Article paru dans "rue89.com", le 08/09/08
L'ancien hammam de la rue des Rosiers à Paris
Démarrer un chantier d’envergure sans permis de construire, c’est illégal. Surtout si une partie du site, notamment sa façade, est classée bâtiment historique. Et quand les travaux précèdent une ouverture de commerce déjà très décriée, c’est carrément de la provocation.
Au 4, rue des Rosiers, à Paris, l’enseigne suédoise H&M a pourtant démarré sans autorisation des travaux en vue de l’ouverture d’un magasin « COS », sa ligne haut de gamme qui débarque en France. H&M a racheté il y a quelques mois le bail de Cappelini, enseigne de design qui occupait le hammam à cette adresse. Un bâtiment bien connu de cette rue phare du Paris juif converti à l’activité commerciale au début des années 80.
Les travaux ont bel et bien démarré. Avant l’été, rien ne bougeait derrière le rideau de fer. A présent, une porte en aggloméré masque l’intérieur et une affichette indique explicitement que le chantier est « interdit au public ».
Pas de panneau légal mais des gravats et des vibrations
Selon les riverains, les travaux ont démarré il y a une quinzaine de jours. Or aucun panneau officiel n’a été accroché côté rue, indiquant la nature et la durée des travaux. Et pour cause : les services d’urbanisme de la Ville de Paris instruisent encore le dossier du permis de construire, a confirmé à Rue89 Dominique Bertinotti, maire (PS) du IVe arrondissement.
Ce permis de construire visait notamment l’aménagement du bâtiment pour y installer ascenseurs et escalators vers le sous-sol. Pour l’instant, Dominique Bertinotti botte en touche :
« Certains travaux ne nécessitent pas de permis de construire. Pour l’heure, nos services n’ont pas pu pénétrer dans les locaux pour voir de quoi il retourne. »
Les habitants mentionnent des sacs de gravats évacués du sous-sol. Et le témoignage de Guy Rozanowicz, directeur de la station Radio J, qui occupe le flanc droit du même bâtiment sur trois étages, est explicite :
« Nous n’avons pas été prévenus mais quand ça a démarré, mi-août, nous avons négocié avec les ouvriers pour échapper aux marteaux-piqueurs sur deux créneaux auxquels nous émettons en direct : de six à huit heures du matin, et entre quatorze heures et seize heures trente. »
La mairie, vigilante ou blousée ?
Du côté de H&M, j’ai reçu, en tout et pour tout, la confirmation, via la société chargée de la communication de COS, d’une ouverture « en novembre ». Soit dans moins de deux mois -un calendrier qui accrédite l’idée que des travaux d’envergure ont bien démarré.
Si les travaux nécessitaient bien un permis de construire H&M sera passible d’une amende lourde qui, en droit, peut entrainer jusqu’à l’annulation des travaux et la remise à l’identique.
L'entrée du 4, rue des Rosiers à Paris
A la mairie d’arrondissement, Dominique Bertinotti avance que l’architecte des Bâtiments de France avait tout de même donné son feu vert en aval, tout en promettant « vigilance ». Mais certains élus reconnaissent en off que démarrer sans permis de construire n’était « pas bien malin » alors que l’arrivée de COS faisait déjà des remous.
Goldenberg aussi
Dans la même rue que le hammam, ouvrira prochainement une autre boutique de vêtements à la place du restaurant Goldenberg. Là où eut lieu l’attentat du 9 août 1982 qui fit six morts et vingt-deux blessés. Selon les informations de Rue89, c’est Max Mara, enseigne de luxe, qui s’installera dans ces murs.
Cette fois, la municipalité a bien essayé de mettre son véto, pour par exemple ouvrir un lieu de mémoire. « la mairie s’est retrouvée toute seule », une SCI s’étant constituée pour empêcher la préemption des murs, souffle Lyne Cohen-Solal, « on ne va quand même pas utiliser l’argent des contribuables pour acheter une SCI en plus du bail ».
Bâtiment historique pour sa façade et une partie des 600 m² de surface, il ne sert plus de hammam depuis plus de vingt cinq ans. Mais, pour certains riverains, il reste emblématique de la spécificité « historique, culturelle et religieuse » du quartier. C’est le discours que nous tenaient dès le printemps Joseph Finkelsztajn et Nicolas Secondi, qui ont monté l’association Quartier des Rosiers pour s’opposer à l’arrivée de COS.
