Sonnabend à New York et White Cube à Londres. Dans ses œuvres surgit des espaces étranges qui sortent autant des registres de l’abstraction et de la figuration. Ce travail parle sans jamais de réponse si ce n’est au néant. Ne cherchant jamais les effets de chaleur ou de lumière, l’artiste joue avant tout sur le jeu des structures qui parcellisent l’espace. La langue picturale reste aux aguets derrière ses pans qui parfois semblent vouloir se superposer.

 

L’espace se fait donc châsse afin de contenir une sorte de désir sans visage pour des yeux plein de secrets. L’épaisseur est le vide que la couleur (fût-ce le blanc) divise. Il se fend là où l’étroitesse rejoint les effets de surface et où le regard percute une forme d’impossibilité de voyeurisme. Clay Ketter repousse tout effet de mélancolie et d’effroi dans une approche qui devient un point de non retour.

 

Hors espace mais dans sa vastitude et à l’écart des effets de représentation Clay Ketter projette des possibilités nouvelles de type « impressionniste" . Elles s’inscrivent par la force de la structure et des couleurs. L’artiste médite en acte sur l’essentiel de la peinture là où à la colore s’impose le disegno. Le jeu es surfaces brise l’espace géométrique classique et cherche à désobstruer la couleur des volumes pour préparer l’art à une autre fin que la mimesis.

 

Surgit une atmosphère de liberté retrouvée. D’interrogation aussi. Au lieu d’aboutir à des formes dont la perfection séparerait le flux Clay Ketter tend toujours à produire un lieu qui agrège et désagrège par des présences simples et diffuses, une présence qui vaque. Pas de certitude. Pas de symbole. L’art se mesure à ce qu’il est :l’ébranlement de la pensée par les structures et leurs déstructurations au sein d’un art aussi libre, savant et inflexible. Il apprend l’essentiel. A savoir que comme des brebis affamées les hommes ne broutent que leur ombre.

Artiste juive : Suzanne Stern la nuit était ancienne

Suzanne Stern artiste juive

LA NUIT ETAIT ANCIENNE

 

La lumière, la couleur ce n'est pas ce qui flashe dans l'intensité, c'est ce qui se retient. L'image n'est ni l'abstraction, ni la figuration, mais l'épure. A corps et désaccords. Combustion lente sous la surface. Stries dans la matière. La main doit aller - entendons : avancer. Et le corps tout entier est présent devant, derrière, dedans : immédiatement engagé. Suzanne Stern cherche là : autour l'intéresse mais le centre la préoccupe en ce frôlement et cette pénétration du réel.

 

Saccades d'acanthes avec des mouettes. La gisante se cambre en se penchant, en se tordant voire se renversant. Autour d'elle des tonnes de larmes se sont dissipées jusqu'à se mélanger aux pigments afin de créer un fond qui scelle plus que le tableau, la vie. Il y a aussi des larmes : celles des persécutions d’un temps passé mais toujours en risque de revenir.

 

Conscience une fois le coup passé (issue de l’avant) de ce qu'il faut peindre de et par tous les temps : la vie sourde, irisée, conçue pour altérer la mort dans la jouissance du faire même lorsqu'il crée la plus grande des douleurs que l'on, se donne ou qui nous st donnée.

 

Ici où là, dans l'éloignement des dates mais en une commémoration perpétuelle en une suite d'auto-portraits paradoxaux. Suzanne Stern ne s'en lave jamais les mains. Yeux ouverts, yeux fermé la pure nécessité : peindre absolument non sous "âmenésie" mais "né cécité". Peindre éperdument dans la lumière limpide des premières toiles puis dans celles qui deviennent plus blanches. Quelle qu'en soit la nature cette lumière n'abandonne pas, ne lâche plus : puissance tenante jamais altière portée au trait qui biffe, rature, scelle comme u acte porte au cœur.

 

Dans la cendre et sa couleur, l'illumination du mat (parler de peinture de "maturité"). La poussière n'effraie plus : c'est là que Suzanne Stern « entrace » et dessine son ovale du temps et des formes étrangement suspendu dans la plupart de ses œuvre : bord de l'urne qui donne au regard ce que l'artiste « désenfouit ».

 

Fragments de plâtre, de bois, découpes de matières hétérogènes qui sont l'octroi que conjugue l'artiste vers ce qui est l'Interdit ou l'Impossible. Coïncidence entre le premier et le dernier jour qui dessine comme en un liseré cette place réservé à l'hôte (autre de soi, double, complément, animal). Sens pour ainsi dire sacré de l'épaulement ou de la perte où les bribes du temps à la fois s'égarent et se retrouvent.

 

 

Se souvenir alors de la phrase de Derrida dans Schibboleth : "Comment dater autre chose que cela même qui jamais ne se répète ?" Sinon en assortissant pour toute signature l'intensité basse de chaque tableau, celle qui dans ses morceaux et son unité emporte d'un seul regard. Un regard qu'il faut porter à divers moments, sous des lumières différentes pour voir (plus) et comprendre (mieux).

