Affaire Boualem Sansal : le camouflet algérien qui dévoile l’effondrement diplomatique français

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Affaire Boualem Sansal : le camouflet algérien qui dévoile l’effondrement diplomatique français

Par Eden Levi Campana

Affaire Boualem Sansal, quand les anciennes puissances sont obsédées par leurs souvenirs

Aux quatre coins de la Planète, la diplomatie française s’épuise.
Elle avance dans des espaces politiques qu’elle croit connaître, mais dont elle ne saisit plus ni les ressorts intimes ni les métamorphoses.
Emmanuel Macron incarne au plus haut degré cette incompréhension. I
l se déplace dans le monde comme si les autres nations étaient structurées par une rationalité institutionnelle comparable à celle de l’Europe. Comme si l’intelligence du discours suffisait à ouvrir des portes. Comme si la subtilité de l’analyse pouvait adoucir la violence des mémoires ou désamorcer l’hostilité des récits fondateurs.
En 2025, le monde réel n’obéit pas à ces catégories. Et chaque fois qu’il tente d’utiliser la parole comme clé de voûte diplomatique, le mécanisme se referme sur lui.

Macron continue de percevoir Israël et la question palestinienne comme si l’on en était resté aux années Oslo, c’est-à-dire à un moment où les catégories de la diplomatie occidentale avaient encore une prise sur les acteurs locaux.
Or l’architecture psychologique d’Israël a été profondément reconfigurée par la crise permanente de l’après-Oslo, par l’effritement de la confiance, par le poids de la mémoire sécuritaire, par le retour des déterminants identitaires et religieux.
Macron regarde cette réalité avec les yeux d’une Europe pacifiée qui croit encore que les conflits se résolvent en alignant des options, des concessions, des conférences, des imaginaires de paix. Pour Israël, surtout après le 7 octobre, ce langage n’a plus aucune pertinence.
Le conflit n’est plus structuré par des équations diplomatiques mais par des lignes de survie.

À cette incompréhension s’ajoute celle de l’écosystème moyen-oriental dans son ensemble. Macron aborde la région avec des catégories occidentales figées, comme si l’accord d’Oslo restait une espèce de matrice théorique dont il suffirait de réactiver les paramètres.
Mais le Moyen-Orient n’existe plus dans cette géométrie. Il fonctionne selon des dynamiques de puissance où l’Iran, le Hamas, le Hezbollah, le Qatar, la Turquie, les Émirats jouent chacun leur partition, indépendamment du cadre que les Européens voudraient imposer.
La France parle un langage qui n’est pas entendu. Elle propose un récit que personne ne partage. Elle se réfère à une architecture diplomatique défunte, comme si le simple fait de la mentionner pouvait la ressusciter.

L’affaire Boualem Sansal en est la démonstration la plus récente et la plus claire.
Macron a abordé l’Algérie comme on aborde un État moderne, doté d’une souveraineté politique unifiée, ouvert à la discussion, capable d’absorber le choc d’une analyse historique un peu appuyée.
Il a cru qu’un pays pouvait accepter de débattre de son propre récit national avec la même distance critique qu’un essayiste, qu’un historien, qu’un lecteur du Monde.
Il a cru que la politique se menait comme un séminaire. Mais l’Algérie officielle n’entre pas dans ce cadre conceptuel.
C’est un système composite, né de l’après-guerre de libération, structuré par une élite militaire qui se conçoit non comme un gouvernement, mais comme l’héritière d’un combat sacré.
Le pouvoir y obéit à des logiques où la mémoire n’est pas un champ d’étude, mais la matrice même de la légitimité. Contester un pan de ce récit revient à contester la légitimité de ceux qui en vivent.

Lorsque en 2021, Macron évoque l’absence de Nation constituée avant 1830, il croit formuler une vérité historique complexe, presque académique.
Le régime algérien, sur lequel pèse encore tout l’héritage psychologique d’une lutte anti-coloniale absolutisée, perçoit au contraire un coup porté à l’honneur du pays et, surtout, à la stabilité de son propre pouvoir.
Il n’y voit pas un débat, mais un assaut. Le seul réflexe possible est la riposte immédiate.
Le rappel d’ambassadeur, la fermeture de l’espace aérien, le gel poli des relations, tout cela ne relève pas d’une stratégie diplomatique sophistiquée.
C’est la réaction automatique d’un système politico-militaire pour qui l’honneur national, réel ou reconstruit, n’est pas négociable.
Dans cette grammaire-là, le silence serait une faiblesse et la faiblesse un effondrement.
Macron s’est trompé ici, et par la suite.
Il s’est surtout trompé à un autre niveau encore plus profond. Il a pensé qu’en court-circuitant le régime et en s’adressant directement à la jeunesse franco-algérienne en France, il pourrait établir un pont presque affectif avec la société algérienne, ou du moins contredire l’appareil idéologique du pouvoir.
Cette idée repose sur une lecture occidentale du lien entre État et population.
En Algérie, ce lien ne fonctionne pas ainsi.
Le régime a appris, depuis plus d’un demi-siècle, à transformer chaque parole française en ressource politique interne. Toute critique venant de Paris devient l’occasion de ressouder le corps national autour du pouvoir, même lorsque ce dernier est fragilisé ou contesté. Macron cherchait à fissurer le récit. Il n’a fait que l’alimenter.

