
Netanyahu annonce la reprise totale de Gaza et la distribution d’aide humanitaire : stratégie militaire ou compromis politique ?
Une déclaration ambiguë à la croisée des feux : calmer Smotrich tout en rassurant Washington
« Nous allons prendre le contrôle de toute la bande de Gaza et apporter de l’aide, car nous avons atteint la ligne rouge », a déclaré Benjamin Netanyahou dans une vidéo diffusée lundi matin. Une formule à double tranchant, qui sonne comme une promesse de victoire militaire autant qu’un signal de conciliation envers ses partenaires occidentaux — et peut-être, plus subtilement, un message adressé à ses ministres les plus radicaux, au premier rang desquels Bezalel Smotrich.
Smotrich monte au créneau : « Pas un grain de blé »
Depuis plusieurs semaines, le ministre des Finances menace de claquer la porte si une quelconque aide humanitaire est à nouveau introduite à Gaza. Il avait averti sans détour lors d’une interview à Makor Rishon : « Si même un seul grain d’aide humanitaire parvient au Hamas, je quitterai le gouvernement et le cabinet ». Pour lui, toute aide est « un soutien logistique à l’ennemi en temps de guerre », qui annulerait les succès militaires israéliens et nourrirait la machine de guerre ennemie.
Et pourtant, ce lundi, c’est bien Netanyahou qui, sans passer par un vote du cabinet, a tranché : l’aide humanitaire reprendra. Une décision qui place Smotrich face à son ultimatum, et pose une question de fond : le Premier ministre cherche-t-il une sortie de crise humanitaire… ou une sortie politique à ses tensions internes ?
Une ligne rouge… diplomatique
Netanyahou le reconnaît : la pression est immense. « Nos meilleurs amis au monde, des sénateurs fervents défenseurs d’Israël, m’ont dit qu’ils nous soutiendraient dans l’élimination du Hamas, mais qu’ils ne pouvaient pas continuer face à des images de famine massive », a-t-il déclaré. Et de préciser : « Pour remporter la victoire, nous devons résoudre ce problème. »
Le Premier ministre a ainsi détaillé un plan : établir des points de distribution sécurisés, sous contrôle de Tsahal, inaccessibles au Hamas, et confier la logistique à des entreprises américaines. « Ce sera lent à mettre en place », reconnaît-il, « alors nous devons, d’ici là, maintenir une médiation minimale, pour qu’il n’y ait pas de faim. »
Une aide sous tension : le cabinet s’écharpe, le vote est refusé
Cette décision unilatérale, prise sans le vote du cabinet, a enflammé les rangs de la coalition. Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale, a exigé un vote — en vain — et fustigé la décision sur X : « Nos otages n’ont aucun statut humanitaire ».
Même son de cloche chez le ministre du Patrimoine Amichai Eliyahou : « Netanyahu pouvait entrer dans l’Histoire comme celui qui a vaincu l’islam radical, mais il laisse à nouveau passer sa chance. » Le député Moshe Saada, lui, s’indigne : « Envoyer cinq divisions de Tsahal pour éradiquer le Hamas tout en lui envoyant nourriture et fournitures, c’est immoral. »
Le malaise est palpable. L’avocate générale Gali Baharav-Miara a validé la démarche sans vote, mais les ministres présents l’ont perçue comme dictée par Washington. Le chef du Conseil de sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, a même accusé Ben Gvir de « sédition ».
Gaza, théâtre d’une opération politique
Le Premier ministre se défend : « Ce n’est pas facile de prendre ces décisions. Il faut du leadership. Beaucoup de ministres sont d’accord en privé, mais ils subissent la pression de leur base. » Il évoque une « victoire combinée » : libération des otages et chute du Hamas. Mais le flou reste total.
Dans les coulisses, certains ministres du cabinet assurent que cette aide n’est qu’un pis-aller jusqu’à la mise en place des nouveaux dispositifs américains, prévue pas avant le 24 mai. En attendant, l’armée distribuera l’aide dans les zones non soumises aux combats.
Un débat moral ravivé : et les otages ?
Kobi Ohel, père d’Alon, enlevé par le Hamas, s’est insurgé : « Mon fils n’a reçu aucune aide humanitaire. Si une partie en reçoit, l’autre aussi doit y avoir droit. » Son cri fait écho à une colère grandissante dans la société israélienne, où l’aide à Gaza est perçue par certains comme un abandon moral des captifs israéliens.
Un Premier ministre en équilibre instable
En toile de fond de cette manœuvre, une réalité brutale : Netanyahu tente de concilier les injonctions de ses alliés américains, le risque humanitaire croissant à Gaza, et la pression d’une aile ultra-droite menaçante pour la survie de sa coalition.
En choisissant de réintroduire l’aide, Netanyahou cherche-t-il à gagner du temps, à éviter une rupture avec Washington ou à pièger Smotrich ? Car si ce dernier démissionne, la droite radicale perd son levier. S’il ne démissionne pas, il perd sa crédibilité.
La décision semble donc moins dictée par la seule logique militaire que par une tactique politique sophistiquée : contenir la droite tout en restant dans les bonnes grâces des soutiens internationaux. Une équation périlleuse, dans une guerre où chaque geste, chaque convoi, chaque mot pèse des tonnes.
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