Yona Dureau, Université de St Etienne, Mme Haudry Perenchio , Relations intercommunautaires juives et chrétiennes Les Traces dans Shakespeare
Article du colloque international
"Relations entre les juifs et les autres communautÈs dans les pays anglophones" du 16,17,18 décembre 1996 organisÈ par L'Université Paris X sous la direction de M. Claude LÈvy et Mme Frison. Article publié avec l'accord de M. Levy qui souhaite que de nombreux lecteurs d'Alliance viennent aux journÈes d'Ètude de l'annÈe 98-99 sur identitÈs(s) et judaÔsme et au colloque international qui aura lieu en l'an 2000. |
Shakespeare.
Ce nom est un pilier de la littérature anglaise. Lorsque j'évoquais il y a dix ans avec des professeurs d'anglais de l'Université Lyon 2 certaines occurrences du texte montrant des connaissances de cabbale chrétienne, et de kabbale juive, je voyais leurs sourcils se froncer, avant d'entendre un jugement qui tombait comme un couperet : "vous n'allez quand même pas prétendre que Shakespeare était Juif! Et puis tout le monde sait qu'il n'y avait pas de Juifs en Angleterre à cette époque!" Etudiante à Jérusalem à l'Université hébraïque, je discutais des sources juives dans Shakespeare avec Yosef Dan, puis avec Moshe Idel (élèves de Gershon Sholem) : "C'est évident pour nous, mais nous nous gardons bien d'en écrire une seule ligne car officiellement, nous ne sommes pas des enseignants d'anglais!".
A mon retour en France, j'étudais deux ans à l'Université Paul Valéry, et je fréquentais souvent la bibliothèque du centre élisabéthain, où je rencontrais M. Maguin. Je rencontrais à nouveau une résistance qui exprimait la crainte de bouleverser des frontières clairement tracées entre communautés différentes, frontières que des décennies de recherche sur les groupes religieux avaient peu à peu élevées. Ces frontières tombent peu à peu, et ce grâce à des recherches et des colloques comme celui organisé par Mme Frison, et qui montrent que si un fer existait à Londres pour marquer les convertis au judaïsme, c'est précisément parce que les individus échangeaient d'un groupe à l'autre, et ce certainement plus qu'à notre époque considérée comme ouverte. Je ne vais pas dans cet exposé présenter les traces kabbalistiques et cabbalistes chrétiennes dans Shakespeare, bien que leur nombre illustre une connaissance qui ne pouvait Ítre purement livresque.
Nous savons que certains enseignements ne se transmettaient que de rabbin à élève. Je vais commencer par vous présenter les traces de rencontres intercommunautaires dans l'oeuvre de Shakespeare, avant de me pencher sur les coštumes et rituels juifs décrits ou évoqués dans l'oeuvre shakespearienne et qui impliquent une connaissance de visu, avant de terminer sur des hébraïsmes typiques, qui sont comme les traces orales de conversations inter-communautaires.
I. Rencontres du Troisième Type
Les cahiers des Ambassadeurs retracent des communications importantes entre Catholiques et Protestants, mais montrent aussi que certaines boutiques d'imprimeurs servaient de centre de rencontre et de diffusion de la culture hébraïque, kabbalistique et autre. Considérant le caractère clandestin de cette culture et de la présence des Juifs en Angleterre, j'ai ludiquement choisi d'appeler ces rencontres "rencontres du troisième type", rencontres qui restaient plus ou moins secrètes, dissimulées, ou du moins discrètes. Cette clandestinité nous est signifiée par la tonalité particulière que prend l'allusion faite concernant une telle rencontre. On ne peut en parler de façon dévoilée. On dissimule dans un contexte comique. On marque une source par une phrase anodine, insignifiante, effacée par une tirade bouffonne qui suit. Il serait donc excessif dans cette perspective de considérer une information comme dérisoire parce qu'elle est donnée dans un contexte comique. Bien au contraire, dans notre quête des anomalies, nous avons prêté une attention particulière aux passages bouffons des comédies. Une première transposition historique importante apparaît dans The Merchant of Venice oùl'un des adversaires du marchand s'appelle Bassiano.
