
Elles ont observé avec assiduité les lois de Nida (pureté familiale) mais se sont senties profondément frustrées, esseulées et humiliées. Aujourd'hui, alors que la Nida est devenue un sujet brûlant, elles veulent que leur voix soit également entendue : cinq femmes qui décident d’elles-mêmes quand se rapprocher et quand s'éloigner de leur partenaire s’expriment sur les blessures et les cicatrices que cette Mitsva, commandement divin, a laissé en elles.
Ayala Dekel, 39 ans de Modi'in, directrice de la yeshiva laïque de Bina
Dans l'une de mes conversations avec la personne qui m’a préparée au mariage, nous avons parlé du moment où je perds du sang – et où je deviens immédiatement impure. Chaque écoulement de sang. Chaque tache. Et depuis lors, j'ai commencé à me vérifier tous les jours et à attendre le moment où la couleur changera, comme un carton rouge qui nous contraindra à prendre nos distances.
" Ce sera pareil au moment des accouchements ", m’a-t-elle alors dit. " Pendant les accouchements ? ", lui ai-je demandé. Mais c'est un moment où l’on se sent si vulnérable, qui n’a aucun lien avec les relations sexuelles, une étape de votre vie où vous avez plus que jamais besoin d'un câlin de la part de votre mari, la personne la plus proche de vous au monde. " Ce n'est pas facile, m’a-t-elle répondu, mais c'est la loi ".
Nida. Exclusion. Rejet. Tous les mois, l’un après l’autre. Il est interdit de toucher. Il est interdit de se rapprocher. Il est interdit de s’étreindre. C’est interdit. Interdit. Interdit
Ce besoin de chaleur corporelle qui ne peut pas toujours être satisfait. Un sentiment de culpabilité qui enfle dans le cœur lorsque l'on envisage de partir en vacances mais que l'on se heurte aux sept jours de pureté. Ou quand il est clair que vous êtes sur le point d’ovuler, mais que la période de pureté se trouve rallongée à cause d’une tache rebelle qui vous fera manquer l'ovulation cette fois aussi. Et si vous voulez tout de même tenter d’aller au mikvé à temps, vous devrez mettre votre sous-vêtement dans une enveloppe et l’envoyer à un tiers. Pourquoi voudrais-je envoyer ma culotte à un homme étranger pour qu’il l’examine ?
La période de Nida n'est pas une chose simple.
Dans l'environnement dans lequel j'ai grandi, le corps était un non-dit, invisible. Tout contact, tout regard hasardeux était un désastre potentiel. Mon corps et moi étions deux entités distinctes : il essayait de me tirer vers le bas, vers les royaumes du péché, et j'étais censée l’élever dans des sphères hautes et pures. Et tout cela dans le plus grand silence. Mais juste après le mariage, la situation a changé : chaque mois, j'ai dû l’exposer à la balanit (la femme chargée de surveiller l’immersion dans le mikvé), me tenir nue devant elle, gênée, pendant qu'elle m’examinait et mesurait mon niveau de pureté. Rien dans mon adolescence pudique ne m'avait préparé à cette transition brutale. Personne ne m'avait dit qu’après le mariage, mon corps tomberait dans le domaine public.
Petit à petit, j'ai pris la responsabilité de mon corps, j'en ai exclu les paramètres halakhiques, les interdits, les taches et les impuretés. J'ai commencé à l'aimer, à découvrir les pouvoirs qui se cachent en lui, à lui donner une place dans le monde.
Cette révélation, le fait de pouvoir choisir pour mon corps, affirmer qu’il est en ma possession en et non en celle des hommes qui ont écrit la halakhah, fut une révélation foudroyante qui a changé mon monde. Je suis restée profondément enracinée dans le monde juif, connectée à mes racines culturelles et spirituelles. Mais cette fois - librement. Une liberté grâce à laquelle, les doigts tremblants sur le clavier, je peux aussi écrire ces mots.
Anonyme, 36 ans, du centre du pays
J’ai toujours été religieuse et il était clair pour nous que nous respecterions les lois de pureté familiale, mais après le mariage, ce concept est devenu choquant. Apporter mes sous-vêtements à un rabbin pour qu’il les regarde et décide quoi faire était une expérience inconcevable, insupportable et humiliante. Ajoutez à cela l'expérience du mikvé, nue devant une balanit qui me soupçonne de n’être ni assez religieuse, ni assez pure.
