Article paru dans "Le Monde",le 19/03/08
De mémoire d’expatrié, il n’avait jamais vu cela. «La visite d’Angela Merkel n’a pas suscité une seule critique dans la presse israélienne, pas un seul commentaire négatif dans la classe politique, c’est incroyable», s’émerveille Gorg Blochmann, le directeur du Goethe Institut de Tel-Aviv. Même les rares députés, à peine une dizaine, qui ont déploré que la chancelière soit autorisée à s’exprimer en allemand à la tribune de la Knesset ont salué sa venue. «Angela Merkel est une amie d’Israël. Elle fait beaucoup pour défendre notre existence contre la menace iranienne et contre le terrorisme», a ainsi reconnu l’un d’eux.
De son côté, Angela Merkel s’est employée à donner des gages à l’Etat juif, poussant l’élégance jusqu’à prononcer quelques mots en hébreu en préambule à son discours historique devant la Knesset. Arrivée en Israël avec une délégation impressionnante - huit ministres de premier plan - la chancelière a signé avec l’Etat juif un accord de coopération stratégique semblable à celui qui lie l’Allemagne à ses plus proches alliés européens. Sur le dossier du nucléaire iranien, elle fait preuve d’une incontestable fermeté, et ce malgré les investissements colossaux des entreprises allemandes en Iran.
Lune de miel. Cette visite officielle aux allures de lune de miel ne fait que traduire l’intensité des liens tissés depuis l’après-guerre entre la République fédérale et le jeune Etat juif. Au début des années 50, le débat autour du dédommagement des victimes de la Shoah avait déchiré la nation israélienne. D’un côté, les rescapés du génocide n’imaginaient pas un instant absoudre les Allemands à si bon compte. De l’autre, les pragmatiques opposaient le besoin urgent de fonds pour financer l’intégration de centaines de milliers d’immigrants. Les seconds l’ont emporté. L’Allemagne a indemnisé les survivants et injecté des milliards de marks en Israël. Aujourd’hui, c’est le premier partenaire économique d’Israël en Europe, le deuxième dans le monde après les Etats-Unis. Les grandes firmes allemandes sont bien implantées en Israël et les universités du pays accueillent chaque année des milliers d’étudiants venus d’Israël. Après avoir été très réticents à acheter allemand, les Israéliens raffolent de l’électroménager et des voitures made in Germany.
Cette franche camaraderie, voire ce parti pris assumé (Merkel ne s’est même pas rendue dans les territoires palestiniens), suscite quelques remous en Allemagne où des universitaires ont déploré, dans une lettre ouverte, l’influence de la Shoah sur la diplomatie. A la Knesset, la chancelière a effectivement rappelé que la culpabilité du génocide liait les deux pays ad vitam aeternam (lire ci-contre) .
«Regard neuf». Inévitable toile de fond des rapports israélo-allemands, le souvenir du génocide tend pourtant à s’estomper. «Cette semaine, j’ai réalisé un reportage dans un kibboutz dont les fondateurs sont des survivants de Buchenwald. Au début les gens refusaient de retourner en Allemagne ou même de parler allemand entre eux. Mais aujourd’hui la page se tourne. Les vieux retournent voir leur ville natale, recommencent à s’intéresser à la culture allemande», raconte Ouri Schneider, correspondant d’Arte en Israël. Quant aux jeunes Israéliens, sans rien ignorer de leur histoire, ils raffolent de Berlin, ville tendance, réputé aussi délirante que Tel-Aviv. Last but not least, la personnalité de la chancelière vient parfaire le tableau. «Merkel vient de l’Allemagne de l’Est. Pour elle, les fascistes se situaient à l’Ouest. Et elle n’a connu ni la période nazie ni de communautés juives. Elle aborde Israël avec un regard neuf. C’est ce qui la rend particulièrement populaire ici», estime Ouri Schneider.
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