Rappellons que la pièce toute entière est une inversion en miroir d'une anecdote fort connue de cette époque et qui s'était terminée par une intervention du Pape pour sauver un Juif qui ne pouvait rembourser un emprunt. Une inversion supplémentaire faisant de Bassiano-le Juif un chrétien opposé au Juif permet de voiler un certain nombre d'allusions aux coutumes juives dans sa bouche ou dans celle de Portia sa fiancée.
Qui était le personnage historique de Bassiano?
La famille des Bassiano était la famille des musiciens juifs de la cour d'Angleterre depuis Henri VIII, originaires de Venise. Situer Bassiano dans le contexte vénitien n'est donc pas innocent. Un autre détail semble renforcer la thËse d'une rencontre directe entre un membre de cette famille et Shakespeare : la pièce montre Shylock hantant le Rialto.
Or le ghetto de Venise, est assez proche du Rialto. Autre connaissance particulière, Shylock se fait accompagner d'un serviteur chrétien, armé, pour répondre à l'invitation de Bassiano. Les Juifs n'avaient pas le droit de sortir la nuit du ghetto d'une part, sauf s'ils se voyaient accompagnés d'un chrétien, mais de plus, ils avaient ý leur service des chrétiens venus proposer dans le ghetto de menus services. Il fallait bien un contact juif à Shakespeare pour connaître de tels détails, et la présence des Bassiano à la cour d'Angleterre et dans la pièce du marchand de Venise est une piste intéressante. Nous verrons dans notre deuxième partie que cette pièce montre une connaissance de certaines pratiques et croyances juives qui soutiennent encore cette hypothèse. Que dire enfin de Bellario, autre personnage shakespearien d'origine visiblement juive, puisque jusqu'aujourd'hui subsistent des familles juives de ce nom à Venise.
Autre piste, autre hypothèse :
l'obsession de Shakespeare pour les oies est difficilement réductible à la représentation de l'Angleterre populaire, des jeux du pays de Galles en particulier. Certes à cette époque, on devait manger des oies, et l'injonction de Macbeth enjoignant un de ses suivants à venir griller son oie peut être prise au premier degré. Certes, l'oie est un animal sacré dans nombre de civilisations, symbole de l'âme dans la civilisation indo-européenne transmis dans l'inconscient collectif par les archÈtypes culturels. Mais aucune coutume anglaise ne fait état d'enterrement de l'oie et la phrase "I'll go and dance on the grave of the goose" ("j'irai danser sur la tombe de l'oie") ne me paraît pas avoir un sens littéral sauf si on suppose que l'oie désigne David Gans, qui avait traduit une première fois son nom en arrivant en France, et qui pouvait très bien avoir traduit son nom ý nouveau pour certains cercles d'étude .
La présence de David Gans en Angleterre a déjà été prouvée. Evoquée par André Néher dans son livre sur David Gans, l'importance de David Gans a été développée et démontrée par Mme Frison. Parler donc de David Gans, c'est aussi signer l'existence d'un contact, d'une rencontre. Enfin, Shakespeare a eu des contacts multiples certes avec des Juifs, mais non identifiés, pour aborder le texte biblique dans sa version hébraïque. Prenons pour exemple les paroles de Caliban, personnage rustre de La Tempête , dont on peut noter que le nom se décompose en Cain et EVL (lu alors sous sa forme hébraïque dépourvue de voyelle)-Abel.
Ce personnage énonce une citation du texte biblique hébraïque, alors même que la traduction de James Il n'a pas encore été publiée si l'on considère les dates officielles (The Tempest, 1611 ; The Holy Bible, 1611) Caliban : I must eat my dinner. This island's mine, by Sycorax my mother, Which thou takest from me. When thou camest first, Thou strokest me and madest much of me, wouldst give me Water with berries in't, and teach me how To name the bigger light, and how the less, That burn by day and night [...] (The Tempest, Act I scene 2, line 330) Bible James I verset 16 And G. made two great lights the greater light to rule the day and the lesser light to rule the night L'expression "bigger" utilisée par Caliban est en fait plus proche du texte hébraïque d'origine, et ne se voit utilisée dans aucune traduction antÈrieure ý celle de James I. Cette connaissance du texte hébreu ne se limite pas ý une connaissance livresque.