J'ai essayé de rendre l'événement du mikvé romantique et intime, mais la vérité est autre. Mon mari et moi nous sentions plus distants que jamais après deux semaines de séparation. Il y avait comme un obstacle entre nous et rarement de coordination dans le désir sexuel ce soir-là. C'était tellement artificiel et même si j'ai tout fait pour l’éviter, j’ai fini par mettre fin à ce qui a somme toute été la période la plus humiliante de ma vie.
J'ai beaucoup lu et appris au sujet de cette mitsva et de ses origines et j'ai soudain compris ce sentiment d'aliénation : ceux qui ont inventé cette humiliation sont des hommes, qui n'ont rien à voir avec le corps de la femme. Leur but est de donner des limites à la femme, de circonscrire ses désirs et l'égalité qui aurait pu exister entre elle et son partenaire.
Après la disparition du monde de toutes les impuretés masculines, seule l'impureté féminine est restée, pieusement préservée. C'est ce que je ressens aujourd'hui, 16 ans après mon dernier mikvé. Des toiles de peur et de contraintes se sont tissées autour de la Nida pour préserver la souveraineté sur le corps de la femme et ainsi la contrôler.
J'ai décidé de ne plus participer à cette excommunication. Je ne serai pas exclue, je ne suis pas impure ! Mon cycle menstruel est sacré et mon corps est sain et merveilleux. Personne ne s’immiscera dans ma matrice, dans notre couple et dans notre vie privée.
Talia Golan - Dr Lamgender, chercheuse, écrivaine et conférencière sur les droits des femmes dans le domaine médical et militante sociale
J’ai respecté les lois de Nida pendant de trop nombreuses années. Pendant de trop nombreuses années, je me suis sentie sale, impure, rejetée, aliénée. Pendant de trop nombreuses années, j'ai vécu dans la peur que le pire m'arrive si je n’étais pas assez pointilleuse. Je me vois encore vérifiant mes pertes vaginales deux fois par jour avec un morceau de tissu blanc. Ne pas oublier, avant le coucher du soleil. Je me souviens de mon anxiété à propos de la possibilité de trouver un petit point rouge et de devoir tout recommencer.
J'étais une toute jeune femme quand j’ai pris les cours de préparation, cérémonie d'initiation de la société religieuse pour une femme sur le point de se marier. Une cérémonie d'intimidation au cours de laquelle j'ai été exposée à tout le "bon", le "merveilleux", le "divin" et le "spirituel" qui seraient mon lot si je suivais les instructions et ne posais pas de questions.
"Pendant deux semaines, vous allez vous embrasser, vous étreindre, avoir des relations intimes - et les deux semaines suivantes, vous resterez loin de lui. Ne vous déshabillez pas en sa présence, ne le touchez pas, ne lui passez pas d'objet de peur que vos mains se touchent et que vous le rendiez impur. C’est le mode d’emploi pour une relation de couple merveilleuse et une vie heureuse ".
Le rite du mikvé semble romantique et spirituel, mais c'est une cérémonie qui préserve les rapports de force entre les femmes et les hommes : une cérémonie outrageante au cours de laquelle des balaniot humilient des femmes en examinant leur corps avec une minutie halakhique pour s’assurer qu’aucun cheveu ou égratignure n’annulera les effets de l'eau purificatrice. Une cérémonie misogyne et discriminatoire, où une femme doit s’immerger pour que l'homme puisse la toucher. Pas un mot sur ce qui vous irait, ce que vous aimeriez, sur la manière dont vous vous sentez dans votre corps. Pas un mot sur vos désirs, vos envies, les moments qui vous conviennent. Vous n'existez pas. Vous êtes l’outil contenant les désirs de votre mari et la diablesse tentatrice.
Les femmes de la société religieuse passent par un rouleau compresseur et des années d'éducation qui les rendent soumises jusqu'à l'abnégation. Les années de grossesses et les accouchements ne permettent pas du tout d'apprendre les désirs du corps. Des années d'exclusion ne permettent pas de voir au-dessus de la muraille et de dire : " Cela ne me convient pas ".
Je veux toucher et être touchée quand je le veux et non pas en fonction d’une horloge halakhique. Je veux sentir mon corps et ne pas respecter les commandements divins. Je veux profiter, me reposer et me détendre entre les bras de celui qui est mon conjoint, mon allié et non mon rival. Je veux "avoir mal à la tête" quand ça me convient, et non quand un juge halakhique l’a décidé pour moi.
Ne me vendez pas d'histoires selon lesquelles une femme a besoin de se préserver et de se purifier pour "maintenir la fraîcheur de la relation". Je l’ai fait durant de trop nombreuses années. J’en porte encore les stigmates.
