Intersexuée, Zohar Maydan, l'actrice israélienne se livre et se raconte sans détour

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Intersexuée, Zohar Maydan, l'actrice israélienne se livre et se raconte sans détour

L’entretien brisé, la guerre et la scène : une parole difficile à libérer

Lors de notre première rencontre, quelques instants avant la représentation de la pièce Rhinocéros de Inoesco au théâtre Beit Lessin, avant la libération de tous les otages encore en vie à Gaza, Zohar Maydan ne parvenait pas à parler.
Les larmes lui montaient aux yeux et elle a demandé à interrompre l’entretien quelques minutes seulement après son début. Un moment difficile pour nous deux, face à une réalité insoutenable.
« La différence entre cette rencontre et celle-ci, c’est que maintenant, il n’y a plus d’enfants enterrés sous terre à Gaza », dit-elle.
« La guerre s’est arrêtée et nous pouvons enfin sortir de notre isolement et parler. Quand la guerre éclate, moi, traumatisée par les abus sexuels que j’ai subis et qui ont façonné ma perception du risque, je ne comprends pas qui combat qui, ni pourquoi on se bat, et je me coupe du monde. Je fuis. Maintenant, je suis beaucoup plus ouverte à la discussion. »

Dans le contexte israélien actuel, marqué par des années d’angoisse, les raisons de monter Rhinocéros, pièce majeure d’Eugène Ionesco écrite sous l’influence de la Seconde Guerre mondiale, de la montée du nazisme et de l’antisémitisme en Roumanie, ne manquent pas.
Les rhinocéros y représentent la violence, l’embrigadement et l’acceptation d’idées sans esprit critique. Cette pièce, mise en scène par Yair Sherman, n’a été jouée en Israël que très rarement.

Lorsque vous jouez dans la pièce, pensez-vous à la réalité politique actuelle ?

« Je crois que le 7 octobre a été un jour où un troupeau de rhinocéros a foncé entre nos jambes pour nous écraser. Depuis, nous cherchons tous notre place, tout comme les personnages de la pièce cherchent la leur. Pouvez-vous me dire ce qui est à droite ou à gauche ici ? Chacun est un rhinocéros à sa manière. »

Elle reprend : « Heureusement, le métier que j’ai choisi me permet aussi de m’évader, et lorsque je monte sur scène, j’incarne des personnages originaires d’une ville sans nom ni lieu. Le public se fera sa propre interprétation de la pièce. Tzipi a fait preuve d’un talent exceptionnel en montant cette pièce, et je sens, au vu des réactions, que le public l’apprécie et l’adore. »

Quel message le public retiendra-t-il de la pièce ?

« J’aimerais qu’il se demande s’il est plus influencé par lui-même qu’il ne le souhaite. »

Aujourd’hui, les pièces politiques sont presque absentes des scènes du pays ?

« Il devrait y avoir une place pour tout au théâtre, c’est ce qu’on m’a inculqué et c’est ce qui m’a toujours attiré. Si un auteur écrit une pièce bien construite, avec des personnages nuancés et complexes, et qui transmet un message humain, alors il a toute sa place.
Et malheur à celui qui utilise le théâtre pour manipuler les consciences. Je ne serais pas intéressée par une pièce qui dirait au public : “Choisissez le bon camp”, car alors mon théâtre ne s’adresserait qu’à une certaine partie de la population. »

Elle poursuit : « Il est clair que le théâtre israélien est bridé sur le plan créatif et artistique par crainte de perdre son public, son soutien et ses financements. C’est une institution qui survit tant bien que mal et qui croit profondément en elle-même, au sein d’une société qui ne saisit pas toujours l’importance de son existence ni celle du théâtre. Il y a des limites, et l’on cherche à marquer des points, à toucher un public aussi large que possible, alors la recherche d’évasion est aussi légitime. »

Où la guerre vous a-t-elle surprise ?