Nous allons le voir à présent : Shakespeare, dont la tradition des bibliothècaires de la British Library rapporte qu'il avait lui-même été un des traducteurs de la Bible de James I, Shakespeare connaît aussi un bon nombre de rituels juifs. Il s'agit de rituels quotidiens ou bien associés à des coutûmes liées à des fêtes, et seule une connaissance du milieu juif pouvait les lui avoir fait connaître.
II. Les Rituels Juifs dans l'oeuvre shakespearienne
Plusieurs présentations s'avéraient possibles. Je pouvais vous présenter ces rituels selon l'ordre traditionnel, en respectant leur application quotidienne ou annuelle, ou bien prendre quelques pièces, quelques personnages soupçonnés de judaïsme dans Shakespeare, et étudier leurs faits et gestes. Commençons par cette deuxième hypothèse en nous penchant sur la pièce fameuse du Marchand de Venise, avant d'aborder la seconde en étudiant des rituels juifs présentés de façon éparse dans quelques pièces.
1. Les Juifs et leurs rituels
Shylock est le fameux marchand juif, vêtu de la "Jewish gabardine" semblable en cela à tous les marchands juifs de Venise, qui devaient en outre porter un chapeau jaune, le jaune étant la couleur réservée aux Juifs. Le nom de Shylock signifie "celui dont la/les boucle(s) est/sont timide(s)". Son nom est donc une allusion directe à la coutume concernant les païos, c'est-à-dire l'interdiction biblique de raser les trois côtés du visage expliquant que les Juifs religieux ne coupent pas leur cheveux devant les oreilles. Cette coutume chez les Juifs sépharades - c'est-à-dire donc bien de la communauté de Venise, ou de celle de Londres réfugiée d'Espagne - est plus souvent appliquée en retirant la mèche de cheveux derrière l'oreille pour plus de discrétion, comme si la boucle était "timide". On peut aussi voir dans ce nom le destin de Shylock, qui va s'éloigner du judaïsme par intérêt et va donc d'une certaine façon avoir honte de ses boucles.
A l'Acte I scène 2, vers 32, Bassiano invite Shylock à doner. Shylock refuse à cause des lois de la kashrut, et ce de façon véhémente et explicite : Bassiano : If it please you to dine with us. Shylock : Yes, to smell pork ; to eat of the habitation which your prophet the Nazarite conjured the devil into. I will buy with you, sell with you, talk with you, walk with you, and so following, but I will not eat with you, drink with you, nor pray with you.[...] (The Merchant of Venice, Act I scene 2, l. 32) On peut supposer qu'un chrétien quelque peu informé sait que les Juifs ne mangent pas comme les chrétiens et qu'ils ne peuvent consommer des aliments préparés dans un plat ayant auparavant servi des aliments non cashers. Mais la logique des événements de la pièce suit une logique juive.
C'est lors de sa seconde invitation à dÓner, lorsque Shylock cède, qu'il perd sa fille. Cette logique appartient à la tradition orale. Elle ne se trouve pas à ma connaissance, décrite ni dans la Michna, ni dans le Talmud. Le comportement d'un homme a des conséquences directes sur le destin de ses enfants, et sur celui de sa fille en particulier. Si son comportement le mène à l'assimilation, sa fille s'assimilera et se mariera avec un non-Juif. Il est donc significatif que ce soit précisément à l'heure où Shylock décide de renoncer à la kashrut que sa fille s'échappe pour se marier avec un non-juif. Jessica, sa fille, porte un nom qui lui-même a donné du fil à retordre aux historiens. Le père du Professeur Lowe, ayant constaté que ce nom apparaissait dans un texte anglais pour la première fois dans Shakespeare, avait cherché dans les papiers du STARS (papiers d'état civil juif de Londres) et retrouvé ce nom comme désignant une veuve qui aurait procédé à une transaction de maison au XIIIe siècle.
