MICHELE FITOUSSI, LA PERTINENTE. Par Eden Levi-Campana :
Auteure à succès, journaliste, militante, scénariste, mère de famille, haute étude, carrière de grande qualité, juive séfarade, Michèle Fitoussi a décidément tout bon.
Elle nous emmène aujourd’hui dans un voyage intime, celui de sa famille de Pantin.
- Quel est le point de départ de votre dernier ouvrage, « La famille de Pantin » ?
- MF : Il y a très longtemps que je réfléchis à cette histoire.
J’ai écrit un roman il y a une trentaine d’années, peut-être plus, autour des figures familiales, qui se déroulait en Tunisie entre les années 20 et 50, disons jusqu’à l’indépendance.
Mais il n’a pas plus à mon éditeur d’alors et je l’ai rangé en me disant qu’un jour j’allais le reprendre.
Il m’a fallu pas mal de temps pour m’y replonger et le point de départ cette fois, a été la visite annuelle à ma famille enterrée au cimetière de Pantin, un rituel que la plupart des Juifs entreprennent avant les fêtes de nouvelle année.
J’ai repris mon manuscrit, dont j’avais perdu la moitié, mes notes. J’avais tout oublié !
Et je suis repartie avec cette fois l’idée d’un récit et plus j’avançais dans mes recherches qui ont été solides, plus se précisait l’idée de mêler l’histoire de ma famille à celle des Juifs de Tunisie, qui est riche et mouvante.
- Une histoire universelle ?
- MF : Les histoires de famille sont universelles. Celles de l’exil aussi. Car la plupart des gens sont des déracinés, d’un pays, d’une ville, d’une campagne, tout le monde a dû apprendre ou réapprendre les codes dominants pour s’adapter.
Dans le livre il y a une phrase que j’aime particulièrement, « nous nous ressemblons tous ». Je parle là de ceux qui ont peuplé la Tunisie, Juifs, musulmans, chrétiens, Turcs, Italiens, Siciliens, Espagnols, Grecs, Maltais, etc…
Mais elle peut s’appliquer à l’humanité. Oui, tous nous aimons, nous rions, nous pleurons, nous souffrons et surtout nous mourrons. Les modalités importent peu. Alors mon histoire, celle de ma famille qui repose à Pantin, et plus généralement celle de ma famille avant eux et après eux, et plus généralement encore, celle des Juifs de Tunisie, c’est celle de nous tous. À quelques nuances près...
- Quels arguments utiliseriez-vous pour convaincre les lecteurs de la génération Z de se plonger dans cette lecture ?
- MF : Bien sûr, je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, mais pour comprendre le présent, il est bon, jeunes gens, de connaître le passé.
S’ils ont une origine tunisienne, ou séfarade, je leur parlerais des plats de leur grand-mère, des odeurs, des saveurs, des expressions qu’ils emploient sans rien savoir de leurs provenances, s’ils n’ont rien à voir avec tout cela, j’essaierai de titiller leur curiosité historique politique (la colonisation et la décolonisation, l’indépendance des peuples), ou je leur parlerai musique.
Mais je me rends compte en essayant de trouver des arguments que c’est compliqué.
Alors, je leur dirai simplement lâchez Tik Tok et lisez-moi !
- « Juifs arabes » est un terme politiquement correct ?
- MF : Je le pense, oui. Mais c’est un long débat. Il y a des Juifs de culture arabe, c’est une évidence, ce sont ceux qui peuplaient les terres d’Islam, mais on ne peut pas les réduire à cela.
Ils ont cette culture, certes, comme les Juifs d’Europe avaient la culture des pays où ils habitaient, mais de ceux-là on disait, on dit toujours, étaient Juifs polonais, Juifs italiens, Juifs roumains ou anglais.
Moi je préfère dire Juifs Tunisiens, Juifs algériens, Juifs marocains, Juifs Egyptiens. Il faut les englober dans leur pays d’origine, où ils sont arrivés pour la plupart, avant la conquête arabe, mais leur garder leur spécificité juive, qui a résisté contre vents et marées à la culture dominante, même si elle s’y est fondue aussi pour survivre en tant que minorité.
Si on parle de « juifs arabes » en oubliant les pays d’où ils viennent, on les inclut dans le vaste monde arabe, au risque de les perdre et de nier l’héritage hébraïque au profit du patrimoine arabe. C’est sympathique de vouloir mélanger tout le monde, mais c’est un peu naïf aussi.
C’est une vision unilatérale de cette histoire, où les Juifs ont quand même été des dhimmis, des soumis aux Arabes pendant onze siècles, et où il leur a fallu bien des ruses pour ne pas disparaître car ils étaient beaucoup moins nombreux.
Une personne qui n'est ni juive, ni tunisienne (voire les deux), va-t-elle prendre du plaisir à découvrir « La famille de Pantin » ?
- MF : Je l’espère, je le souhaite, je le conseille ! Ils vont grave kiffer !
« La famille de Pantin », Michèle Fitoussi
Date de parution : 01/03/2023
Editeur : Stock
Collection : La Bleue
Format : 13cm x 21cm
Nombre de pages : 288