
Un Carnet Vert : Quand l’Enquête d’un Petit-Fils Révèle un Juste de l’Ombre
Il existe des livres qui, par leur ambition et leur sensibilité, dépassent le simple cadre du témoignage historique. Un Carnet Vert de Luc Zbinden en fait indubitablement partie.
Cet ouvrage, à mi-chemin entre la quête intime et l’enquête d’investigation, se déploie comme une exploration haletante du passé familial de l’auteur, un passé marqué par un silence aussi pesant qu’intrigant : celui du courage d’un homme, Paul Zbinden, pasteur suisse, qui, au péril de sa vie, a sauvé des Juifs durant l’Occupation.
Ce n’est qu’au détour d’une conversation anodine que l’auteur se heurte à cette révélation sidérante :
« Sais-tu que ton grand-père a protégé des Juifs pendant la guerre ? »
Cette phrase, lâchée presque par mégarde par ses tantes, agit comme un séisme intérieur.
Que recèle ce secret trop longtemps enfoui ? Pourquoi l’histoire de Paul Zbinden, qui a risqué sa vie pour sauver des âmes traquées, n’a-t-elle jamais été contée ?
Est-ce par humilité ou par une volonté inconsciente d’échapper à l’épreuve du souvenir ?
Dès lors, une quête obsessionnelle s’amorce : fouiller les archives, interroger les derniers témoins, relier les bribes de mémoire qui surgissent. Mais surtout, retrouver la trace de ceux qui ont été sauvés.
Le Juste de l’ombre : Paul Zbinden, un pasteur face à la barbarie
Paul Zbinden, figure tutélaire et pourtant méconnue de sa propre famille, n’était pas un homme de grands discours. Il était de ceux qui agissent quand d’autres détournent le regard. Installé en Cévennes, terre historiquement marquée par la résistance protestante, il devint un refuge pour la famille Heller, des Juifs allemands traqués par le régime nazi.
« J’étais bien loin de penser que les pièces à conviction émergeraient sous chacun de mes pas, et s’imbriqueraient peu à peu les unes dans les autres, comme par miracle. »
Parmi ces survivants, un nom revient avec insistance : Peter Heller, un enfant devenu artiste, dont la vie aurait été brisée sans cette solidarité silencieuse mais déterminée.
Mais ce sauvetage n’était pas sans péril. À chaque instant, Paul Zbinden risquait d’être dénoncé, arrêté, exécuté. Pourtant, sans éclat, sans attente de reconnaissance, il persista dans cette mission qu’il ne considérait même pas comme héroïque, mais simplement comme une exigence morale et spirituelle.
« On ne sauve pas les gens qu’on aime, mais on aime les gens qu’on sauve. » — Haïm Korsia, Grand Rabbin de France
Cette phrase, tirée de la préface du livre, résume toute la grandeur de cet engagement.
Paul Zbinden ne connaissait pas les Heller avant la guerre. Il n’avait aucune obligation envers eux. Et pourtant, il leur a offert la seule chose qui comptait : une chance de vivre.
Une enquête entre mémoire et oubli : le combat contre l’effacement
L’intérêt de Un Carnet Vert ne réside pas uniquement dans le récit d’un Juste, mais aussi dans la manière dont il est redécouvert. Le livre devient alors une double investigation : historique et existentielle.
En retrouvant les traces de Peter Heller et de sa famille, Luc Zbinden ne se contente pas de faire œuvre d’historien. Il affronte une question vertigineuse : que reste-t-il d’un acte de bravoure lorsque le silence l’a recouvert ?
C’est ce qui rend ce livre aussi captivant : on suit l’auteur pas à pas dans sa quête, éprouvant avec lui la frustration des pistes sans issue, l’exaltation des découvertes fortuites.
*« Je croisai le chemin de Peter Heller, expert fiscal ; Peter Heller, professeur ; Peter Heller, financier… jusqu’au jour où, au bout de cette traque effrénée, une voix me répondit au téléphone :
“Je suis l’épouse de Peter Heller. Mon mari m’a beaucoup parlé de votre grand-père.” »*
En une fraction de seconde, un voile de l’histoire se déchire. L’existence de Peter, loin d’être une légende familiale, trouve une incarnation tangible. Il a survécu.
Il a fait sa vie aux États-Unis. Mais l’écho du pasteur Zbinden l’a suivi jusque-là.
Cette recherche effrénée culmine dans un moment d’une intensité bouleversante, lorsque Marion, cousine de Peter et seule rescapée d’Auschwitz, révèle à l’auteur ce qu’il redoutait d’entendre :
« Ma famille et moi avons été déportés… à Auschwitz. »
À cet instant, l’enquête intime de Luc Zbinden bascule dans la tragédie collective. Il ne s’agit plus seulement de reconstituer une histoire familiale, mais d’affronter la mémoire d’une humanité brisée.
Pourquoi faut-il lire Un Carnet Vert ?
Parce qu’il ne s’agit pas d’un simple livre d’histoire, mais d’une plongée abyssale dans les mécanismes de la mémoire.
Parce qu’il interroge notre rapport au passé, à ces figures héroïques que le silence a recouvertes.
Parce qu’il explore les dilemmes de la transmission : que faisons-nous de l’héritage moral des générations précédentes ?
Parce qu’il est écrit avec une intensité rare, à la fois intellectuellement stimulant et profondément bouleversant.
Parce que l’histoire de Paul Zbinden est un antidote à l’oubli, un rappel que face à la barbarie, il existe toujours des hommes et des femmes qui choisissent de dire non.
📖 À lire, à méditer, à transmettre. à la FNAC
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