Lise Gutmann l'âme yiddish d'une militante !

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LISE GUTMANN, L’ÂME YIDDISH D’UNE MILITANTE

Le Festival des Cultures Juives récompense l’engagement de l’une de ses « figures » majeures, la journaliste Lise Gutmann - en faveur du yiddish.

Si le mois de juin symbolise l’arrivée de l’été, pour la 11ème année consécutive il donne également lieu à un Festival haut-en-couleurs et en musicalités, riche d’émotions et de partages : celui des Cultures Juives de Paris.

Au programme, depuis le 7 juin et jusqu’au 23 inclus : du théâtre, des films, des expositions ; un tourbillon de mélodies séfarades et ladino, morceaux baroques, vibrations klezmer ou tziganes ; des débats consacrés à la mémoire et au patrimoine culturel ; un vibrant hommage à la députée juive sud-africaine, Helen Suzman (1917-2009), seule femme politique blanche à avoir lutté durant de nombreuses années contre l’apartheid ; et trois journées mettant à l’honneur la Yiddishkeit - les dimanche 14, lundi 15 (le Yiddish Day) et dimanche 21 juin.

Cinquante événements en tout placés sous le signe de la liberté, chérie par le peuple juif…

Fervente ambassadrice de la transmission du yiddish, Lise Gutmann y anime plusieurs événements majeurs et recevra le Prix Korman 20151 pour sa remarquable action de promotion et de diffusion culturelles.

ALLIANCE a pu dialoguer avec cette militante passionnée qui œuvre à faire résonner des sonorités « rescapées »…Morceaux choisis.

lise gutmann, journaliste rcj, judaïques fm 94.8

lise gutmann, journaliste rcj, judaïques fm 94.8

Les auditeurs de Judaïques FM et de RCJ connaissent bien la « journaliste Lise Gutmann ».

 

 

 

Pourriez-vous nous éclairer sur votre itinéraire yiddish personnel ?

Lise Gutmann : J’ai grandi dans un milieu yiddishophone, yiddishisant et yiddishiste. On parlait yiddish autour de moi, on s’intéressait à cette langue et à cette culture, on militait pour le yiddish, dans ma famille ou à travers le Centre Medem - Arbeter Ring où j’enseigne. Le yiddish m’est toujours apparu comme une évidence…

 Quand avez-vous commencé à « transmettre » la langue ?

Lise Gutmann :Cela fera bientôt trente ans ! Les conditions d’enseignement se sont transformées, qu’il s’agisse du profil des étudiants, des méthodes pédagogiques ou d’un matériel dont on ne disposait pas au départ… Je privilégie un enseignement « ludique » en utilisant beaucoup l’expression artistique ; Internet se révèle également un outil formidable car on y trouve de nombreux films et une discographie extraordinaire !

J’essaie de soutenir tout particulièrement les jeunes chanteurs et musiciens : le cours que j’ai créé a duré deux ans, formant plusieurs artistes qui mènent une jolie carrière.

Il faut absolument qu’il y ait un après.

Comment avez-vous effectué vos premières interventions-radio ?

Lise Gutmann :Au tout début des années 80, j’ai participé à la création de l’association AEDCY - Association pour l’Etude et la Diffusion de la Culture Yiddish : mon amie Laurence Fisbein et moi-même, avons rapidement lancé un magazine yiddish sur les radios juives de l’époque… De fil en aiguille, j’ai commencé à relayer l’ensemble des « événements juifs ».

Actuellement, j’anime le magazine bimensuel Ot Azoy sur RCJ (le jeudi soir) et les matinées culturelles des mardis et jeudis sur Judaïques FM, celles-ci n’étant pas consacrées au yiddish - sauf quand l’actualité le justifie ! J’y invite des acteurs de la vie juive, du monde associatif ou artistique et de tout ce qui nous concerne !

Bref retour sur le Yiddishland de l’entre-deux-guerres. On a du mal aujourd’hui à en mesurer l’importance : en 1939, Paris ne comptait pas moins de six bibliothèques yiddish !
Qu’en était-il de la presse ?