« Le 7 octobre, j’étais dans mon appartement rue Herzl à Tel Aviv. C’était surréaliste et terrifiant. On descendait avec un couteau pour promener le chien. Ce qui s’est passé et ce qui s’est passé depuis est inimaginable. Mon rythme cardiaque était d’abord à cinq mille pulsations, puis petit à petit, on s’habitue à cette réalité choquante et il diminue. »

Elle raconte : « Durant mes études d’art dramatique, j’ai subi plusieurs opérations. J’étais alors réserviste et, ne pouvant plus le supporter, ni idéologiquement ni éthiquement, j’ai demandé à être exemptée. Compte tenu de mon parcours, j’aurais pu, si je l’avais voulu, ne pas servir dans l’armée. Au début de cette guerre, pour la première fois de ma vie, j’ai eu une impulsion militante. J’ai même failli me réengager dans la réserve. L’immense peur qui m’a saisi au début du conflit m’a fait réfléchir à un retour actif dans Tsahal. »

La révélation : « À l’extérieur je suis une femme, à l’intérieur un homme »

Meydan, 37 ans, est née intersexuée et considère qu’il est essentiel d’en parler.
« À l’extérieur, je suis une femme, et à l’intérieur, un homme », dit-elle.
« Jusqu’à l’âge de neuf ans, on me disait que j’avais une bactérie qui nécessitait des analyses, rien de plus. J’ai exigé que ma mère connaisse la vérité, et elle m’a dit une vérité partielle : que j’étais née stérile et que je ne pourrais pas avoir d’enfants.
Si je pouvais remonter le temps et qu’on m’ait dit que j’étais intersexe, je me serais épanouie et j’aurais appris à me connaître grâce à cette vérité. Mais me dire que j’étais stérile dans une société comme la nôtre, c’est me dire :
“Tu es née défectueuse, tu es née brisée. Tu es une femme qui ne peut pas accomplir sa véritable destinée.” »

Étiez-vous en quête de votre féminité ?

« Je recherchais une forme sublime de féminité, je voulais me sentir femme. Ce n’était pas seulement le traumatisme de mon enfance qui me poussait à rechercher la féminité dans les relations sexuelles, ce qui engendrait aussi une grande vulnérabilité. Si je ne deviens pas mère, je deviendrai prostituée. »

Elle évoque ce jour qui a bouleversé sa vie : « À 24 ans, j’ai rencontré une médecin qui a appris qui j’étais. Elle était très enthousiaste et a commencé à me poser des questions. Puis elle m’a demandé si j’étais un homme ou une femme. Je lui ai répondu : “Je suis une femme”, en désignant mon corps. Elle a alors dit : “Oui, oui, à l’extérieur vous êtes une femme, mais à l’intérieur vous ne l’êtes pas. Comment vous sentez-vous quand vous vous regardez dans le miroir ?” C’était comme faire son coming out de la manière la plus brutale qui soit. »

Elle poursuit : « C’est précisément à ce moment de ma vie que j’ai commencé à me sentir femme et à jouer des rôles féminins. Ça m’a bouleversée, et de là est né un voyage de découverte, de compréhension et d’apprentissage sur ce que je suis et qui je suis, mais surtout sur ce que je ne suis pas censée être. Je ne suis pas censée être la femme parfaite, je ne suis pas censée me sentir féminine. Je peux l’être si je le veux, mais je ne suis imparfaite en aucune façon. Au début, je disais que j’étais une licorne. Je suis les deux. J’ai le droit de tout faire. »

En avez-vous parlé à vos parents ?

« Les professeurs nous ont donné très peu d’informations. J’ai dit à mes parents : “Mais pourquoi diable n’avez-vous pas fait plus de recherches ?” Je sais aussi pourquoi ils n’en ont pas fait. On dit aux jeunes parents : “Votre fille est née avec un problème, elle a besoin d’être soignée”, et ils font tout pour me soigner. Tout faire, c’est dénoncer le système de santé. »

Elle ajoute : « Nous en avons parlé quand j’avais une trentaine d’années, et les choses ont été dites assez ouvertement, mais aucun de nous ne cherche de coupable. Ils me soutiennent, m’aiment et regrettent les erreurs commises. J’essaie d’en tirer des leçons et de permettre à d’autres d’en faire autant. »

Elle vit aujourd’hui avec une compagne. « J’ai commencé à fréquenter des femmes à 33 ans, après 26 ans à rechercher la féminité et une personne qui m’aurait fait souffrir. Au cours de ma démarche de bien-être personnel, j’ai réalisé un jour que je ne me connaissais absolument pas, que pendant près de 30 ans, j’avais vécu avec des idées fausses sur moi-même, sur l’amour, sur les relations, sur la vie. »

Elle poursuit : « Au début, ce fut une période très difficile, j’avais l’impression de ne pas avoir été à la hauteur. Mais de là est née une conviction : allons-y, commençons à examiner qui je suis, ce que j’aime, ce que je n’aime pas, qui j’aime, ce qu’est l’amour, ce qu’est une émotion et ce qu’est l’attirance. En grandissant et en connaissant des moments de tristesse, j’ai réalisé que je ne suis pas un point sur une balance, je suis la balance entière. Je ne me définis pas. »

L’opération à 16 ans, la ménopause précoce et un corps bouleversé

En quoi consistait ce changement ?

