
Annaël Krief, l’humoriste qui transforme la satire en arme de résistance
Elle s’appelle Annaël Krief. Franco-israélienne, séfarade, mère de famille, cheffe au restaurant le Tribuna, créatrice de contenu… et guerrière de l’humour.
Là où les autres baissent les yeux, elle lève la voix. Là où certains se taisent par peur, elle fait exploser de rire. Et fait trembler les certitudes.
Alliance vous invite à découvrir, sans fard ni filtre, celle que beaucoup connaissent sur les réseaux sans vraiment savoir qui elle est.
Rencontre avec une combattante drôle, tendre, impitoyable – et absolument inoubliable.
« Je ne fais pas de la propagande. Je défends mon pays. Comme une mère défendrait sa fille. »
Claudine Douillet : Annaël, on t’entend, on te regarde, on t’écoute. Mais qui es-tu vraiment ?
Annaël Krief : Je m’appelle Annaël Mon deuxième prénom est Shayna, mais dès que je le dis, on me traite de Polonaise ! Alors que mes deux parents sont nés à Tunis. Je suis 100 % tunisienne, je le crie haut et fort. Et oui, j’ai 36 ans, que ça plaise ou non. Je vis aujourd’hui à Netanya en Israël. Mais j’ai pas mal bougé.
C.D. : Tu as même fait une alya express, non ?
A.K : Tu veux dire une Alya suivie d’un aller-retour Thaïlande ? Exactement. Je suis venue, j’ai eu du mal, je suis partie en voyage de noces… et j’ai décidé de rester en Thaïlande cinq ans.
J’y ai même eu un enfant. J’étais un peu le personnage du film Yes Man, je disais oui à tout. Puis, après le 7 octobre, j’ai senti qu’il fallait que je rentre. C’était viscéral. Je suis là, depuis novembre. Je ne bouge plus.
« Ma satire, c’est de la hasbara. Je n’explique pas pour convaincre. J’explique pour que la vérité se fasse entendre »
C.D. : Tu fais des vidéos puissantes, satiriques, parfois violentes dans le fond mais hilarantes dans la forme. Pourquoi ?
A.K : Parce que je n’ai pas le choix. C’est vital. Certains disent que je fais de la propagande. Non. Quand quelqu’un attaque ta fille, tu la défends. Moi, je défends Israël. Et ça s’appelle la hasbara. Ce mot, les gens doivent le comprendre. Ça vient du verbe léasbir, « expliquer ». On a trop laissé les mensonges circuler. Si nous, on ne dit pas la vérité, qui le fera ?
C.D. : Tu es très spontanée dans tes vidéos. Il y a un vrai style Annaël Krief : brut, immédiat, sans fioritures.
A.K. : Parce que rien n’est préparé. L’inspiration me vient souvent en faisant le ménage – que je déteste, d’ailleurs ! Et dès que l’idée me traverse, je lâche tout. Je prends mon téléphone, même sans maquillage, sans t-shirt parfois ! Je filme.
Rima Hassan, Pollywood et la farce de la bienpensance
C.D. : Ta vidéo sur Rima Hassan a marqué un tournant. Tout le monde en a parlé.
A.K. : Elle m’obsède. Enfin… c’est un phénomène. Une fille qui, en quelques années, devient députée européenne sans rien faire pour l’Europe ou pour la France. On lui a demandé si elle pouvait aider pour les otages du 7 octobre.
Elle a répondu : « Ce n’est pas mon rôle. » Pardon ?! Il y avait des Français parmi eux. Elle s’habille en bleu et blanc pour provoquer quand elle rentre en Israël… C’est une enfant capricieuse. Et pourtant, elle séduit. Parce qu’elle parle bien. Et parce que la cause palestinienne est devenue une mode. Une arme contre les Juifs.
La vidéo où je joue le rôle d’un soldat israélien face à l’eurodéputée, a été tournée dans ma voiture, sans script, sans lumière, mais avec une rage lumineuse.
