L'interview de Stéphane Freiss pour son film « Tu choisiras la vie »

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Interview de Stéphane Freiss pour son film "Tu choisiras la vie "

Stéphane Freiss a bien voulu accorder une interview à Alliance pour son premier film en tant que réalisateur, "Tu choisiras la vie" qui sortira demain, le 25 janvier, dans toutes les salles en France.
Aujourd'hui, veille de la sortie du film, Stéphane Freiss me rappelle et m'accorde vingt minutes entre deux plateaux télé. Je prends.
Évidemment, c'était à craindre, l'entretien dure presque une heure !
Chaque question renvoyant à une autre question, mes quatre questions se sont vite transformées en mille questions, un échange passionnant !
Le personnage, Stéphane Freiss, est un mystique comme je les aime, pas un fou de Dieu, avec une foi qui le tenaille et qui le fait avancer.
Il ne s'arrête pas aux réponses, encore moins aux certitudes, il recherche les questions.
Toute question non posée est une réponse de perdue.

Il lui a fallu dix ans pour écrire son film ai-je lu quelque part ?
Pourquoi dix ans ? Que s'est-il passé il y a dix ans pour écrire un tel film, truffé de symboles. Il faut le voir au moins trois fois pour n'en louper aucun. A cela il me précise :  " Il y a même des symboliques que je n'avais pas remarquées moi-même ! C'est un spectateur, lors de l'avant première d'hier, qui me les a fait remarquer ".

(Je ne vous dirai pas lesquelles pour ne pas vous spoiler le film ! )

Claudine Douillet - Que s'est-il passé il y a dix ans pour que vous pensiez déjà à ce film ?

Stéphane Freiss  - En fait, je suis arrivé à un tournant de ma vie, il y a un peu plus de dix ans.  Ce n'était pas vraiment un point de rupture mais il fallait que je donne du sens à certains choix que j'avais fait il y a une trentaine d'années.
Je m'étais un peu perdu et il fallait que je sorte de cette impasse. Je n'avais plus que des réponses et je ne me posais plus de questions.

D'une manière presque intuitive, je me suis mis à écrire, en étant tout à coup aussi bien acteur que spectateur de ces mots. Et puis je me suis rendu compte, au fil de mes mots, que c'était mon histoire familiale qui se déverrouillait au nom des non-dits de mon propre héritage.
On ne m'avait rien transmis, tout était scellé dans les silences. Ce qui ne se dit pas se sait.

La parole ne se libère pas facilement dans les familles. Mes parents étaient des enfants cachés durant la seconde guerre mondiale. J'ai été élevé dans une bulle. Je n'avais pas les outils pour me connecter à ceux qui m'ont précédé.

En avançant dans l'écriture et en prenant soin de trouver ma place dans le film, ma question fondamentale était : Comment faire sien un héritage souvent trop lourd, une transmission non-dite et qui finit par nous éloigner de nous même ? Et non pas parler de mon histoire.

CD - Votre film est sorti un an après le décès de votre mère, était-ce volontaire ou est-ce que votre film, qui est sujet à différentes interprétations, est une réponse que vous auriez souhaité lui donner ? (Rappelons que votre mère avait rejoint le mouvement religieux Habad )

SF - Non, j'aurais adoré que ma mère voie ce film. Elle a été probablement un élément déclencheur. Lorsqu'elle a rejoint le mouvement religieux, nous avons été, mon frère et moi plongés dans un univers totalement exotique. Nous n'avions reçu aucun code de la pratique juive.
J'ai été, en quelque sorte, partagé entre une mère pratiquante et un père qui rejetait toute pratique religieuse. Cela m'a fatalement éloigné d'elle, dans la mesure où tout tournait autour de l'observance de la pratique. C'est devenu, évidemment, plus compliqué. J'espérais vraiment que ce film sorte à temps, pour qu'elle puisse le voir, pour que nous puissions en discuter, et peut-être faire sortir certains de ses fantômes, enfouis quelque part.

CD - Le titre de votre film "Tu choisiras la vie "est tiré d'un verset de la Torah, Deutéronome 30:9-31:3. Pensez-vous que choisir SA vie est un acte de foi ?

SF - Je ne sais pas si c'est un acte de foi mais c'est un un acte essentiel, certainement.
Il est probable que j'ai beaucoup subi alors que je croyais avoir ma vie en main, de la même façon que je m'arrachais à ma famille pour faire mon métier d'acteur. Ce métier qui est une façon d'être quelqu'un d'autre à chaque fois.
Je croyais que c'était mon choix, alors que je me fuyais.

Le premier choix du titre du film était " Face à toi ", un face à soi, un face à Dieu. Puis je me suis lassé.
En relisant ce verset du Deutéronome, un peu par hasard, " Tu choisiras la vie ", cela a provoqué en moi comme un réveil. Il est suffisamment impératif pour émettre un éveil en chacun de nous, éveil qui finalement nous mène à un face à soi. C'est mon souhait à travers ce film.

La vie s'acharne tellement que lorsqu'il nous arrive des moments de pause de bonheur, on veut les installer, les figer à jamais. Cependant, en réalité, c'est lorsque l'édifice se fissure que l'on devient le plus fort, c'est là que la question se pose.

Quand on me pose la question : " Suis-je un homme de foi ? ", je réponds que je ne peux pas échapper à la spiritualité dont je suis pétri, à mon insu, à coup de non-dits, de silences et d'abnégation, mais qu'évidemment, j'ai une foi très présente. La pratique n'est pas signe de foi. J'ai foi en la vie, en la capacité de la réveiller à chaque instant à coup de questions. Ce film m'a permis, en quelque sorte, de rendre hommage à ma foi.

CD -  Ma dernière question était : " Avez-vous, vous aussi, réussi à vous décharger de l'héritage familial ? ", mais au vu de vos réponses précédentes, je serais plutôt tentée de vous demander : " Pensez vous avoir, à travers ce film, honoré votre héritage ? "

SF - Nous recevons beaucoup de choses, qui nous construisent petit à petit, des choses bonnes et des moins bonnes. Il faut savoir faire les bons choix, avoir l'intuition de ce qu'est notre vie. Être fidèle ce n'est pas dupliquer, ce n'est pas reproduire à l'identique, c'est prendre ce qui nous convient pour vivre notre vie avec cet héritage et celui que nous avons décidé de transmettre. Nous ne vivons pas pour nous mais pour eux, ceux qui viennent après nous.

Il y a une séquence particulière dans le film, où l'on voit le rabbin parler de Moïse, et expliquer que notre avenir est derrière nous. Nous ne sommes que les fleurs nées des graines qui ont été plantées bien avant nous.
Je pense qu'il faut être infidèle pour devenir fidèle à soi-même.

Propos recueillis par Claudine Douillet

 

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