Avant la guerre on trouvait de nombreux journaux en yiddish - l’un des plus célèbres étant le Parizer Haynt [le Parisien aujourd’hui], fondé en 19262 et disparu dans la tourmente.
Mais d’autres ont survécu, comme Undzer Shtime [Notre voix] - le journal bundiste yiddish - ou la Naye Presse, le journal des Juifs communistes. Et puis, un quotidien a paru jusqu’en juin 1996, Undzer Wort [Notre parole - le dernier journal yiddish publié dans le monde ndlr] : il n’a pas pu résister à la disparition « générationnelle » de ses abonnés…

Heureusement, grâce au journaliste Claude Hampel, les Cahiers Yiddish - Yiddishe Heftn, ont pris la relève quelques mois plus tard, devenant le seul magazine européen en yiddish. Ils sont publiés par le Cercle Bernard Lazare (CBL), avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

« Renaissance » après la Shoah donc - envers et contre tout - et renouveau aujourd’hui ?

Pour moi, la « renaissance » du yiddish n’existe pas. Cette langue a été assassinée majoritairement avec ses locuteurs durant la Shoah et les parents sont le plus souvent devenus mutiques après la guerre à l’égard de leurs enfants...

Parallèlement, lors de la création de l’Etat d’Israël il a fallu imposer une langue : l’hébreu a été jugé le plus fédérateur - de ma part ce n’est pas une critique mais un constat. J’observe d’ailleurs qu’Israël soulève aujourd’hui des montagnes pour le yiddish (on peut prendre le yiddish comme langue étrangère au baccalauréat, par exemple)…

Enfin, en Union Soviétique, le stalinisme ayant interdit la pratique d’un judaïsme « réel », cela a également engendré une absence de transmission.

Pour toutes ces raisons, on ne parlera plus jamais le yiddish dans les familles comme on le parlait il y a cinquante ans… En revanche, on assiste à un réel regain d’intérêt de la part des jeunes générations, qui souhaitent s’approprier ce patrimoine qu’on ne leur a pas légué - par la langue, la culture, le chant yiddish et la musique klezmer !

Côté littérature, de grands auteurs sont traduits pour la première fois en France - comme Elie Chekhtman récemment [La charrue de feu aux Editions Buchet-Chastel].

Une tendance à encourager ?

Lise Gutmann : Absolument, d’autant que les ouvrages sont parfois édités en version bilingue, accompagnés d’un CD pour pouvoir entendre la langue...

Le yiddish dispose d’une véritable « puissance » littéraire ; si l’on y ajoute la violence des événements vécus par les Juifs d’Europe centrale, orientale ou de Russie et l’importance à l’époque de l’étude juive, cela confère à la littérature yiddish un caractère exceptionnel.

Où peut-on concrètement découvrir la Yiddishkeit à Paris ?

Au niveau des cours - en dehors de l’université, il y a le Centre Medem et la Maison de la Culture Yiddish, le Cercle Bernard Lazare, le Farband3, les associations d’anciens combattants juifs… Tous effectuent un remarquable travail de transmission.

La situation est-elle aussi favorable en régions ?

Lise Gutmann :C’est beaucoup plus compliqué. A Strasbourg existe un Pôle Yiddish - avec Rafaël Goldwasser et Astrid Ruff, créateurs du Théâtre en l’Air, qui organisent tous les trois ans une Université d’été de yiddish ; idem à Grenoble.Dans les autres grandes communautés de France, il s’agit d’événements ponctuels. D’où l’importance d’Internet.

Et en Europe ?

Lise Gutmann La « scène yiddish » est très vivante à Bruxelles et à Londres. En Pologne il y a les grands Festivals de Cracovie et de Varsovie ; à Vilnius, une Université d’été... Et surtout, chaque année en Allemagne se déroule le Yiddish Summer Weimar : un mois d’activités autour de la langue yiddish, de la danse, des textes, de la cuisine et de la musique klezmer - sous la direction du grand musicien Alan Bern.

Le potentiel fédérateur du yiddish semble exceptionnel puisque le Festival des Cultures Juives, doit son existence à l’immense succès remporté par la première Journée du Yiddish…

Lise Gutmann :C’est vrai ! Il y a douze ans, j’ai créé, avec l’historien Frédéric Viey et le Président du Farband, Henry Battner, une Journée du Yiddish au Carreau du Temple : le succès a été inespéré, près de 5000 personnes y ayant participé ! Le Fonds Social Juif Unifié nous a alors demandé de renouveler l’opération, suggérant de faire de notre journée le point d’orgue de deux ou trois jours festifs. L’édition 2015 du Festival dure dix-sept jours ! En son coeur, les trois journées Yiddishkeit sont organisées par l’association Yiddish sans frontière.

