
La perruque, d’un symbole religieux à un accessoire de mode incontournable
Elles étaient réservées aux femmes haredi. Aujourd’hui, elles sont sur les tapis rouges. Longtemps associée à la pudeur religieuse, la perruque s’impose désormais comme l’accessoire de mode incontournable des femmes israéliennes – religieuses ou laïques, mères de famille ou stars d’Instagram. Derrière ce phénomène capillaire en pleine révolution, des visages, des histoires et une même quête : affirmer sa féminité, sa liberté et son style, sans compromis. Rencontre avec celles qui ont fait de la perruque un manifeste.
Lorsqu’elle évoque ses débuts, Chaya Bronfman se souvient encore des soirées passées à coiffer sa mère devant le miroir, dans leur petit appartement de Bnei Brak, avec une vieille brosse en poils de sanglier et quelques mèches récupérées.
« J’avais dix ans. Je ne comprenais pas tout ce que représentait une perruque, mais je voyais dans les yeux de ma mère qu’elle retrouvait une forme de dignité », confie-t-elle.
Ce souvenir fondateur l’a poussée, des années plus tard, à créer sa propre ligne de perruques haut de gamme.
C’est cette intimité, ce lien presque sacré entre une femme et sa chevelure – même artificielle – qui anime encore aujourd’hui son travail. Certaines clientes, dit-elle, « éclatent en larmes en découvrant leur reflet dans le miroir », comme si elles retrouvaient une part d’elles-mêmes longtemps perdue. C’est là, dans cet instant suspendu, que naît la magie.
Quand tradition et audace redéfinissent la féminité
Longtemps considérée comme l’apanage des femmes haredi, orthodoxes, la perruque opère aujourd’hui une mue spectaculaire. D’objet de pudeur dicté par la halakha, loi juive, elle est devenue en Israël un accessoire de mode prisé, séduisant aussi bien les célébrités que les femmes laïques. À la croisée des mondes religieux et séculiers, elle incarne désormais un nouvel espace d’expression personnelle.
Une révolution esthétique et identitaire
Chaya Bronfman, figure incontournable de l’univers capillaire israélien, dirige une entreprise spécialisée dans les perruques et les extensions. Son parcours, elle le raconte avec un mélange d’émotion et de détermination. « Mon aventure a commencé par hasard – et très jeune », confie-t-elle. « Très vite, j’ai su que c’était ma voie. Donner à une femme un nouveau visage, une nouvelle confiance, me fascinait. »
Aujourd’hui, entourée de ses sœurs, elle dirige une équipe qui accompagne des clientes issues de tous les milieux. « Nous intervenons souvent dans des moments intimes de la vie des femmes. Notre travail est profondément humain. »
À la question de savoir qui franchit le seuil de son salon, Chaya balaie les clichés : « Il ne s’agit pas uniquement de femmes haredi. Je vois des clientes aux profils très variés. Certaines recherchent une perruque par respect de leur foi, mais tiennent à rester élégantes. D’autres veulent tout simplement une solution esthétique après une perte de cheveux ou une chimiothérapie. Dans ces cas-là, la perruque devient bien plus qu’un accessoire : c’est une renaissance. »
Le modèle qui fait fureur ? La « top lace », réputée pour sa finesse extrême. « Les cheveux y sont implantés un à un sur une base transparente, ce qui crée une illusion parfaite de cuir chevelu. Même de très près, impossible de dire qu’il s’agit d’une perruque. C’est ce réalisme qui touche les femmes. »
Natalie Dadon : du podium à la perruque, une réinvention libre
Mannequin, entrepreneuse et militante, Natalie Dadon a adopté la perruque depuis des années – mais pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la religion. « Je ne me définis pas par un camp : ni religieuse, ni laïque. Je suis simplement juive, connectée à ma spiritualité. Pour moi, la perruque est un choix personnel, un moyen d’exprimer qui je suis. »
Elle se souvient de ses débuts : « J’en portais lors de soirées ou de lancements de produits. J’adorais l’idée de changer de couleur, de style, sans toucher à mes cheveux naturels. »
Ce jeu d’apparence est devenu une part intégrante de son identité. « Aujourd’hui, je me lève le matin et je choisis ma perruque comme d’autres choisissent un vêtement. Elle me donne une sensation de luxe, de beauté, de liberté. »
Et de rappeler que le Rabbi de Loubavitch lui-même affirmait qu’un voile n’est pas fait pour amoindrir la beauté féminine mais pour canaliser l’énergie des cheveux. « Tant qu’une femme se sent bien et alignée avec elle-même, c’est la bonne décision. Peu importe qu’il s’agisse d’un foulard, d’un chapeau ou d’une perruque. »
Elle confie aussi sa quête personnelle de modestie : « Deux fois par semaine, je m’habille de façon pudique. Non pas parce que je le dois, mais parce que j’en ressens le besoin. J’ai trouvé dans cette pudeur une noblesse, une sérénité. Ce n’est pas une question de robe longue ou de couvre-chef, c’est un état d’esprit. »
La perruque, outil d’efficacité pour femmes pressées
C’est dans un tout autre univers que Meital Edri, fondatrice de la société « Happy Mortgages », a adopté la perruque. Femme d’affaires laïque, elle revendique son choix sans ambiguïté. « Je ne suis pas religieuse, mais j’ai la foi. Pour moi, la perruque n’est pas un symbole mais une solution. Avec mes journées chargées, c’est un gain de temps et de tranquillité. »
Elle se remémore son coup de foudre pour une perruque lors d’un défilé de la Journée de la Femme, organisé par Chaya Bronfman. « J’ai mis une perruque sur ma tête et j’ai senti qu’elle m’allait mieux que mes propres cheveux. Depuis, je ne m’en passe plus. »
Quant à savoir si elle redoute d’être jugée par les milieux religieux, Meital répond avec simplicité : « Je ne porte aucun jugement, et je n’en attends aucun. Pour moi, ce n’est pas une déclaration religieuse. C’est un choix personnel. Je veux être concentrée sur ce que je suis, pas sur ma coiffure. Et si la perruque m’aide à cela, alors c’est l’option la plus authentique. »
Une tendance universelle, entre pudeur et puissance
Bronfman confirme que la perruque a quitté les marges pour investir les tapis rouges.
« À Hollywood comme à Tel Aviv, les perruques font partie de l’arsenal esthétique des femmes modernes. Les plus grandes stars changent de chevelure au gré des saisons : blonde, brune, carré structuré… Et ce vent de liberté souffle sur Israël. Influenceuses, mannequins, femmes d’affaires : toutes veulent leur perruque. »
Elle souligne un bénéfice souvent oublié : « C’est une façon de prendre soin de ses cheveux naturels, de les protéger, tout en s’autorisant à oser. Une bonne perruque, c’est un gain de confiance, de style, d’efficacité. »
Et surtout, elle ne cache plus rien. Elle révèle. Un état d’âme. Une force intérieure. Une beauté réinventée. Une spiritualité libre.
Une question de liberté, pas d’identité
Aujourd’hui, porter une perruque n’est plus un marqueur communautaire. C’est un acte de liberté et de réinvention. Qu’elle soit portée par conviction religieuse, par coquetterie, ou par nécessité, elle accompagne les femmes dans leurs parcours, leurs transformations, leurs métamorphoses.
La perruque n’est plus une dissimulation, mais une revendication de soi. Une manière de dire, silencieusement mais intensément : je suis entière, je suis moi.
Vos réactions