Le nom est donc significatif. Il est rare, il est juif, et il est historiquement lié à une anecdote se déroulant à Londres. Qui d'autre qu'un Juif pouvait avoir raconté cette histoire ancienne à Shakespeare ? Jessica, dans un dialogue avec Launcelot qui lui fait remarquer que son hérédité paternelle est lourde et que son âme est damnée, lui répond que ce ne sont pas les pêchés du père qui retomberont sur les fils, mais que ce sont les pêchés de la mère. Par cette réponse, elle fait évidemment allusion au fait que le judaïsme considère que la judaïté est transmise par la mère. Launcelot : Yes, truly; for look you, the sin of the father are to be laid upon the children [...] for truly I think you are damned. There is but one hope in it that can do you any good, and that is but a kind of bastard hope neither. Jessica : And what hope is that, I pray thee? Launcelot : Marry, you may partly hope that your father got you not, that you are not the Jew's daughter. Jessica : That were a kind of bastard hope indeed : so the sins of my mother should be visited upon me. ( The Merchant of Venice, Act III scene 5) Enfin, l'argument invoqué par Shylock pour refuser son argent et demander vengeance, est un argument religieux propre au judaïsme : il lui est interdit de ne pas tenir une promesse, un serment sous peine de parjure éternel, constituant le plus haut niveau d'offense, vis-à-vis de la divinité. Portia : Shylock, ther's thrice thy money offer's thee. Shylock : An oath, an oath, I have an oath in heaven: Shall I lay perjury upon my soul? No, not for Venice ( The Merchant of Venice, Act IV, scene 1)
2. Les autres pièces, les autres personnages, et les pièces shakespeariennes
On pourrait penser que ces détails du texte sont le résultat d'une petite enquête soucieuse de donner une certaine réalité à ses personnages. Les traces de rituels juifs dans les pièces shakespeariennes sont cependant d'autant plus remarquables qu'elles émaillent l'oeuvre sans être liées à des personnages juifs. Par exemple, dans King Lear, Kent à l'Acte II, injurie Oswald, en le traitant de "mangeur de viande brisée", ce qui ne constitue pas vraiment une insulte dans le monde anglo-saxon. Oswald : What dost thou know me for? Kent : A knave ; a rascal ; an eater of broken meats ; [...] (King Lear, Act II scene 1 v. 12) Or, pour la tradition juive, un animal aux os ou ý la viande brisée est impropre à la consommation, il est déclaré taref - impur - au moment de l'abattage. Si nous suivons le thème de la kashrut dans les pièces de Shakespeare, nous trouvons des expressions qui sont d'autant plus troublantes qu'elles correspondent à des hébraïsmes.
Dans Othello, Iago invective son épouse en l'envoyant aux cuisines : Iago : Hark, how these instruments summon to supper The messengers of Venice stay the meat : Go in, and weep not ; all things shall be well L'expression "stay the meat" n'existe pas en anglais, et c'est sa seule occurence dans les oeuvres shakespeariennes. En revanche, c'est un hébraïsme, désignant les directives très précises concernant la cachérisation de la viande qui consiste à la laisser - le verbe hébraïque utilisÈ ici étant de même racine que rester - dans le sel.
Peut-être que la présence de messagers venus de Venise n'est pas non plus un hasard, et que ces messagers sont juifs. Toujours en ce qui concerne la nourriture, notons la rÈcurrence du carbonado, inconnu des professeurs d'espagnol, désignant apparemment de la viande grillée directement sur le feu, ce qui du point de vue de la kashrut juive la rend immédiatement consommable, ce qui dans le cas du foie ou des entrailles constitue mÍme la seule façon kasher de la préparer. Ce terme nous intéresse aussi de par son origine espagnole évidente, alors que la communauté des juifs réfugiés à Londres et à Amsterdam venait aussi d'Espagne. Quittons le domaine de la nourriture et considérons d'autres lois coutumières.