« Energumène » insurgé
A l’époque, j’avais rencontré Nicolas Secondi chez lui, dans l’immeuble qui jouxte le hammam. Activiste multicarte -association corse et banderole pro-Tibet comprises- il montait au créneau pour « rejudaïser la rue » mais finissait par lâcher, d’un air mystérieux et en se faisant prier, qu’il n’était pas juif mais « à la synagogue à toutes les fêtes ».
En avril, Dominique Bertinotti me recevait dans son bureau et haussait les épaules à l’évocation de cet « énergumène qui ne représente que lui-même ». Sauf que Nicolas Secondi est aujourd’hui moins isolé : plusieurs personnalités, dont Jack Lang et Martine Billard, députée (Verts) de Paris, ont rejoint la fronde contre COS. Galvanisés par le démarrage des travaux illicites, « un passage en force » selon l’élue écologiste.
Dominique Bertinotti fait aujourd’hui valoir qu’on fait « un faux procès ». Elle qui argue même de « la mixité sociale » (COS est marketé classes moyennes) est convaincue que l’évocation de travaux illicites reste d’abord un prétexte contre l’arrivée d’H&M.
Or la maire d’arrondissement soutient qu’il n’était pas de son ressort d’empêcher cette nouvelle activité tant qu’il n’y a pas de nuisances. Dans l’opposition à l’époque, elle avait ainsi bataillé contre l’arrivée d’un McDo dans le hammam. Cette fois-ci, elle dit s’être refusée à intervenir car « ce ne sont pas les murs qui étaient à vendre mais le fonds de commerce ». Et suggère qu’après tout, le propriétaire, juif, pouvait décider de céder le bail à une activité plus communautaire.
Dominique Bertinotti précise au passage que « personne ne s’était ému de l’arrivée de Chevignon ou de Cappelini », dans les mêmes lieux :
Martine Billard continue, elle, de regretter que la Mairie de Paris ne se décide pas à « contrer la mono-activité et empêcher que le quartier juif ne devienne un banal quartier de la fringue ». Pour l’élue écologiste, la municipalité aurait pu intervenir, comme elle l’a fait dans d’autres quartiers de Paris, « à titre préventif ».
La préemption, un outil légal
Il existe en effet un outil légal : la préemption de locaux, y compris dans le cadre de baux commerciaux. Lyne Cohen-Solal, adjointe à Bertrand Delanoë en charge du commerce, multiplie d’ailleurs ce type d’initiatives depuis quelques années. Elle déplore le lancement des travaux mais refuse qu’on fasse de la rue des Rosiers « un nouveau ghetto » :
« Les juifs ont quitté le quartier depuis longtemps. Ils sont maintenant dans les XVIe, XVIIe et XIXe arrondissements. Le commerce, ça doit vivre, on ne peut pas figer une rue comme un Paris de carte postale. Plus personne ne va venir au cœur de Paris juste pour acheter des aliments kasher. Cette époque est terminée ! »
Pas de H&M aux Champs-Elysées ?
Lyne Cohen-Solal ne s’oppose pas à l’arrivée d’H&M rue des Rosiers… mais bataille contre la même enseigne à l’autre bout de la capitale, refusant qu’H&M s’installe dans les anciens locaux du Club Med. Elle a déposé un recours devant le Conseil d’Etat estimant que « les loyers sont devenus tellement chers sur les Champs-Elysées que seuls Zara ou H&M peuvent tenir la corde, menaçant les cinémas qui sont d’immenses cubes vides au rendement bien plus faible ».
Pour l’élue PS, il ne ressortait pas de l’intérêt général d’empêcher l’installation de COS rue des Rosiers. Contrairement à d’autres zones de la capitale où la mairie est intervenue. Par exemple, le sentier, le quartier des gares du Nord et de l’Est et le quartier latin. Explications de Lyne Cohen-Solal :
« Dans le quartier latin, les libraires fermaient parce que le commerce des livres est moins rentable et que les loyers étaient devenus trop chers. Pour ne pas perdre la spécificité culturelle du quartier, la mairie rachète des baux et loue à des libraires. Dans le quartiers où des commerces autistes ont toujours leur rideau de fer baissé, nous louons à un boulanger. »
Pour l’instant, le Marais ne fait pas partie des zones dans lesquelles la mairie peut préempter des baux commerciaux au nom de l'interêt général .