
«Transmitzvah » : l’odyssée bouleversante d’une identité juive retrouvée
Sortie du film le 14 mai.
Parfois, un film dépasse toutes les attentes. Il les transcende.
C’est le cas de Transmitzvah, le nouveau long-métrage de Daniel Burman, en sélection officielle au Festival de Cannes 2024. Déroutant par son sujet, époustouflant par sa sincérité, ce film est bien plus qu’une œuvre sur la transidentité : c’est un chant d’amour éperdu à l’identité juive, une quête intime où chaque note, chaque larme, chaque sourire cherche à recoller les fragments d’une âme éclatée.
Mumy Singer, incarnée avec une grâce déchirante par Penélope Guerrero, est cette étoile filante qui refuse de se laisser enfermer par les étiquettes. Enfant, Ruben rejetait sa Bar Mitzvah, ce rite d’appartenance au peuple juif.
Adulte, devenue Mumy, une chanteuse adulée, elle revient en Argentine pour accomplir ce qu’elle avait fui : célébrer enfin sa “mitzvah”, cette alliance avec ses racines. Mais pas n’importe laquelle. Une Transmitzvah — un chemin de vérité, de réconciliation, de résurrection intérieure.
Le film frappe d’abord par son exigence morale : il refuse toute complaisance.
Ici, changer de sexe n’est pas un manifeste militant. Ce n’est ni un triomphe, ni une rébellion. C’est un pas de plus dans la douloureuse traversée du désert qu’est la recherche de soi.
Quand Mumy chante en yiddish ou en hébreu, quand elle pleure sur scène ce qu’elle ne peut encore formuler, elle devient l’incarnation même de l’exil intérieur du peuple juif. Sa voix n’est pas celle d’une communauté en lutte ; c’est celle d’une fille d’Israël, égarée, écartelée, mais irrémédiablement fidèle à sa mémoire.
« Il n’y a pas plus juive que moi », lance-t-elle, dans un cri qui foudroie les faux débats. C’est la vérité nue. L’identité, nous dit Transmitzvah, n’est pas un costume que l’on choisit. C’est une terre promise intérieure que l’on conquiert au prix d’innombrables combats contre soi-même.
Daniel Burman, grand orfèvre des âmes égarées, tisse avec une infinie pudeur le portrait de deux êtres blessés — Mumy et son frère Eduardo — qui, en se cherchant l’un l’autre, finiront par se retrouver eux-mêmes. Sous ses airs de comédie musicale doucement décalée, Transmitzvah est en réalité un film profondément religieux au sens premier du terme : il « relie » ce qui avait été brisé. À travers la musique, les prières, les regards échappés, il murmure que la réparation du monde commence par la réparation de soi.
Le contraste est saisissant : ce qui pouvait sembler au premier abord comme une déviance — refuser son genre, refuser sa mitzvah — devient au final un chemin de fidélité radicale. À travers les mélodies en yiddish, les traditions réappropriées, les silences habités de souvenirs, Mumy reconquiert son nom, son âme, son peuple. Elle ne devient pas autre ; elle devient pleinement elle-même. Elle trouve « la partie manquante ».
À l’heure où l’identité est souvent instrumentalisée ou caricaturée, Transmitzvah offre un contrepoint bouleversant : la quête de soi est sacrée. Elle ne supporte ni raccourcis, ni slogans. Elle exige courage, fidélité et amour.
Il y a, dans ce film lumineux, quelque chose d’universel. Comme dans la kabbale évoquée par Burman, où l’homme est appelé à réparer les éclats du monde, Transmitzvah nous rappelle que nos blessures sont aussi nos lieux de renaissance.
Un film qui transperce, qui élève, qui bouleverse — et qui, longtemps après le générique, continue de résonner dans l’âme.
Mais que disent les textes ?
Dans la tradition juive, cette quête identitaire trouve un écho ancien et profond. Le Talmud reconnaît l’existence d’êtres appelés androgynos (אנדרוגינוס) ou tumtum (טומטום), des âmes incarnées dans des corps où les frontières entre masculin et féminin demeurent floues.
Loin de les rejeter, les sages d’Israël débattent avec sérieux de leurs droits, de leurs devoirs religieux, et de leur place dans la communauté (Mishna Bikurim 4:1-5 ; Talmud Bavli Yevamot 83b). Il ne s’agit pas d’homosexualité, mais d’une incarnation singulière, reflet du dessein divin.
Dans la pensée rabbinique, ces êtres sont perçus comme des témoins vivants de la complexité de la création : Dieu ne façonne pas des erreurs, mais des mystères à accueillir avec humilité. Ainsi, Transmitzvah ressuscite une vérité ancestrale : parfois, l’âme humaine transcende les limites visibles, et son chemin vers elle-même devient un acte sacré.
La mystique juive va encore plus loin. Dans le Zohar, livre fondamental de la Kabbale, il est enseigné que certaines âmes descendent dans ce monde avec des épreuves d’identité profonde, afin d’accomplir leur tikkoun — leur réparation spirituelle.
Ces âmes, souvent marquées par des parcours atypiques, sont investies d’une mission sacrée : réconcilier les fragments épars de leur être pour retrouver leur unité intérieure, reflet de l’unité divine.
Notes :
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Mishna Bikurim 4:1-5 : discussion sur les obligations religieuses de l’androgynos concernant les premiers fruits (bikourim).
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Talmud Bavli Yevamot 83b : analyse de la nature juridique de l’androgynos ; débat s’il est considéré homme, femme ou catégorie à part.
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Talmud Bavli Berakhot 47b et Nidda 51b-52a : références supplémentaires sur les statuts particuliers du tumtum.
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