Entre missiles et mythes : deux visions d’Israël qui s’affrontent

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Entre missiles et mythes : deux visions d’Israël qui s’affrontent

Israël, fantasme ou réalité ? Le malentendu douloureux entre la Diaspora et les Israéliens.

« Ne confondez pas le Saint des saints avec le bureau du Premier ministre. » – pourrait-on dire à certains de nos frères de la Diaspora, tant leur ferveur confond parfois foi et pouvoir, sacré et politique.

Depuis le 7 octobre, une fracture silencieuse mais vertigineuse s’est ouverte entre deux visions d’Israël.
D’un côté, les Juifs de la Diaspora – particulièrement en France, mais aussi en Amérique ou ailleurs – qui, confrontés à un antisémitisme devenu socialement acceptable, s’agrippent à Israël comme à un absolu, un roc intangible, intouchable, infaillible.
De l’autre, les Israéliens juifs – ceux qui vivent ici, qui enterrent leurs enfants, qui servent, qui critiquent, qui pleurent, qui votent, qui subissent – et qui, pour continuer à aimer ce pays, se doivent justement de le regarder en face.

L’État et le sacré : la confusion des ordres

Dans la tradition juive, ce n’est pas la terre qui rend l’homme pur, mais l’homme qui sanctifie la terre. Moïse n’entre pas en terre promise, précisément pour avoir confondu la puissance divine avec la sienne. Le désert fut le creuset d’un peuple, pas la fin du voyage. Et pourtant, chez certains Juifs de la Diaspora, Israël est devenu un absolu sacré, une arche politique indéboulonnable. Critiquer le gouvernement ? « Sacrilège ». Évoquer la corruption ? « Antisionisme ». Oser dire que certains choix militaires ou politiques sont discutables ? « Gauchisme, trahison, goyisme »…

Or, les Israéliens n’ont pas ce luxe. Ils ne peuvent pas idolâtrer l’État, car ils en vivent les failles. Ils ne peuvent pas se contenter d’un soutien « inconditionnel », car leur condition est celle de la réalité : impôts, deuils, missiles, conscription. Loin du fantasme, ils sont dans le quotidien – avec sa complexité, ses contradictions, ses douleurs.

La psychologie d’un amour figé

La Diaspora aime Israël comme on aime un rêve. Elle ne le connaît souvent qu’à travers des récits mythifiés, des visites organisées, ou des discours communautaires calibrés. Le lien est affectif, presque religieux. On n’aime pas Israël pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il représente : la revanche sur l’Histoire, la concrétisation d’un idéal, le refuge symbolique.

Mais comme dans tout amour idéalisé, le réel est une menace. Alors, on le nie. On refuse d’écouter les voix discordantes d’ici. On préfère se taire, ou pire, on accuse les Israéliens critiques d’être des ingrats, des diviseurs, des traîtres. C’est un mécanisme de défense classique : l’idéal ne supporte pas la complexité.

Israël est une promesse… mais à ceux qui la tiennent

Il est aisé de soutenir Israël depuis un appartement cossu à Neuilly, entre un dîner de soutien et une soirée caritative. Mais l’amour réel, celui qui construit, passe par l’acceptation des failles, la critique constructive, le courage de dire « ce pays est magnifique, mais il n’est pas parfait ». En Israël, les promesses s’incarnent dans la poussière du Negev, les sirènes à Sderot, les enterrements trop précoces et les votes trop durs. Ce pays n’est pas gouverné par des anges, et ce n’est pas une offense de le rappeler. C’est même un devoir.

Deux peuples, deux récits ?

Faut-il alors désespérer de cette incompréhension ? Peut-être pas. Mais il faut la dire. La nommer. L’assumer. Il y a, entre la Diaspora et Israël, une divergence de récits : l’un est un récit de protection, l’autre un récit de construction. L’un rêve d’un Israël parfait car il ne peut le vivre ; l’autre vit un Israël imparfait mais y puise sa force.

Et c’est ici que le Talmud et la psychanalyse pourraient dialoguer : l’un pour rappeler que la controverse est sainte, l’autre pour expliquer que tout idéal non confronté au réel devient névrose. L’amour vrai ne commence qu’à partir du moment où l’on peut dire : « Je t’aime et pourtant je te vois. »

Briser le fantasme pour rétablir le lien

Car le danger n’est pas tant la critique que son absence. Le danger n’est pas tant la fracture que le refoulement.
Si la Diaspora continue à voir en Israël un tableau figé, un sanctuaire immobile et sacré, elle court le risque de se couper non seulement de la réalité israélienne, mais aussi de son propre avenir. Un amour qui refuse la vérité devient une prison.

Il est temps de rappeler que l’État d’Israël n’est pas la Terre Sainte : il s’y trouve, mais ne s’y confond pas.
Ce ne sont pas les institutions humaines qui sont sacrées, ce sont les valeurs qui les traversent – lorsqu’elles existent. Et ces valeurs ne se maintiennent que si les hommes qui vivent sur cette terre ont le droit, la liberté et le devoir de les questionner.

Oui, Israël est un miracle. Oui, il mérite d’être soutenu. Mais pas d’être sanctuarisé au point d’étouffer la parole de ses propres enfants. Ce pays, nous l’aimons d’un amour adulte, complexe, enraciné dans la réalité, nourri de blessures et de promesses.
Et c’est précisément parce que nous l’aimons que nous refusons d’en faire une idole.
Le vrai soutien, ce n’est pas de fermer les yeux, c’est de garder le regard ouvert.

 

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