Péricles décide lorsqu'il apprend la mort de sa femme de se laisser pousser la barbe et les cheveux. Ce rite est un rite de deuil juif. La pièce insiste sur la liaison de ce geste avec le sens du deuil puisque Périclès se rasera de nouveau le visage quand il retrouvera sa femme qu'il croyait morte. La barbe orne le visage des sages, nous dit le Talmud. Il s'agit alors d'une barbe qui reste de taille raisonnable, et qu'il est permis de tailler. Les pièces de Shakespeare abondent d'allusions à des barbes que l'on souhaite voir attribuée à un autre personnage, comme Dumain s'adressant à Katherine dans Love Labor's Lost A wife! a beard fair, health and honesty (Love Labor's Lost, Act V, II, 830) Dans la même pièce Rosaline souhaite une barbe à Bérone, mais l'exemple est moins significatif puisqu'il peut s'agir d'un voeu d'une virilité plus marquée. Le mariage nous amène à considérer l'homme adulte. Le mariage juif combine trois formes légalement possibles de mariage selon le judaïsme : échange d'une bague d'une valeur estimable ; contrat de mariage écrit ; et relations sexuelles.
Selon la loi juive, un cadeau de valeur échangé équivaut ý un mariage. Dans ce contexte, la colère de Shylock vis-à-vis de sa fille qui a cédé la bague qui lui fut offerte par son épouse est double : c'est le signe même de leur engagement qu'elle a cédé pour un singe. Shylock : Out upon her! Thou torturest me, Tubal : It was my Turquoise ; I had it of Leah when I was a bachelor : I would not have given it for a wilderness of monkeys (The Merchant of Venice, Act III, scene 1, L. 125) Autres gestes coutumiers : le respect du livre de la Torah s'exprime pour les Juifs sÈpharades par un baiser déposé sur le livre. C'est ce que dit Stephano à Trinculo dans une parodie d'initiation lorsqu'il nomme "livre" une bouteille Here, kiss the book. Thou thou canst swim like a duck, thou art made like a goose. (The Tempest, Act III scene 2) Après son mariage, l'homme peut avoir des enfants, qu'il est amené ý bénir.
La bénédiction demandée par Cordelia dans King Lear est celle d'une bénédiction juive faite par un père à ses enfants, en tenant ses deux mains au-dessus de leur tête : Cordelia : O look upon me, sir, And hold your hands in benediction o'er me : No, sir, you must not kneel. (King Lear, Act IV, scene 6, l. 56) Evoquons à éun autre rituel, celui de la circoncision. Je n'ai pas fait de recherche exhaustive sur ce mot, par manque de temps. Mais j'ai constaté une anomalie concernant Othello. Othello se suicide à la fin de la pièce éponyme, en s'invectivant lui-même d'une injure : I took the rascal by the throat the circumsized/uncicumcized dog And smote him thus (Othello Act V scene 2) Dans les deux versions existantes, l'injure est incompréhensible. Othello est circoncis, pourquoi cela constituerait-il brusquement une injure à ses yeux ?
"L'incirconcis" ne devrait pas le désigner puisqu'il est un Maure. Une explication combinant les deux sens peut être avancée, dans le sens où selon le judaïsme, un musulman est circoncis sans l'être puisque la forme de sa circoncision ne suit pas le rituel juif. Dans un autre domaine, le rythme de la vie est marqué par la fête hebdomadaire de Shabbat, qui selon le Talmud peut être commencé à la sixième heure de la journée, reflétant l'espoir que le messie arrive dans le sixième millénaire. C'est l'heure à laquelle Prospero a indiqué à Ariel que tout labeur doit cesser : Prospero : Now does my prospect gather to a head : My charm crack not ; my spirits obey ; and time Goes upright with his carriage, How's the day? Ariel : On the sixth hour ; at which time, my lord, you said our work should cease. (The Tempest, Act V scene 1) Enfin, lorsqu'un livre est rendu inutilisable parce que certaines de ses lettres ont été effacées, ou lorsqu'une communauté s'enfuit sans pouvoir emporter les livres de Torah, les saints livres sont enterrés.