La plupart des événements se déroulent dans le Marais, un quartier juif parisien éminemment symbolique. Ce projet avait-il suscité d’emblée l’adhésion des élus du 3ème et du 4ème arrondissement ?

Lise Gutmann :Oui. Le Maire du 3ème, Pierre Aidenbaum, est très proche de la langue et de la culture yiddish, au niveau familial ; il nous a immédiatement soutenus. La Maire du 4ème, Dominique Bertinotti, s’est ensuite jointe à nous - elle a été formidable. Son successeur, Christophe Girard, poursuit cette politique.

Il faut également souligner le rôle déterminant du Fonds Social et de toutes les associations juives sans lesquelles le Festival ne pourrait pas exister.

Pour conclure, quelques mots sur votre actualité au sein du Festival 2015…

Lise Gutmann :Commençons par le 14 juin, la Rencontre des chorales juives - dont je m’occupe avec Christiane Galili et, jusqu’à l’an dernier, la chanteuse Jacinta (toujours présente via la chorale Jacinta’s Zingers qu’elle dirige au CBL) : on chante la liberté en yiddish, judéo-espagnol, hébreu et français !

Le 15 juin, le Yiddish Day débute au Centre Medem - Arbeter Ring, avec un brunch yiddish agrémenté de surprises séfarades et la projection d’un film muet, Esther de Sutzgorod4. La seconde partie de la journée se déroule à la Mairie du 4ème : remise du Prix Korman [attribué à Lise Gutmann ndlr], les Nouveaux Talents du Yiddish - trois duos formidables et novateurs - et un concert exceptionnel de la « diva » de la chanson yiddish, Talila (avec ses musiciens).

Enfin, le 21 juin, les associations juives investissent le Carreau du Temple pour leur Grande Journée : toutes les générations sont représentées, des tout-petits de la Maison de la Culture Yiddish aux mouvements de jeunesse (CLEJ et Hachomer Hatzaïr5), jusqu’à nos aînés. Il y aura des danses israéliennes, la Fanfare Klezmer d’Ile-de-France - qui animera un bal - sans oublier un stand de dédicaces avec les auteurs ayant fait l’actualité littéraire cette année !

Nous vous y attendons nombreux 😉

Trois journées de fête passionnantes et ultra-vitaminées - au nom de la plus belle forme de « résistance »… Et un Prix amplement mérité pour Lise Gutmann.

Lydie Levine

Informations pratiques, réservations :

http://www.festivaldesculturesjuives.org

Bureau du Festival - 35-37, rue des Francs-Bourgeois - 75004 Paris.

Renseignements : 01 42 17 10 70 (aucune réservation par téléphone).

Le programme du Festival, le Balagane, est consultable sur http://fr.calameo.com/read/000057179422f224eea0e

~Pour découvrir la Yiddishkeit :

www.centre-medem.org  tel :01 42 02 17 08

www.yiddishweb.com / Maison de la Culture Juive - 01 47 00 14 00

www.bernardlazare.org / 01 42 71 68 19

www.farband.org / 01 45 23 50 63

1 - Né en Pologne, Idl Korman (1905-1979) est un journaliste et résistant - adjoint d’Adam Rayski au sein de la direction parisienne de la M.O.I. Arrêté en 1943, torturé puis déporté, survivant du camp de Buna-Monowitz, il passe une dizaine d’années en Pologne communiste, contribuant au journal yiddish Volkstimme - jusqu’à son retour en 1968 : il consacre alors toute son énergie à la défense du yiddish, participe à la création de de l’AEDCY - Association pour l’Etude et la Défense de la Culture Juive (l’une des composantes de la Maison de la Culture Yiddish - Bibliothèque Medem, créée en 2003) et au Comité ayant initié le premier dictionnaire traduisant directement les termes yiddish en français.

2 - Selon les sources, la naissance du Parizer Haynt remonterait à 1926 ou 1930.

3 - Farband [union en yiddish] : Union des Sociétés Juives de France, créée en 1936.

4 - Le brunch est animé par Paulette Bielasiak et le film, réalisé par Laurent Berger - illustration musicale live, au piano, de Denis Cuniot.

5 - CLEJ : Club laïque de l’Enfance Juive (proche du Centre Medem - Union des socialistes juifs « BUND » en France).

Né en 1913 en Galicie, l’Hachomer Hatzaïr a été installé à Paris en 1933. Ses fondements sont le socialisme, le sionisme, le scoutisme, l’amitié entre les peuples et l’esprit pionnier. Il est proche du Cercle Bernard Lazare.

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