
Moïse, les Dix Commandements et la lecture secrète des Sages : quand le ciel épouse la terre
Et si les Dix Commandements n’étaient pas seulement une liste, mais un système de correspondances mystiques ?
Cette hypothèse, brillamment explorée dans le livre Moïse raconté par les Sages d’Edmond Fleg (1956), ouvre une lecture saisissante : les Tables de la Loi ne se lisent pas de haut en bas, mais en miroir. Le premier répond au sixième, le deuxième au septième, et ainsi de suite. Chaque commandement divin trouve ainsi son écho dans une loi humaine. Un Dieu de relation, pas d’absolu solitaire. Une Torah vivante, tendue entre ciel et terre.
Un texte structuré comme un dialogue
Cette lecture parallèle donne une cohérence nouvelle aux commandements, comme s’ils étaient gravés deux fois : une fois pour l’homme face à Dieu, une fois pour l’homme face à son prochain. C’est cette symétrie que les Sages soulignent, et qu’Edmond Fleg, lui-même fin connaisseur de la pensée juive, met en lumière avec une rare élégance.
1 – “Je suis l’Éternel ton Dieu” / 6 – “Tu ne tueras point”
Le premier affirme la source de la vie. Le sixième la protection de cette vie. Tuer un homme, c’est nier Dieu en lui. Nier le Créateur, c’est ouvrir la voie à la barbarie. L’un ne va pas sans l’autre. Le refus de l’homicide découle logiquement de la reconnaissance d’un Dieu créateur de chaque être humain.
2 – “Tu n’auras pas d’autre dieu” / 7 – “Tu ne commettras pas d’adultère”
L’idolâtrie et l’adultère sont deux formes de trahison. La fidélité attendue envers Dieu comme envers son conjoint est un pilier de l’éthique juive. “Aimer l’autre comme toi-même” commence par ne pas le trahir, et ne pas trahir Celui qui t’a libéré d’Égypte.
3 – “Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain” / 8 – “Tu ne voleras pas”
Prendre le nom de Dieu en vain, c’est usurper un pouvoir qui ne nous appartient pas. Voler, c’est usurper un bien qui ne nous revient pas. Dans les deux cas, c’est vouloir se faire plus grand que ce que l’on est. C’est confondre être et avoir.
4 – “Souviens-toi du jour du Shabbat” / 9 – “Tu ne porteras pas de faux témoignage”
Le Shabbat est un témoignage de vérité : “En six jours Dieu créa le monde, et le septième Il se reposa.” Le faux témoignage, à l’inverse, détruit cette vérité. Observer le Shabbat, c’est être un témoin fidèle de l’Ordre du monde. Mentir, c’est le trahir.
5 – “Honore ton père et ta mère” / 10 – “Tu ne convoiteras pas”
Les Sages, rapportés par Edmond Fleg, enseignent que celui qui n’honore pas ses parents, c’est comme s’il en honorait d’autres. Ce n’est pas seulement une faute morale : c'est une faute spirituelle. c’est une trahison de l’origine voulue par Dieu.
Refuser d’honorer ceux qui nous ont transmis la vie, c’est en nier la source.
Et convoiter, c’est le même rejet : désirer ce qui appartient à autrui, c’est refuser ce que Dieu nous a donné. Entre l’ingratitude filiale et la convoitise, les Sages voient une même rébellion : celle de l’homme qui refuse son lot.
Une Torah de correspondances et d’équilibres
Ce que cette lecture éclaire, c’est que les commandements ne sont pas juxtaposés, mais liés. Il y a une kabbale morale dans la Torah. Chaque mot pèse, chaque ordre correspond. Le premier mot du Décalogue, “Anokhi” (“Je suis”), est un acte d’amour. Le dernier interdit la convoitise, une forme ultime de rejet de l’autre. Tout est relation, tout est responsabilité.
Edmond Fleg, dans ce recueil publié en 1956, n’invente rien : il relaye la lecture rabbinique classique, notamment reprise par le Midrash Mekhilta et le Talmud (traité Shabbat), où l’on enseigne que les deux Tables étaient lues de manière parallèle. La lecture horizontale n’est pas une modernisation, c’est une révélation ancienne oubliée.
Une puissance renouvelée pour aujourd’hui
Dans un monde où l’on sépare trop souvent foi et morale, transcendance et éthique, cette lecture restaure une unité. Elle rappelle que croire en Dieu, ce n’est pas fuir l’homme. Et que respecter l’homme, c’est toujours honorer Dieu. La Loi juive n’est pas un code, c’est une structure de conscience.
Moïse, le Scribe des correspondances
Moïse n’a pas seulement gravé des commandements sur deux Tables : il a inscrit deux plans de la réalité. Le spirituel et le concret. Le théologique et l’éthique. Edmond Fleg nous invite à relire le Décalogue comme une architecture relationnelle, où chaque mot fait trembler un autre mot. Où Dieu et l’homme se répondent.
Ce n’est pas une pédagogie, c’est un mystère dévoilé.
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