C'est ce que fait Prospero à la fin de La Tempête, lorsqu'il enterre les livres si profondément sous l'eau qu'aucune sonde ne les atteindra. Le terme "bury", enterrer une personne, correspond très exactement une fois de plus au terme hébraïque : Prospero : [...] But this rough magic I here abjure, and, when I have required Some heavenly music, which even now I do, To work mine and upon their senses that This airy charm is for, I'll break my staff Bury it certain fathoms in the earth, And deeper than did ever plummet sound I'll drown my book. (The Tempest, Act V, scene 1 l. 48-60) On notera enfin que les rubans jaunes croisés du costume de Malvolio dans Twelfth Night est une allusion au jaune imposé aux Juifs dans leurs vêtements, et que le ridicule du personnage est lié à cette allusion. Rencontres de Juifs, connaissances de coutumes du judaïsme, expressions hébraïques. C'est sur ce dernier point que nous voudrions terminer cet exposé.
III. Hébraïsmes dans la langue shakespearienne
Nous avons déjà donné quelques exemples, le plus frappant étant celui de l'expression "stay the meat", "rester la viande" et désignant la cachérisation par le sel de la viande. Notons quelques exemples d'expressions proches de l'hébreu : To break est utilisé dans le Marchand de Venise au sens hébraïque du terme : casser une règle, c'est la transgresser. Le verbe apparaît aussi dans une autre pièce Deux Gentilhommes de VÈrone, dans le mÍme sens (Acte I,4). Antonio : Shylock, although I neither lend nor borrow By taking nor by giving of excess, Yet, to supply the ripe wants of my friend, I'll break a custom[...] (The Merchant of Venice, Act I, scene 1, 62)
C'est ce sens qui est utilisé à la fin des ješnes pour exprimer le moment où il est permis de manger, et on pourra noter au passage que c'est après Shakespeare que l'expression entre définitivement dans la langue avec le breakfast. (en 1679 selon l'Oxford Dictionary). Cain's red : rouge comme Caïn, fait appel à une connaissance particulière de la tradition orale juive qui prêtait à Caîn et Esa¸ des cheveux rouges (Merry Wives of Windsor, Acte I, scene 4, 23) Enfin le mot de Eyne (qui correspond très exactement à la translittération du terme hébraïque pour oeil) est utilisé dans de nombreuses pièces, dont Love Labor's Lost, (V,II, 206), dans Midsummer Night's Dream, (I, 242) Dans Love Labor's Lost encore, une conversation oppose Moth à d'autres personnages qui le traitent de Shirrah. Mettant en évidence le jeu de mots polylingue, Moth demande : Quare Shirrah, Not Sirrah. Ce jeu de mots met en valeur le sens hébraïque de Sirrah, Prince, utilisé aussi pour la divinité, ainsi que le sens hébraïque du deuxième terme, shirrah, le chant, ou le cantique des cantiques.
Conclusion :
Il resterait encore beaucoup à dire sur les contacts de Shakespeare avec le monde juif, qui ont peut-être commencé avec l'amitié et la collaboration qui le liaient à Florio, son éditeur, dont on disait que le père Ètait juif. Shakespeare dédit son oeuvre à son second best-bed, sa femme. Est-ce parce que sa première femme serait la Uxor Hebraica de Reuchlin? L'enquête est loin d'être terminée!
Bibliographie sommaire
Bloch, Marc, Les Rois Thaumaturges , Paris, Gallimard, 1975. Heymann, Fritz, Tod oder Taufe, Vertreibung des Juden aus Spanien und Portugal, J¸discher Verlag, Frankfurt am Main, 1992. Litoman, V.D. Three Centuries of Anglo-Jewish History, Cambridge : Hester and Son, 1961. Lloyd Jones, G., The Discovery of Hebrew in Tudor England, Manchester U. Press, Manchester, 1983. Hill, Christopher, Antichrist in Seventeenth-Century England, Oxford, 1957. Zakai, Avihu, Exile and Kingdom : History and Apocalypse in the Puritan Migration to America, Cambridge : Cambridge University Press, 1992 |
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