
En Israël, payer son essence avec une montre connectée ? Pas avant octobre… ou peut-être jamais
Une farce technocratique dans la startup nation : le paiement sans contact à la pompe suspendu entre modernité et absurdité réglementaire
« En octobre, tous les terminaux passeront au paiement EMV, mais en même temps, un panneau sera affiché : “Interdiction d’utiliser un téléphone portable à proximité des pompes”. C’est absurde », s’étrangle un cadre d’une compagnie pétrolière, cité par Ynet.
Et l’on comprend son désarroi. Alors que tout le pays tapote frénétiquement sur ses téléphones pour régler cafés, courses et taxis, le dernier bastion de la résistance analogique, la station-service, s’apprête à entrer dans l’ère du paiement sans contact… tout en interdisant l’outil phare de cette révolution : le smartphone.
Depuis des années, les Israéliens attendent que les stations-service adoptent les paiements modernes. Ailleurs, une simple montre ou un téléphone posé sur un terminal suffit à faire le plein. En Israël, il faut encore sortir sa carte physique, du cash, ou télécharger des applications propriétaires pas toujours ergonomiques. Dor Alon a amorcé la transition, mais l’ensemble du secteur traîne des pieds.
Une nuit, une panne sèche et un miracle
Ce flou technologique n’est pas qu’un détail. Il peut avoir des conséquences très concrètes. Un automobiliste en panne en pleine nuit a raconté à Ynet sa mésaventure : « J’ai demandé à transférer l’argent aux employés via Bit, mais ils ne l’avaient pas. Finalement, un client bienveillant est venu à la station, a payé pour moi, et nous avons effectué la transaction. J’ai rêvé. »
Cette anecdote résume bien le paradoxe : dans une société ultra-connectée, une réglementation dépassée peut transformer une station-service en désert numérique.
Le Ministère du Travail joue les trouble-fête du progrès
Le fond du problème réside dans une interdiction datant d’un autre âge : le ministère du Travail interdit formellement l’usage des téléphones à proximité des pompes, au nom de la sécurité. Une mesure que tout le monde – même les régulateurs – admet aujourd’hui comme inutile. « Le ministère du Travail nous a dit : “Vous avez raison, il n’y a aucun risque pour la sécurité”. Mais tant que le règlement n’est pas modifié, le directeur de la sécurité ne peut pas faire autrement », souffle un représentant de l’un des groupes pétroliers.
« C’est fou : dès que la solution a été trouvée, toutes les entreprises ont déployé les terminaux. Cela nous a coûté une fortune. Des millions de shekels. Et pourtant, les gens ne pourront pas payer par téléphone portable. »
Un imbroglio juridique kafkaïen
La date fatidique du 31 octobre 2025, fixée par la Banque d’Israël comme limite de transition vers la norme EMV, approche à grands pas. Du point de vue des cartes bancaires, tout sera prêt. Mais pour les téléphones, rien n’est sûr. Les compagnies ont anticipé la bascule, changé les terminaux, installé les logiciels, mais restent otages d’un flou réglementaire digne d’un scénario d’Ephraïm Kishon.
Ran Cohen, inspecteur en chef adjoint du ministère du Travail, le reconnaît : « La position professionnelle a été rédigée, motivée et publiée comme prévu. Elle se trouve désormais entre les mains des juristes de notre bureau, seuls en mesure d’assurer le contact avec le ministère de la Justice et de coordonner le transfert de la réglementation vers la phase d’amendement à la Knesset. »
On marche donc sur la tête : tout est prêt, tout le monde est d’accord… mais tout reste bloqué, coincé dans les rouages d’une Knesset qui doit encore approuver l’amendement. En attendant, payer son plein avec une montre connectée pourrait bien rester un rêve futuriste – ou un délit.
Un casse-tête bureaucratique pour un plein d’essence
L’Autorité de régulation, dans son rapport de novembre 2024 sur le stockage de pétrole, recommandait pourtant clairement de lever ces interdictions archaïques : « Éliminer les exigences en double et contradictoires, autoriser l’utilisation des téléphones portables, et alléger les obligations bureaucratiques. » Mais même les évidences peinent à franchir les méandres législatifs.
« Nous promouvons activement l’amendement », assure de son côté le ministère du Travail, qui espère faire économiser un demi-milliard de shekels aux ménages grâce à une réforme globale. Le projet est en phase finale avant son examen par le ministère de la Justice. Et la Banque d’Israël, elle, botte en touche : « La question relève de la compétence du ministère du Travail. »
Une révolution sans portable… est-elle encore une révolution ?
En somme, la modernité avance au pas de l’escargot administratif, empêtrée dans une logique absurde : permettre le paiement sans contact, tout en interdisant l’objet qui en a fait le succès.
Il faudra peut-être, comme le plaisante un internaute, revenir aux signaux de fumée – mais attention, interdits eux aussi à proximité des pompes.
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