« Si je regardais uniquement les médias français, moi aussi je serais pro-palestinienne. »
C.D. : Tu as dit cette phrase puissante : « Si je regardais les médias français, je serais pour la Palestine. » Tu le penses vraiment ?
A.K. : Absolument. Le Français moyen ne connaît rien à l’histoire. Il voit des images, il réagit à l’émotion. Il n’a pas vécu de guerre. Il choisit une cause. Et comme les Palestiniens sont présentés comme les opprimés, il les soutient. Sans même se poser de questions.
C.D. : Et tu penses que c’est une vraie cause humanitaire ?
A.K. : À la base, peut-être. Mais aujourd’hui, c’est un prétexte. Un moyen de déverser un antisémitisme ancien, profond, refoulé. La haine d’Israël permet de ressortir ce poison. Et ça, c’est dangereux.
« L’antisémitisme est à la mode. J’espère que comme toute mode, elle passera. »
C.D. : Et tu penses qu’on peut encore inverser la tendance ?
A.K. : Oui. Par l’humour. Par l’intelligence. Par la vérité. Même si on ne convainc qu’une seule personne, c’est déjà ça. Moi, je fais rire, et derrière ce rire, il y a une bombe. Les gens rigolent, puis se posent des questions. J’espère juste qu’un jour que cet antisémitisme de mode s’essoufflera.
« Le Grand Israël ? Ce sont les pays arabes qui l’agrandissent en nous attaquant. »
C.D. : Où vois-tu Israël dans 10 ans ?
A.K. : Encore debout. Encore plus fort. Encore plus lumineux. On attire les meilleurs cerveaux d’Europe. On innove. On résiste. Et à chaque fois qu’un pays arabe nous attaque, il agrandit le Grand Israël. Ce n’est pas nous qui cherchons ça. C’est eux qui nous y forcent.
« En Israël, tu ne connais pas le prénom du mec, mais tu sais pour qui il vote et combien il gagne. »
C.D. : Tu es une observatrice géniale de la société israélienne. Qu’est-ce qui t’amuse le plus ?
A.K : La liberté de parole. En France, on ne parle pas politique, religion ou argent. En Israël, c’est la première chose qu’on te dit ! Le mec ne te connaît pas, et il t’invite à manger, te dit qu’il est musulman, qu’il est pour les Juifs, qu’il vote à droite mais qu’il n’aime pas Bibi, et qu’il gagne tant. En 5 minutes, tu as tout le CV.
« Tu veux critiquer Bibi ? D’accord. Mais dis-moi : tu mets qui à sa place ? »
C.D. : Tu parles aussi de politique. Tu défends Netanyahou ?
A.K. : Je ne suis ni pour ni contre. Mais je pose une question simple : vous voulez le dégager ? OK. Et vous mettez qui à la place ? Le mec est attaqué de partout, il tient bon, il gère une guerre, une crise internationale. Et il reste droit. Il a reçu une bénédiction du Rabbi de Loubavitch. Je pense que ça veut dire quelque chose.
« Au restaurant, on danse, on chante, on se cache pendant les alertes… et on revient. »
C.D. : Tu as trois boulots. Comment tu fais ?
A.K : Je travaille au restaurant , je suis cuisto au Tribuna, à Nathania. C’est kasher, khalavi, plein de jeunes, de musique, d’ambiance. Pendant les alertes, on interrompt le service, on se met à l’abri, puis on revient et on chante. Ce moment de retour à la vie, il est indescriptible. Et entre deux services, je filme mes vidéos. Même en train de faire le ménage !
C.D : Donc ça, c’est un de tes boulots. Et les autres ? Tu as le droit aux jokers, je te préviens.
« On me dit : tu aurais pu te maquiller. Mais moi, je suis en guerre. Et mon arme, c’est le rire. »
Annaël Krief : Entre tous ces boulots, c’est important de le dire : je fais mes vidéos. Il y a plein de gens qui me disent : : « T’aurais pu te maquiller un peu, non ? » Franchement, je n’ai juste pas le temps. Dès que j’ai l’inspiration, je m’arrête net et je filme. La vidéo de Rima Hassan avec le soldat, ça se voit, je suis en voiture.
