
L’Emmy dans une main, les cendres de sa maison dans l’autre : la réalisatrice Michal Weitz, survivante et témoin du chaos israélien
“We Will Dance Again”, le documentaire poignant de Michal Weitz sur le massacre du festival Nova, a remporté cette semaine l’Emmy Award du meilleur documentaire.
Une consécration amère pour la cinéaste israélienne, dont la maison a été pulvérisée par un missile iranien quelques jours avant la remise du prix.
Le 19 juin 2025, à New York, le documentaire « We Will Dance Again » est sacré meilleur documentaire d’actualité lors de la prestigieuse cérémonie des Emmy Awards.
L’œuvre bouleversante, coproduite par Michal Weitz, retrace les témoignages des rescapés du massacre du festival Nova, survenu le 7 octobre 2023. Une tragédie qui a marqué le début d’un long cauchemar pour Israël.
Mais cette consécration, qui aurait dû être un sommet dans la carrière de la documentariste, est venue se fracasser contre une réalité d’une cruauté sans nom.
Cinq jours plus tôt, le 14 juin 2025, un missile iranien s’abattait sur sa maison familiale à Ramat Aviv, dans le nord de Tel-Aviv. En une fraction de seconde, tout a disparu.
Un miracle au cœur des ruines
Dans l’abri blindé de leur logement, Michal, son compagnon Eyal et leurs deux enfants – Lily, 5 ans, et Asa, 3 ans – attendaient que l’alerte passe.
La sirène avait hurlé quelques secondes avant l’impact. Le missile est tombé à moins de deux mètres de leur bunker, pulvérisant la maison, détruisant les murs, emportant les souvenirs. Mais pas la vie.
« Le timing est très étrange… Nous sommes à la fin de la guerre, et l’événement de Nova en a, d’une certaine manière, marqué l’ouverture.
C’est un cercle cruel, pour lequel j’ai payé un prix personnel. J’ai passé ces deux dernières années à documenter la guerre, tout est douloureux, et certaines choses ne reviendront jamais. Ce succès est un cercle triste, mais professionnellement, c’est une réussite », confie Michal, encore sidérée par l’ironie tragique du destin.
Eyal, vidéaste lui aussi, a filmé les instants qui ont suivi. Des images muettes, bouleversantes, où l’on voit les enfants hébétés, les flammes ronger ce qu’il reste de leur foyer, les visages couverts de poussière et de silence. « Quand on est avec sa famille et que les enfants sont à peine égratignés, on prend conscience qu’au fond, on a tout », dit-il simplement.
La mémoire en miettes
Mais pour Michal, documentariste de l’intime, ce n’est pas seulement sa maison qui a été soufflée. Les rushes, les disques durs, les notes manuscrites, les archives accumulées pendant des années, tout a brûlé.
« Je travaille dans l’archivage ; la plupart des archives et des rushes que j’avais rassemblés n’ont pas survécu dans le bureau adjacent à la pièce sécurisée : c’est totalement parti. Ça fait mal de perdre une nostalgie irremplaçable. Mais le sentiment que nos vies nous ont été offertes en cadeau dépasse tout. »
Dans ce quartier résidentiel de Tel-Aviv, plus de vingt bâtiments ont été touchés ce jour-là. Vingt-trois personnes ont été blessées, certaines grièvement, mais il n’y a eu aucun mort dans cette frappe.
Le quartier, choqué, a depuis repris une vie hésitante, rythmée par les sirènes et les courses vers les abris. Ramat Aviv, quartier paisible et cultivé, est devenu zone de guerre.
Un film comme un cri
Le film « We Will Dance Again », d’une durée de 90 minutes, est né d’un besoin vital : documenter l’impensable, donner la parole aux jeunes survivants du festival Nova, où 364 personnes ont été massacrées par le Hamas. Tourné dans l’urgence, au fil des deuils, des funérailles, des silences et des larmes, le film entrelace images d’archives, sons captés en direct, interviews, messages vocaux envoyés depuis les cachettes. C’est un cri brut, une liturgie contemporaine du trauma.
Diffusé sur Hot 8 en Israël et Paramount+ à l’international, il a été nommé dans deux catégories aux News & Documentary Emmy Awards : meilleur documentaire d’actualité et meilleur montage. À New York, lors de la cérémonie du 19 juin, l’équipe est montée sur scène sans Michal. Elle n’était pas là. Elle comptait les morceaux de son passé, parmi les gravats.
La mémoire et la guerre
La récompense a été saluée par de nombreuses figures israéliennes. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a félicité publiquement les créateurs du film, soulignant « l’importance vitale de préserver la mémoire de Nova dans l’âme du peuple d’Israël ». Un hommage a aussi été rendu par des associations de familles de victimes, qui ont vu dans cette reconnaissance « la preuve que le monde n’a pas oublié ».
Et pourtant, dans cette histoire, tout semble se répondre dans un ballet tragique. Nova ouvrait le 7 octobre une guerre sanglante. Le film sur Nova gagne l’Emmy. Et cinq jours plus tôt, celle qui l’a produit voit sa maison frappée par la haine des ennemis d’Israël.
Et pourtant, elle est debout.
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