« À 16 ans, j’ai subi une opération dont le seul but était de normaliser mon corps. Mes testicules ne s’étaient pas développés correctement, et on me les a retirés. On les qualifiait d’“organe non fonctionnel”, de “risque de cancer”. L’opération a quasiment détruit mon corps. À 16 ans, j’étais déjà en ménopause, avec de l’ostéoporose et une chute de cheveux. Je prends des médicaments depuis. Je n’ai plus les sécrétions hormonales de mes organes génitaux. Cela affecte mon taux de calcium, mon cerveau, tout. Je suis ménopausée depuis plus de 15 ans. »

Meydan est née à Rishon LeZion et a vécu à Moshav Shadma, près de Gedera, où réside sa famille. « J’ai eu une enfance difficile », dit-elle. « Des choses qui n’auraient jamais dû m’arriver se sont produites. J’ai été victime d’abus sexuels de la part d’une personne de mon entourage. Les abus sexuels subis pendant l’enfance modifient profondément la perception du monde et font croire que l’amour se résume à la sexualité, que tant qu’une personne désire votre corps, elle vous aime. »

Avez-vous confronté la personne qui vous a fait du mal ?

« J’ai pratiquement tourné la page sur cette histoire. Aujourd’hui encore, je porte les stigmates de ces blessures. Ce sont des choses qui restent gravées en moi à jamais, comme une sorte d’ADN. L’empreinte que l’on laisse sur le monde change lorsqu’on vit ce genre d’expériences à un si jeune âge. La souffrance a duré plusieurs années. À l’époque, j’étais complice. Enfant, on nous raconte des choses et on se forge sa propre vision du monde pour la rendre normale. Il m’a fallu 30 ans pour me défaire de l’idée que l’amour égale l’exploitation sexuelle. »

Ce qui m’a donné la force de continuer, c’est l’opportunité de raconter une histoire qui a du sens.

Les abus sexuels, la lettre à 12 ans et la thérapie qui a tout changé

Quand avez-vous réalisé que vous deviez parler des abus sexuels que vous aviez subis ?

« À l’âge de 12 ans, suite à une crise familiale, j’ai écrit une lettre à mes parents dans laquelle j’évoquais indirectement les abus sexuels que j’avais subis ces dernières années. C’est à ce moment-là que les abus ont cessé et que j’ai entamé une thérapie que je poursuis encore aujourd’hui. Lorsqu’on est victime d’abus si jeune, on va, comme beaucoup d’autres, chercher cet amour ailleurs. J’étais très exposée à ce danger et j’ai donc subi d’autres abus à plusieurs reprises. »

Elle poursuit : « À 26 ans, je traversais une période émotionnellement et mentalement éprouvante. J’ai atteint un point de non-retour, un événement où la question de la vie ou de la mort était devenue brûlante. Je suis sujette à la dépression, j’avais déjà suivi un traitement médicamenteux, mais j’avais réussi à m’en sortir. J’ai ensuite subi une autre épreuve et atteint à nouveau ce point critique. C’est alors que j’ai contacté une amie de Beer-Sheva qui travaillait au Centre d’aide aux victimes d’agressions sexuelles du Néguev. Je lui ai tout raconté et elle m’a prise sous son aile et m’a accompagnée jusqu’à ce centre. »

Et que s’est-il passé ensuite ?

« J’ai suivi six ans de traitement et depuis, je suis née de nouveau. Non, en fait, je n’ai pas vraiment renaît. On se forge une carapace plus résistante que celle d’origine. Je veux dire, aujourd’hui, je n’ai plus peur d’être blessée de cette façon. Je suis ancrée dans le présent, forte et mes valeurs et ma morale sont claires. »

Le poids, le regard, la double vie et le rapport au corps

Malgré ses problèmes de poids, Meydan a appris à les gérer depuis longtemps. « Dès mon plus jeune âge, on me traitait de grosse », dit-elle. « Socialement, c’était très difficile à vivre. On vous colle une étiquette péjorative, c’était un cauchemar. Tous les jours, j’appelais ma mère en pleurs depuis une cabine téléphonique pour qu’elle vienne me chercher à l’école, que je ne voulais plus y être. Pendant des années, je restais plantée devant le miroir à me sentir mal. J’aurais pu me gifler. Aujourd’hui, c’est du passé. Je sais m’apprécier. »

Elle poursuit : « À cause de tout ce que j’ai vécu, je suis passée maître dans l’art de mener une double vie. Je vis les épreuves de la jeunesse, mais je mène aussi une vie normale. Au-delà de l’hypersensibilité et de la prise de poids, il est impossible de deviner que je mène une double vie. Même aujourd’hui. Ma famille traverse actuellement la plus grave crise que nous ayons jamais connue, et je suis contrainte de m’en séparer. Je vis au rythme de la crise. »

Tu as toujours des problèmes d’obésité ?