C.D. : Justement cette scène, ce moment où tu joues ce soldat israélien qui donne un sandwich à Rima Hassan… D’où te vient cette idée, cette imagination ?
A.K. : Honnêtement ? J’ai envie de dire que c’est Hachem qui me l’envoie quand il voit que vous avez besoin de rire. Parce qu’avec tous mes boulots, j’ai vraiment pas le temps de me poser. Je rêverais de pouvoir me lever le matin, me dire : « Aujourd’hui, on écrit un texte, on prépare la lumière, le cadre… » Mais non. Je suis dans ma voiture, je fais une pause de cinq minutes et je tourne.
C.D. : Mais il y a des vidéos où tu es plus préparée, non ? Des vidéos à plusieurs ?
A.K. : Oui, celles que je fais avec d’autres personnes, je les travaille davantage. Parce que là, je veux éviter de dire des bêtises. C’est important d’être précise. Donc je fais mes recherches. J’ai plusieurs groupes sur Telegram.
C.D. : Ah oui ? Lesquels ?
A.K. : Pour ceux qui comprennent l’anglais, il y a un groupe génial qui s’appelle Abou Ali Express. C’est là que je vais chercher plein d’infos. Ils viennent même d’interviewer Bibi. C’est pour vous dire le niveau.
C.D. : Tu veux dire que c’est ce groupe Telegram qui a eu une interview de Netanyahou, alors que les médias israéliens ne l’ont pas eue ?
A.K. : Exactement. Bibi n’accorde presque jamais d’interview aux chaînes israéliennes, mais là, il l’a fait. Sur Telegram. C’est un Israélien qui gère ça. Il y a 30 000 abonnés. Et le contenu est dingue : tu as des infos du côté arabe, du côté israélien… c’est très bien fait. Et pour une humoriste, c’est une mine d’or.
C.D. : Tu peux redire le nom pour nos auditeurs ?
A.K. : Bien sûr. Abou Ali Express, sur Telegram. Je conseille à tous ceux qui veulent comprendre ce qui se passe vraiment. Moi, quand je vois une interview intéressante, je la regarde en anglais, je la traduis, je creuse. Et là seulement, je fais ma vidéo.
C.D. : Tu es donc une journaliste sans carte de presse, mais avec une exigence d’investigation bien supérieure à beaucoup de professionnels.
A.K. : Exactement ! Avant de parler d’un personnage, comme Ayal Zamir, le nouveau chef d’état-major, je vais regarder où il était dans l’armée, quelles sont ses prises de position politiques, son parcours, ses missions. Je ne balance pas un nom comme ça dans une vidéo. C’est ma responsabilité. Même si je suis cataloguée « humoriste ».
C.D. : Oui, mais tu es bien plus que ça. Tu es une voix. Une boussole. Une présence incontournable aujourd’hui dans la guerre de l’image, des mots et des récits. Et tu inspires beaucoup, ici et ailleurs.
C.D. : Que veux-tu dire aux lecteurs d’Alliance ?
A.K : Ne vous laissez pas faire. N’ayez pas honte d’aimer Israël. Dites la vérité, avec vos mots. Moi, je la dis avec mon accent, ma spontanéité, mes sketchs. Et ça suffit. On n’a pas besoin de diplômes ou de studios. Juste de courage.
C.D. serais-tu partante pour faire de la scène ?
A.K : Oui je pense que j'aime le contact du public oui et sans hésiter !
Postface : une voix qui compte, une voix qui dérange
Annaël Krief ne cherche pas à plaire. Elle cherche à éveiller. Elle ne réclame pas d’applaudissements, elle exige l’écoute. Dans un monde saturé de haine, son rire claque comme un drapeau. Et son courage, lui, ne connaît pas de cessez-le-feu.
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