
Israël est-il encore sous la menace nucléaire de l’Iran ?
Entre destructions apparentes et résistances souterraines, le vrai bilan des frappes
Le 13 juin, Israël lançait une première offensive ciblée contre les installations nucléaires iraniennes. Une semaine plus tard, les États-Unis lui emboîtaient le pas, frappant à leur tour les sites stratégiques de Fordo, Natanz et Ispahan. Bombes perforantes anti-bunker, missiles de croisière, avions furtifs et sous-marins nucléaires ont été mobilisés pour ce que Donald Trump a qualifié de « succès militaire spectaculaire ». Mais derrière les communiqués triomphants, une autre réalité émerge : celle d’un programme nucléaire iranien peut-être meurtri, mais loin d’être anéanti.
Des dégâts visibles mais un sous-sol toujours actif ?
À Fordo, les images satellites confirment l’impact de six bombes anti-bunker. Le site est l’un des plus sensibles du programme nucléaire iranien, avec plus de 1 700 centrifugeuses de dernière génération, capables d’enrichir de l’uranium à 90 % – la qualité militaire – en trois jours. L’AIEA évoque une possible altération de la montagne recouvrant le complexe, laissant supposer une atteinte sérieuse aux salles souterraines. Mais, comme le reconnaît son directeur Rafael Grossi : « À ce stade, personne ne peut dire quels sont réellement les dommages qui ont été causés à l’installation souterraine. »
Même incertitude à Natanz, autre cœur du programme nucléaire, déjà ciblé par Israël le 13 juin. Deux nouveaux cratères y sont apparus. Les experts estiment que les centrifugeuses auraient pu être endommagées par les coupures électriques, mais aucune inspection n’a pu le confirmer. Les installations d’Ispahan, centre névralgique de la recherche nucléaire iranienne, ont quant à elles vu une vingtaine de bâtiments détruits. Et surtout, selon l’AIEA, « les entrées des tunnels utilisés pour le stockage de l’uranium enrichi ont été touchées », de même que l’installation clé de conversion de l’uranium, « gravement endommagée » selon ISIS.
L’alerte de l’AIEA : un risque “inimaginable”
Pour Rafael Grossi, le danger dépasse les dégâts militaires visibles. « Les attaques armées contre des installations nucléaires ne devraient jamais avoir lieu », a-t-il déclaré. « Elles mettent en danger le pacte de non-prolifération et les destructions pourraient atteindre un niveau inimaginable. » Car si aucun pic de radiation n’a été enregistré, il est impossible de vérifier les affirmations iraniennes faute d’accès sur site. L’AIEA rappelle que le stock déclaré d’uranium enrichi de l’Iran – 9 250 kg dont 400 kg à 60 % – est suffisant pour fabriquer une dizaine d’armes nucléaires s’il atteignait les 90 %. Ce stock pourrait avoir été déplacé vers des sites secrets.
Or, selon plusieurs sources de renseignement citées par CNN et le New York Times, c’est exactement ce qu’il s’est passé : l’essentiel de l’uranium enrichi aurait été évacué avant les frappes. Des mouvements de camions aux abords de Fordo ont bien été enregistrés par images satellite. Le rapport préliminaire de la Defense Intelligence Agency (DIA) va plus loin, évoquant des sites d’enrichissement non répertoriés encore actifs. Le programme nucléaire iranien aurait donc seulement été retardé « de quelques mois ».
Un programme ralenti, mais toujours en marche
Contrairement aux affirmations de la Maison-Blanche, ce rapport affirme que les frappes n’ont pas détruit les installations nucléaires mais seulement « scellé les entrées » et endommagé « des structures de surface ».
Les centrifugeuses les plus profondes seraient encore fonctionnelles.
La fabrication de métal d’uranium, essentielle pour armer une bombe, a pu être interrompue, mais temporairement. De nombreux experts, israéliens et américains, estiment aujourd’hui que la course à l’arme nucléaire de Téhéran n’est ni stoppée, ni affaiblie de façon durable.
La porte-parole de Trump, Karoline Leavitt, conteste ces analyses, affirmant que les quatorze bombes de 13 tonnes chacune ont provoqué une « annihilation totale ». Mais l’histoire récente rappelle les précédents désaccords de Donald Trump avec ses propres services de renseignement, comme en 2019 lorsqu’il avait publiquement contredit la CIA sur le respect par l’Iran de l’accord nucléaire (JCPOA).
Israël face à une menace toujours présente
La question centrale reste donc : Israël est-il encore sous la menace nucléaire de l’Iran ? La réponse, quoique nuancée, est inquiétante.
Malgré les frappes israélo-américaines, les experts évoquent un simple délai technique de quelques mois. Le stock d’uranium, loin d’avoir été détruit, serait dissimulé ailleurs, potentiellement dans des installations clandestines surveillées par le Corps des Gardiens de la Révolution. En cas de volonté politique affirmée, l’Iran pourrait, selon les experts, disposer de matière fissile à 90 % en moins d’une semaine.
Rafael Grossi alerte également sur un autre risque, environnemental celui-là : l’hexafluorure d’uranium, hautement toxique, pourrait provoquer des fuites en cas de stockage inadapté ou de transfert précipité. Au contact de l’humidité, il se transforme en acide fluorhydrique et en fluorure d’uranyle, deux substances particulièrement dangereuses pour la santé.
Un pacte secret sous les bombes ? La troublante hypothèse d’un accord invisible entre ennemis
Malgré l’apparente réussite militaire, une zone d’ombre persiste : comment les frappes israélo-américaines ont-elles pu viser, sans provoquer de catastrophe environnementale, des sites censés abriter de l’uranium enrichi à 60 % ?
Plusieurs analystes évoquent aujourd’hui une manœuvre délibérée de Téhéran, qui aurait déplacé en amont ses stocks les plus sensibles, évitant ainsi un désastre chimique et radiologique.
Mais cette anticipation soulève une question troublante : l’Iran a-t-il été informé à l’avance ? À défaut d’un accord explicite, certains n’excluent pas un jeu diplomatique clandestin visant à préserver les matières nucléaires tout en offrant aux États-Unis un coup d’éclat favorable à Donald Trump.
Si tel était le cas, cela marquerait un tournant inédit : l’ennemi de façade ayant, en coulisse, coopéré dans l’intérêt stratégique mutuel. Aucun élément formel ne permet de confirmer cette hypothèse, mais les zones d’ambiguïté, les mouvements documentés d’uranium et les bénéfices politiques immédiats nourrissent les spéculations.
L’histoire jugera si cette guerre de l’ombre a accouché d’un pacte mortifère.
Une victoire fragile et un avenir incertain
Les frappes israélo-américaines ont marqué une escalade spectaculaire. Mais elles n’ont pas clos le dossier nucléaire iranien. La diplomatie reste l’ultime rempart avant une possible nouvelle guerre ouverte. Comme le résume le directeur de l’AIEA : « Même si nous ne sommes pas d’accord sur les causes de cette crise, nous avons encore cela en commun : ne pas vouloir de nouveaux États dotés de l’arme nucléaire. »
Israël, malgré l’ampleur de l’opération, ne peut se considérer entièrement protégé. Téhéran conserve une capacité de nuisance et une volonté intacte. Les prochaines semaines, entre inspections refusées, rumeurs de nouveaux sites secrets et course contre la montre pour l’enrichissement final, seront déterminantes.
sources : Le Point et Futura-Sciences
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