« Non. J’en ai fini avec cette merde qui me rongeait profondément. Mon désir de changer mon corps était démesuré. Quand je soufflais mes bougies d’anniversaire, je disais : “Moi aussi, j’aimerais être mince.” Quand je déposais un message sur le Mur des Lamentations, c’est ce que je souhaitais. Je n’en suis plus là. J’ai arrêté de considérer mon corps comme un objet que je veux modeler selon des attentes et un idéal de beauté. Ce n’est pas si simple, mais il y a quelque chose de profondément offensant à réduire le corps à des normes culturelles. »

Elle raconte : « J’ai subi un pontage gastrique à un certain âge. Mon rapport à moi-même ne devrait pas être lié à mon apparence, mais à mon âme, à mes émotions. Je m’entraîne, je fais du sport et je vis dans une réalité où je ne mange pas tout comme tout le monde, mais je ne me prive de rien et je ne lutte contre rien. Mon corps me protège aussi. »

Comment ?

« Après la première agression sexuelle de ma vie, l’étape suivante a été de correspondre avec des hommes plus âgés en ligne et d’apprendre d’eux les secrets du sexe. Je leur ai menti en disant que j’étais mince, et ensuite, heureusement, je n’ai pas pu les rencontrer. »

Le théâtre comme refuge, vocation et renaissance

Meydan, qui a étudié l’art dramatique à l’école Goodman de Beer-Sheva, est passionnée de théâtre et de chant depuis son plus jeune âge.
« Je suppose que jouer la comédie était aussi une forme d’échappatoire à ce que je vivais », dit-elle. « Quand le théâtre a trouvé un cadre, comme celui de l’école d’art dramatique, et que mon talent a été reconnu, ce fut probablement mon premier coup de foudre. J’ai trouvé une passion, j’ai trouvé un rêve. Plus tard, j’ai également joué dans la pièce autobiographique solo Fertile, écrite par mon ami Yakir Eliyahu Vaknin. »

Votre apparence a-t-elle influencé les rôles qu’on vous a proposés ?

« Oui, bien sûr, comme pour tous les acteurs et actrices. J’attendais depuis des années d’avoir 40 ans. Cela me limitait quand j’en avais 22 et que je rêvais de jouer des rôles comme celui de Yulia. Depuis plusieurs années, j’obtiens des rôles stimulants, au Théâtre de Beer-Sheva où j’ai joué et maintenant à Beit Lessin. Petite, j’imaginais un jour être assise avec Oprah Winfrey et raconter mon histoire, celle d’une femme qui a réussi. »

Elle poursuit : « Dans les moments difficiles de ma vie, ce qui m’a donné la motivation et la force de continuer, c’est de pouvoir raconter une histoire qui a du sens. Nous discutons actuellement de la prochaine production à Beit Lessin. J’aimerais beaucoup faire de la bonne comédie, chanter. À Beer-Sheva, j’ai interprété des rôles chantés, par exemple dans Hero d’Amit Ullman et dans Soirée de chansons de Jacques Berle. Je suis ouverte à toutes les propositions. Je souhaite également retravailler avec Yair Sherman. Ce fut l’une des expériences de répétition les plus enrichissantes que j’aie vécues. Yair aborde le théâtre d’une manière extraordinaire et développe un langage qui lui est propre. »

Et la télévision et le cinéma

« J’ai fait quelques petits rôles ici et là. J’adore la caméra. Chaque chose en son temps. Je ne poursuis rien de particulier. »

L’amour, la famille, l’avenir : « Je ne me définis pas »

Rêvez-vous d’avoir des enfants

« On verra bien ce que l’avenir me réserve. Devenir parent est la plus grande responsabilité qu’une personne puisse assumer. J’aimerais fonder une famille. Plus jeune, je ne m’imaginais pas avoir une famille et des enfants. »

Elle s’arrête un instant. Sa voix reste stable, mais le chemin qu’elle raconte est vertigineux. Pas d’analyse, pas de conclusion. Rien que les faits, ses mots, ses blessures et sa force.

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