Cette défaillance de lecture s’explique aussi par un malentendu culturel. En France, on croit volontiers que la nuance apaise. Que la précision historique désamorce la colère. Que les mots, bien pesés, peuvent servir d’antidote aux surinterprétations.
Mais dans cet espace post-colonial particulier qu’est l’Algérie officielle, les mots ne flottent pas librement. Ils sont enracinés dans une mémoire blessée, ritualisée, entretenue.
Ils appartiennent à une dramaturgie quasi sacrée, où la France tient le rôle éternel du danger que l’on doit encore conjurer. Pour Alger, la nuance n’est jamais un cadeau.
Elle est toujours une attaque masquée. La nuance n’est pas un signe de respect. Elle est la preuve que l’adversaire tente de reprendre l’ascendant. La diplomatie française n’a pas pris la mesure de cette disproportion symbolique.

La situation devient presque ironique lorsque l’on observe la place accordée à Abdelmadjid Tebboune dans les calculs français. Macron l’a traité comme un chef d’État doté d’une autonomie comparable à celle de ses homologues européens. Il a oublié que le président algérien, quel qu’il soit, est inséré dans un échiquier où ce ne sont ni les institutions ni même les figures officielles qui détiennent la clé des décisions, mais les équilibres internes du haut commandement militaire et des services de sécurité.
Un président algérien n’a pas la possibilité de répondre avec modération à une phrase française jugée offensante. Il doit surjouer l’indignation, faute de quoi son propre camp le suspecterait de complaisance. La réaction n’était donc pas un choix mais une obligation de survie.

L’affaire Sansal vient donc révéler une ligne de fracture plus vaste.
Alger a choisi de négocier avec l’Allemagne, non parce que Berlin lui serait plus sympathique, mais parce que cela permettait d’exposer la marginalisation d’une France qui ne comprend plus ses interlocuteurs.
Le camouflet est autant symbolique que stratégique. Il signifie que Paris ne dispose plus de la clef d’accès à son ancien pré carré. Il traduit aussi un basculement plus global.
Le prestige français n’est plus un levier. La parole française n’est plus redoutée.
L’analyse française n’est plus intégrée dans la prise de décision des autres États.
Le monde avance, et Paris continue d’agiter les outils conceptuels d’une époque révolue.

Il ne s’agit pas de dire que la France ne comprend rien. Il s’agit de reconnaître que sa diplomatie repose encore sur une métaphysique qui n’est plus opératoire.
Elle croit que les autres nations fonctionnent selon les mêmes ressorts psychologiques, les mêmes temporalités, les mêmes attentes.
Elle imagine que sa raison suffit à canaliser les passions politiques.
Mais ni l’Algérie ni Israël ni les États du Moyen-Orient ne se meuvent dans cette économie mentale.
Ils appartiennent à des univers où les récits fondateurs, les blessures non refermées, les mémoires instrumentalisées et la conscience aiguë de la vulnérabilité dictent les comportements plus sûrement que les concepts.

La France continue de parler comme si le monde était structuré par les accords d’Oslo, la logique des deux Etats pacifiques, la décolonisation classique, par des équilibres stables, par une logique de partnership.
Le monde, lui, s’est dissous dans une multiplicité de récits, de forces, de loyautés et de chocs mémoriels. À mesure que Paris s’obstine à utiliser les anciens instruments, les autres jouent une musique nouvelle, dont la France n’entend plus le rythme.
Il faut la suivre la quadruple mélodie du Qatar, pour ne citer que le pays le plus visible et le plus paradoxal. L’humiliation d’aujourd’hui ne vient donc pas seulement d’un rapport de force mal évalué. Elle vient d’un déphasage historique.
L’affaire Boualem Sansal n’est qu’un symptôme. Le véritable diagnostic est ailleurs. La France continue de penser que c’est la parole qui crée la réalité. Le reste du monde a compris depuis longtemps que c’est la réalité qui dicte la parole.

On peut certes continuer de répéter que l’Occident veut la paix, que son horizon moral demeure celui d’un monde réconcilié, d’un Moyen-Orient stabilisé, d’un Maghreb pacifié, d’un système international capable de se refermer sur ses blessures.
Ce désir est sincère, parfois admirable, souvent naïf.
Mais il omet un détail que peu osent formuler. Le jour où la région trouvera son propre équilibre, ce jour où les puissances locales, fédérées par leurs intérêts, leurs alliances changeantes, leurs souverainetés assumées, parviendront à désarmer leurs conflits ou à les réduire à des arrangements durables, ce jour-là il y a toutes les chances que l’Occident n’en soit ni l’architecte ni le garant.
La paix, si elle surgit, émergera d’une recomposition interne, d’un marché conclu entre acteurs régionaux qui n’auront plus besoin du regard européen pour se définir ou pour s’autoriser.  Dans un tel scénario, la France et plus largement l’Europe ne se retrouveraient pas seulement marginalisées.
Elles découvriraient que l’ordre nouveau s’est négocié sans elles et parfois même contre elles, dans la détestation tranquille de leur présomption morale. Il n’y aurait pas de siège vide pour elles dans la salle du Pouvoir, car personne ne penserait à leur laisser une chaise.
L’Occident veut la paix parce qu’il imagine qu’elle lui rendra son rôle de médiateur. Mais rien n’assure que la paix lui rendra quoi que ce soit.
Ce basculement ne serait pas une catastrophe, mais la simple reconnaissance d’un monde où les plaques tectoniques auront décidé de se passer de leurs géographes européens.
Elle pourrait sceller une ère où les anciennes puissances, obsédées par leurs souvenirs, seraient contraintes d’apprendre que la stabilité des autres peut très bien se construire sans leur tutelle. En attendant Boualem Sansal est libre.

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