
Eli Cohen, l’homme de Damas : le retour d’un héros invisible
Une mémoire qui resurgit, soixante ans après son exécution
Il y a des visages que l’on n’a jamais oubliés, même quand ils ont disparu derrière les murs opaques de l’Histoire. Eli Cohen est de ceux-là. Soixante ans après son exécution à Damas, l’État d’Israël pourrait bientôt accueillir, enfin, les restes de l’un de ses plus illustres agents secrets, dont le sacrifice silencieux a contribué à la survie de la nation.
Dans un mouvement chargé d’émotion et de reconnaissance, des objets personnels du célèbre espion — lettres, documents, photographies, clé de son appartement syrien — ont été rapatriés dans le cadre d’une opération secrète du Mossad, marquant le début d’un possible retour physique et symbolique en terre d’Israël.
Une vie dévouée à Israël, dans l’ombre des salons de Damas
Né en 1924 à Alexandrie, en Égypte, dans une famille juive syro-aleppine, Eliyahu Ben-Shaul Cohen émigre en Israël en 1957. Rapidement repéré pour son intelligence, sa prestance et sa capacité d’adaptation, il est recruté par les services de renseignement israéliens. De 1961 à 1965, sous l’identité de Kamel Amin Thaabet, homme d’affaires syrien pro-palestinien, il infiltre les plus hautes sphères politiques et militaires syriennes.
« Il n’était pas un espion au sens froid et cynique du terme », dira plus tard un de ses anciens collègues du Mossad. « C’était un homme de foi, un patriote, prêt à tout risquer pour sauver des vies. »
Dans les salons dorés de la bourgeoisie damascène, Eli Cohen devient un intime du pouvoir. Il participe à des réunions confidentielles, visite les positions militaires sur le plateau du Golan, et envoie à Israël des centaines de messages codés. Son travail sera déterminant dans la préparation de la guerre des Six Jours, remportée par Israël en 1967.
Le trésor intime d’un espion – entre douleur et fidélité
Parmi les 2 500 objets exfiltrés lors de cette opération du Mossad figurent des pièces d’une valeur émotionnelle inestimable. On y trouve la clé de son appartement à Damas, des lettres manuscrites à sa femme Nadia, écrites dans une langue vibrante d’amour et de résignation, son testament, des photographies inédites prises durant sa mission, des carnets de notes codés, mais aussi des documents d’identité falsifiés ayant servi à bâtir son identité syrienne de Kamel Amin Thaabet.
Ces objets, retrouvés dans un appartement abandonné à Damas, dormaient depuis des décennies dans l’ombre. Chaque pièce raconte une vie entre deux mondes : celle d’un homme jouant le rôle de sa vie, au bord du gouffre.
Un responsable israélien confie : « C’est comme si Eli Cohen nous parlait à nouveau. Ses lettres sont saisissantes. Il s’y adresse à ses enfants, qu’il n’a plus revus. Il demande pardon. Il explique pourquoi il a choisi de servir Israël jusqu’au bout. »
L’arrestation, le supplice et le silence
Mais son courage a un prix. En janvier 1965, les services syriens, aidés officieusement par des Soviétiques, interceptent ses transmissions. Arrêté, torturé, jugé sommairement, Eli Cohen est pendu publiquement sur la place Marjeh à Damas, le 18 mai 1965. Il laisse derrière lui sa femme Nadia, trois enfants, et une nation éplorée.
Malgré les appels incessants d’Israël et de la famille Cohen, les autorités syriennes ont toujours refusé de restituer sa dépouille. Nadia Cohen, qui n’a jamais cessé de militer pour ce retour, disait encore récemment : « Je n’ai pas besoin de vengeance. J’ai besoin d’un lieu pour prier. Un lieu pour lui parler. »
Une mémoire restituée, des objets chargés d’âme
Dans une opération complexe, menée dans la plus grande discrétion par le Mossad, quelque 2 500 objets appartenant à Eli Cohen ont été exfiltrés de Syrie. Parmi eux : la clé de son ancien appartement, ses lettres à Nadia, des photographies jamais vues, son testament. Ce trésor intime, retrouvé après des décennies, réanime la mémoire d’un homme dont la trace était devenue presque mythique.
Le chef du Mossad a déclaré : « Ces objets sont bien plus que des reliques. Ce sont les témoins d’une histoire de loyauté, de douleur et d’honneur. »
Et de conclure : « Nous continuerons, coûte que coûte, à ramener Eli à la maison. »
Une nation qui refuse d’oublier
Le 18 mai 2025, soixante ans jour pour jour après son exécution, le ministre des Transports a annoncé que la station de train Yosseftal, à Bat Yam — ville où Eli Cohen vécut — portera désormais son nom. Un geste symbolique fort, qui ancre son souvenir dans le quotidien israélien.
Mais au-delà de la mémoire, c’est une dette morale que le pays s’efforce de solder. Car Eli Cohen n’est pas seulement un héros du passé : il est le visage de cette fidélité absolue qu’Israël exige parfois de ses enfants. Celle d’un homme qui a joué sa vie pour une idée, une patrie, un avenir.
Le retour d’un regard
Eli Cohen ne reviendra pas vivant, mais il revient en lumière. Par ses objets, ses lettres, ses choix, il incarne ce que l’on nomme, dans la tradition juive, mesirat nefesh : le don total de soi.
Dans une époque où les frontières du courage s’émoussent, sa silhouette se dresse, droite et silencieuse, comme un rappel. Celui que l’amour du peuple et de la terre d’Israël passe parfois par le sacrifice suprême.
Peut-être qu’un jour prochain, une pierre recouverte d’un drapeau bleu et blanc accueillera enfin Eli Cohen. Et sur cette pierre, on pourra lire, non pas simplement son nom, mais l’épitaphe d’un peuple reconnaissant : « L’homme de Damas, l’âme d’Israël. »
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