Article paru dans "Le Point", le 06/11/07
Ce
n'est assurément pas son meilleur film, mais c'est au moins une
curiosité à découvrir grâce aux éditions Montparnasse et à leur coffret
Gary Grant (où l'on retrouve, entre autres, L'impossible Monsieur Bébé
et Soupçons ). Six mois après To be or not to be , de Lubitsch, un
autre maître de la comédie américaine, Leo McCarey, décide de soutenir
l'effort de guerre en faisant rire avec Lune de miel mouvementée , tout
en faisant triompher l'astuce et le bon droit yankee sur la méchanceté
nazie. Grant y incarne un journaliste américain chargé d'ouvrir les
yeux d'une Américaine (Ginger Rogers) sur la vraie nature de son mari,
un baron autrichien, Von Lüber, qui vend des armes trafiquées à toutes
les capitales qu'Hitler va envahir au fur et à mesure : Vienne, Prague,
Varsovie, Oslo, Amsterdam, Paris.
Ce
tour d'Europe démarre assez bien, avec Gary Grant en faux tailleur qui
prend les mesures de Ginger Rogers avec un mètre qui n'est pas de
couture, et quelques répliques qui font mouche : quand Vienne reçoit
les nazis en 1938, on se précipite vers Ginger Rogers qui s'habille :
"Hitler arrive". "Eh bien, qu'il attende", répond-elle. Autre bonne
idée : le gâteau de mariage sur lequel est dessinée la carte de la
Tchécoslovaquie, démembrée au couteau.
La suite est plus
laborieuse, excepté l'étonnant passage où Grant et Rogers, qui sait
désormais à quoi s'en tenir sur son mari, sont emmenés dans un camp,
car arrêtés en possession des papiers d'identité de la domestique juive
de Ginger Rogers. On entend alors, dans l'obscurité, des chants juifs
de lamentation, tandis que Gary Grant s'inquiète sur son avenir. Puis
finalement, dans sa grande bonté d'âme, il a une pensée pour tous ceux
qui les entourent, sans pourtant prononcer le mot juif le plus souvent
banni à l'époque des écrans hollywoodiens par les directeurs de majors,
qui étaient cependant souvent juifs. Mais par discrétion, par volonté
d'assimilation, ils avaient décidé que la réalité juive serait occultée
au cinéma.
Lune
de miel mouvementée fait quelque peu exception, car on entend à
plusieurs reprises le mot juif , mais curieusement, pas à ce moment-là,
le plus dramatique, du film. La vision des camps est elle-même un
euphémisme, surtout lors de l'interrogatoire, où l'insolence de Grant
envers les nazis est assez invraisemblable. Mais voilà au moins le
premier film américain qui montre cette réalité. Il est bien sûr
curieux que les camps fassent leur apparition dans une comédie, ce qui
tend à atténuer leur gravité. Fallait-il procéder ainsi ? Ou bien
simplement suggérer leur horreur ? Questions à remettre dans le
contexte : on est au printemps 1942, et les informations sur le sujet
sont encore très parcellaires.
Même si l'on revoit les images
d'Hitler (qui passe subrepticement lors d'une soirée donnée par von
Lüber) à Paris, Grant, parfait en chevalier-servant, léger, ironique et
en même temps déterminé à tordre le cou aux nazis, parviendra à
confondre le traître Von Lüber, qui avait jeté son dévolu sur une femme
américaine. Comédie intéressante à plus d'un titre, mais qui est loin
d'atteindre le niveau de To be or not to be .
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