La chute de Sébastien Lecornu : symptôme d’une République épuisée par Nataneli Lizée

Actualités, Contre la désinformation, International - le - par .
Transférer à un amiImprimerCommenterAgrandir le texteRéduire le texte
FacebookTwitterGoogle+LinkedInPinterest
La chute de Sébastien Lecornu : symptôme d’une République épuisée par Nataneli Lizée

La chute de Sébastien Lecornu : symptôme d’une République épuisée

Par Nataneli Lizée, journaliste et essayiste

Le court règne de la continuité

Le 6 octobre 2025, Sébastien Lecornu a présenté sa démission. Moins d’un mois après sa nomination à Matignon, l’ancien ministre des Armées quitte le pouvoir, victime d’un effondrement politique éclair. Sa chute n’est pas un accident : elle est la conséquence logique d’un système qui s’effondre sous son propre poids — celui d’une Ve République privée d’oxygène, où plus personne ne gouverne vraiment.

Nomination le 9 septembre. Annonce du gouvernement le 5 octobre. Démission le 6.
En vingt-sept jours, tout a vacillé. Lecornu devait incarner la stabilité, la méthode, la loyauté. Il n’aura incarné que la fragilité d’un pouvoir désincarné.
Son gouvernement, dévoilé à grand renfort d’éléments de langage, fut perçu comme un recyclage des élites : Bruno Le Maire de retour aux Armées, la plupart des sortants reconduits, aucun souffle nouveau. Le mot “rupture”, un instant murmuré, s’est évaporé dès la lecture des premiers portefeuilles.

Dès le lendemain, le verdict était unanime. Les Républicains parlaient de mascarade, la gauche dénonçait une parodie de changement, et le Rassemblement national réclamait la dissolution immédiate de l’Assemblée. En moins de douze heures, la majorité éclatait, les motions de censure s’alignaient, et la promesse d’un gouvernement d’unité sombrait dans le ridicule.

Le syndrome du funambule

Lecornu avait pourtant perçu le péril. Conscient du rejet du passage en force, il avait annoncé qu’il ne recourrait pas à l’article 49.3 pour faire adopter le budget.
Ce geste, d’une élégance républicaine, s’est retourné contre lui.
Dans un Parlement sans majorité, la volonté de dialogue devient aveu de faiblesse.
L’Élysée a vite compris qu’aucune majorité ne voterait la confiance, ni même le budget, et que la chute était inévitable. Les marchés ont réagi aussitôt : repli du CAC 40, tensions sur les taux français, inquiétude européenne.
Ce n’était pas tant Lecornu qui tombait que la crédibilité institutionnelle de la France. Un pays qui change de Premier ministre tous les six mois ne gouverne plus : il cherche à survivre.

Le piège macronien

La démission de Lecornu met à nu le paradoxe du macronisme : un pouvoir hyperprésidentiel sans base politique. Emmanuel Macron, en nommant un proche, pensait consolider son emprise. Il l’a fragilisée.
Car ce système de gouvernance verticale, efficace en période d’élan, devient étouffant dès que le souffle se retire.
La majorité n’est plus qu’une fiction arithmétique, les alliés de droite se retirent, la gauche se replie sur ses slogans, et le centre ne tient que par lassitude.
Macron est aujourd’hui seul. Seul au milieu des ruines d’un appareil politique qu’il a lui-même façonné. Son pouvoir n’est plus contesté : il est vidé de substance.

La mécanique d’un effondrement

La chute de Lecornu révèle le délitement progressif du pacte démocratique français.
Le Parlement ne légifère plus, il bloque ; le gouvernement ne gouverne plus, il gère ; le peuple ne croit plus, il s’abstient.
La Ve République, née pour stabiliser le pays, se heurte à une société éclatée où plus aucun consensus n’existe. Elle s’effondre sur son socle même : un exécutif tout-puissant, mais sans légitimité vécue.
Depuis la dissolution ratée de 2024, la France navigue de remaniement en remaniement, de promesse en désaveu.
Les gouvernements se succèdent comme des fusibles. Celui de Lecornu n’aura été qu’un court-circuit de plus. Mais ce court-circuit a valeur de signal : il n’y a plus d’électricité dans le système.

Une République au bord de la paralysie

Au-delà du tumulte médiatique, une vérité s’impose : le pouvoir n’a plus de centre de gravité. L’opposition se nourrit du vide, les partis traditionnels agonisent, les syndicats s’épuisent, les institutions chancellent. La France n’est pas en révolution : elle est en suspension.
Une suspension civique, presque métaphysique, où tout semble à la fois possible et stérile.
Le pays n’attend plus un programme, il attend un sens. Et ce sens, aucun des acteurs actuels ne paraît capable de le lui redonner.

Le silence après le fracas

Sébastien Lecornu est parti sans mot d’amertume. Peut-être avait-il compris, avant tous les autres, que sa mission était impossible.
Son échec n’est pas celui d’un homme, mais celui d’un régime qui ne sait plus se réinventer.
Il s’en va comme on éteint une lumière dans une pièce déjà vide.
L’histoire retiendra sa brièveté. Mais au-delà des chiffres, sa chute marque un basculement.
Ce n’est plus la politique qui s’effondre, c’est l’idée même de gouvernement.
Et si cette démission n’était pas seulement la fin d’un mandat, mais le symptôme d’une République à bout de souffle — d’un monde politique où la parole ne précède plus l’action, où le pouvoir ne précède plus la confiance ?

Une France désenchantée, ou une France en gestation ?

Il ne reste que deux issues possibles : la dissolution ou la refondation. La première prolongerait l’agonie ; la seconde suppose un courage que la classe politique ne semble plus posséder.
Mais il arrive parfois que les nations, comme les êtres, ne se relèvent qu’après avoir touché le sol. Peut-être ce moment de vide, de désillusion et de lassitude, est-il le prélude à une réinvention. Si la République veut survivre, elle devra retrouver ce qui lui manque le plus :
la croyance dans la vérité du politique. Pas dans ses mots, mais dans sa parole tenue.

Nataneli Lizée

Journaliste et essayiste

Vos réactions

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A voir aussi