Tal, 34 ans, de Ramat Beit Shemesh 1
Je me souviens bien du mois où j'ai pris la décision de mentir à mon mari et de lui dire que j’étais propre cinq jours après le début de mes règles. Cela durait toujours longtemps et j’étais très frustrée tant que le tissu de vérification ne ressortait pas blanc comme neige. Ensuite, nous devions courir et demander si c’était cacher ou s’il fallait attendre un jour supplémentaire jusqu'au prochain test. Nous rations l'ovulation, mois après mois.
Mon mari était probablement également très affecté et il était secrètement content que je lui dise que c’était bon. Je suis tout de suite tombée enceinte. D'une manière ou d'une autre, il a découvert que je lui avais joué un tour, mais il semble que lui aussi réalisait qu’en agissant autrement, nous ne deviendrions jamais parents.
Après la naissance, je n’avais pas le courage d'aller au mikvé. C'était un soir d’hiver glacial et l'idée de devoir me déshabiller et me tremper me faisait frissonner. Nous avons décidé de compter sur une toilette minutieuse dans notre baignoire. Mon mari, qui étudiait la Torah, a trouvé dans les textes un moyen de contourner la loi.
Au début, nous avons continué à respecter les lois d’éloignement (certains rabbins disent qu'un mari et une femme n'ont même pas le droit de jouer aux échecs pendant cette période). Mais assez rapidement, nous avons senti que cela ne tenait tout simplement pas la route. On peut dire que le fait de négliger cette mitsva nous a entrainés à faire de même avec d’autres mitsvots. Nous avons décidé de les examiner avec un regard plus critique. Bien que mon mari et moi soyons issus de familles vraiment orthodoxes, nous pensions qu'il était impossible de continuer ainsi. Ma conscience féminine a alors pris vie.
Anonyme, 40 ans du nord du pays
Nous nous sommes mariés très jeunes. Nous ne venions pas de foyers particulièrement religieux mais le cadre halakhique nous convenait à cette époque. Nous avons expérimenté cette idée en suivant les règles à la lettre et en faisant des ajustements au fil du temps. Nous vivions dans un petit village où chaque femme avait une clé du mikvé, il n’y avait pas vraiment de balanit, il suffisait d'appeler une amie pour vous accompagner et répondre amen à la bénédiction. C'était parfois sympa de se retrouver comme ça hors du quotidien et je n'étais pas pressée de rentrer chez moi. Après tout, la nuit du mikvé n'a rien de spontané ou d'un sursaut de passion, tout est compté et planifié. Nous croyions en cette démarche pour préserver notre couple.
Les années passant, nous avons déménagé dans une grande ville, nos enfants sont nés et l'expérience du mikvé est devenue beaucoup moins confortable et encore plus mécanique, à cause de la balanite inconnue et de la honte que je ressentais à me tenir nue devant elle pour l’inspection. Et ce après une course contre la montre dans les jours qui précédaient, rendez-vous chez le coiffeur, l’esthéticienne ou la pédicure. Le soir, je rentrais à la maison auprès de mon conjoint bien-aimé qui halakhiquement (et socialement) n'était pas tenu de se préparer du tout pour tout cet événement, il était juste là à m'attendre. L'asymétrie dans la mitsva me dérangeait de plus en plus.
Un soir, j'ai abordé le sujet avec mon mari. Nous nous sommes servis un verre de vin et avons décidé ensemble que nous ne le ferions plus. C'était une décision de couple, de vivre nos vies avec une boussole intuitive - et cela nous rend très heureux.
Source Mako.co.il quotidien israélien article traduit par Judith Douillet
"En 1993, j'étais rédactrice dans le premier magazine juif en France, Shalom Madame, l'un des sujets que nous avions choisi pour un des numéros était justement le MIKVE, le bain rituel.
J'ai rencontré le Rav Shlamé alors spécialiste de la question,à Paris, voici les termes de la conclusion de notre entretien "En effet, si le bain rituel a pour but de purifier de l'impureté de mort l'épouse à l'issu de ses règles, il convient de rappeler qu'aujourd'hui nous sommes tous contaminés par l'impureté de la mort, depuis la disparition de l'eau lustrale"
En définitif tous les rituels observés depuis des siècles étaient dans un but ultime, de ne pas les oublier, afin de pouvoir les observer en Israël dans un premier temps mais également lors de la reconstruction du 3eme Temple.
L'eau lustrale était composée des cendres de la peau d'une vache rousse déversées dans l'eau du bain. Cette association permettait à tous les juifs de se purifier à la suite d'un deuil ou lors d'un contact avec un cadavre humain." Claudine Douillet
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