 

Suzanne Stern enduit, gratte, racle pour que surgisse un air mat avec comme horizon celui de la blessure dont rien ne sera dit sinon par le sceau d'une bouche ouverte et talqué.

 

Artiste juif : Emil Michael Klein le rigide et le mouvant

Emil Klein artiste juif peintre et sculpteur

Emil Michael Klein le rigide et le mouvant

 

 

Emil Michael Klein est peintre et sculpteur d’un genre particulier. Partant d’une forme d’abstraction et de suprématisme le créateur suisse surprend par ses travaux et leur exigence. On a pu les voir à Lausanne où il vit mais aussi à Milan, à Paris, à Berlin, Bergame mais aussi à New York. Le plasticien crée des formes géométriques rigides et basiques et des composition fluides et organiques. Les deux échappent autant à la pure abstraction qu’à la figuration. En ce sens le couleur possède une importance capitale : elle atténue la rigidité des géométrismes. Chaque œuvre ou série est une exploration guidée par le médium. La sculpture devient le lieu de la fixité et de la grille, la peinture celui d’une danse formelle gaie mais profonde .

 

Cette chorégraphie s’apparente à ce que Winnicot nommait « Squiggle » : un griffonnage coloré. Pour autant il n’existe pas entre ces deux médiums une dichotomie mais deux manières de saisir le monde et de le manifester autant à travers l’ouvert que le fermé. Aux rituels de certitude font place l’égarement et la transgression. Formes, couleurs, linéarités ou enroulements laissent entrer en nous leur inconscient. Il se met en symbiose avec le nôtre. Si la peinture et la sculpture restent toujours des psychés ici elles dé-figurent. L’oeuvre de E-M Klein permet donc un fantastique voyage d'exploration où la transgression reste la belle incertitude de l’art.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Artiste juive : Marina Abramovic entre « absence », douleur et interrogation

Marina Abramovic, artiste juive

Marina Abramovic entre « absence », douleur et interrogation

 

Nul n’a été aussi loin que Marina Abramovic au sein de ses performances ou de ses photographies dans l’art corporel.

On se souvient que l’artiste a fait longtemps de son corps l’enjeu même de son art en se posant la question : jusqu’où peut-on aller dans une telle perspective ?

Elle s’est alors coupée une étoile de chair et de peau dans le bas ventre, s’est fait gifler jusqu’à l’évanouissement ou s’est offert à des pythons dans diverses expérimentation toujours poussées plus loin avec son compagnon et partenaire de « jeu » : Ullay.

Dans « Breathing in Breathing out » le couple s’embrassait jusqu’à l’étouffement et la haine du désir de l’autre.

Dans « AAA-AAA » le couple se faisant face créait un crescendo sonore en une approche jusqu’à ce que l’un crie dans la bouche même de l’autre. Il y a eu pire, mais passons.

 

Marina Abramovic a aujourd’hui quitté son compagnon après une dernière performance : chacun est parie d’un bout de la muraille de Chine pour se rejoindre afin de signer leur séparation définitive.

Le travail sur le corps changea de direction. Dans « Balkan Baroque II » elle se dressait grave et vêtue de blanc au milieu d’une sorte de charnier où elle nettoie avec acharnement 1500 os de boeufs frais tout en fredonnant des chansons et comptines de son enfance tandis que son vêtement immaculé se tache peu à peu de sang.

Si un Burden ou une Gina Pane a renoncé à l’art corporel, on comprend qu’avec une telle performance Abramovic reste une de leur digne héritière au sein d’une telle allégorie évidente.

Pris à la fois dans la prostration et la violence le spectateur de telles performances ou des photographies qu’en tire l’artiste surgit un théâtre de la cruauté rarissime.

Plus que l’orgueil des victoires sur les os on retient les yeux de l’insurgé à la fois victime et bourreau qui semble dire « est-ce que je tiens tellement à ces os et à ces restes de viande ? ».

Mais dans tout son travail c’est bien l’être tout entier qui s’exprime. Dans sa dernière expérimentation londonienne « créer avec rien » les visiteurs doivent confier leurs émotions, sur une feuille de papier qui est photographiée avant qu'ils ne quittent la galerie.

La pièce expérimentale "512 Hours" est la première performance de Marina Abramovic depuis sa rétrospective « The Artist is Present » au Musée d'Art moderne de New York. Pendant trois mois, l'artiste était restée complètement silencieuse face au public.

Elle se contentait de le fixer afin de créer une interaction par le regard. La plasticienne surgissait tel un être d’essence aussi féminine que masculine, tendre que violent.

Elle propose ainsi au lieu d’images quasi insupportables d’autres « images » dont la « neutralité » n’est qu’apparente. Elles deviennent de véritables productions spirituelles. Le refoulé en émerge et la qualité même de la nouvelle « agression » désormais sourde contredit pazr exemple l’image que l’homme se fait de la femme et qu’il projette sur elle. Preuve que les temps changent. Et Marina Abramovic crée aussi pour cela.

 

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