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Préface en prose
(extrait)
Je parle d'homme à homme, avec le peu en moi qui demeure
de l'homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang est sur les routes, puisse-t-il.
Puisse-t-il ne pas crier vengeance!
L'halalli est donné, les bêtes sont traquées, laissez -moi
vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage.
il reste peu d'intelligibles!
Un jour viendra, c'est sûr, de la soif, apaisée,
nous serons au-delà du souvenir, la mort aura
parachevé les travaux de la haine,
je serais un bouquet d'orties sous vos pieds,
alors, eh bien, sachez que j'avais un visage
comme vous. Une bouche qui priait comme vous.
Quand une poussière entrait, ou bien un songe,
dans l'oeil, cet oeil pleurait un peu de sel. Et quand
une épine mauvaise égratignait ma peau,
il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre!
Certes, tout comme vous j'étais cruel,
j'avais
soif de tendresse, de puissance,
d'or, de plaisir et de douleur.
Tout comme vous j'étais méchant et angoissé
solide dans la paix, ivre dans la victoire,
et titubant, hagard, à l'heure de l'échec!
Oui, j'ai été un homme comme les autres hommes,
nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,
j'ai aimé, pleuré, j'ai haï, j'ai souffert,
j'ai acheté des fleurs et je n'ai pas toujours
payé mon terme. Le dimanche j'allais à la
campagne
pêcher, sous l'oeil de Dieu, des poissons irréels,
je me baignais dans la rivière
qui chantait dans les jonc et je mangeais des frites
Le soir. Aprés, aprés, je rentrais me coucher fatigué,
le coeur las et plein de solitude,
plein de pitié pour l'homme,
cherchant en vain sur un ventre de femme cette paix
impossible que nous avions perdue naguère, dans un grand
verger où fleurissait au centre, l'arbre de vie...
J'ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins
et je n'ai rien compris au monde et je n'ai rien compris à
l'homme, bien qu'il me soit souvent arrivé d'affirmer le contraire.
Et quand la mort, la mort est venue, peut-être ai-je prétendu
savoir ce qu'elle était mais vrai,
je puis vous le dire à cette heure,
elle est entrée en mes yeux étonnés, étonnés de si peu comprendre-
avez-vous mieux compris que moi ?
Benjamin Fondane (1942)
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