
« Pas de cauchemars ni de pensées suicidaires » : qu’est-ce qui permet à une personne de survivre à une captivité prolongée dans des conditions inhumaines ?
Les images sont insoutenables. Des silhouettes frêles, le regard perdu, la peau diaphane, les traits marqués par des mois d’enfermement. Les otages libérés du Hamas ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Chacun porte sur son corps et dans son âme les stigmates d’un enfer invisible, celui des tunnels souterrains, de l’humidité, de la faim et de la peur.
Comment ont-ils tenu ? Comment un être humain survit-il à une captivité d’une telle cruauté sans sombrer dans la folie ou le désespoir ?
S’accrocher à une lueur dans l’obscurité
Le Dr Idit Gutman, psychologue clinicienne à l’Université de Tel-Aviv, s’est penchée sur cette question. Pour elle, deux forces permettent de survivre dans des conditions extrêmes : l’espoir et la connexion aux autres.
Elle évoque l’un des plus grands survivants de l’Histoire, le psychiatre Viktor Frankl, qui a traversé l’horreur des camps de concentration nazis. Dans l’enfer des barbelés et des coups, il avait compris une chose essentielle : « Celui qui a un pourquoi peut endurer tous les comment. »
Ce “pourquoi” peut être un visage, un sourire, une voix qu’on ne veut pas laisser orpheline.
« Pour la plupart des gens, c’est l’amour qui les maintient en vie, explique le Dr Gutman. L’image d’un enfant qu’ils veulent revoir, la certitude que quelque part, quelqu’un les attend. C’est ce qui leur permet de tenir malgré la douleur, la faim, le froid et l’humiliation. »
Elle évoque ces otages qui, dans l’obscurité des tunnels, tentaient de se souvenir du rire de leurs enfants, de la chaleur d’une étreinte, d’un repas du vendredi soir en famille.
Quand l’esprit se dissocie du corps pour survivre
Mais l’amour ne suffit pas toujours. Face à une torture prolongée, le corps et l’esprit entrent dans une forme d’autodéfense inconsciente.
La psyché humaine a une arme secrète : la dissociation.
« La dissociation, c’est ce mécanisme où une personne se sent détachée de son propre corps, comme si elle se regardait de l’extérieur. Elle n’est plus tout à fait là, elle devient spectatrice de sa propre souffrance. C’est une manière de survivre sans sombrer dans la folie. »
Certains otages racontent qu’ils se concentraient sur un détail insignifiant – une tache sur le mur, un bruit régulier – pour ne pas penser à leur douleur.
« L’esprit se ferme aux émotions, il anesthésie tout pour ne pas exploser. C’est pourquoi il n’y a presque pas de cauchemars ni de pensées suicidaires en captivité. Le cerveau verrouille la souffrance et se met en mode survie. »
Mais si ce mécanisme protège dans l’instant, il devient un piège à la libération.
Le retour à la réalité, une autre épreuve
Lorsqu’un otage est enfin libéré, son corps est exténué, mais son esprit, lui, est resté bloqué là-bas.
« Quand la menace disparaît, tout ce que le cerveau avait enfoui ressurgit : les souvenirs, la douleur, l’effroi. Et là commencent les cauchemars, les flashbacks, l’anxiété. »
Les anciens captifs parlent de nuits hantées par des cris imaginaires, de terreurs nocturnes où les murs semblent se refermer sur eux.
Comment revivre après cela ?
« Il faut un accompagnement psychologique immédiat. On ne peut pas demander à quelqu’un qui a vécu l’inhumanité absolue de redevenir normal du jour au lendemain. Il doit réapprendre à vivre, pas seulement à survivre. »
Quand même mourir devient impossible
Mais ce qui frappe le plus le Dr Gutman, c’est l’absence totale de choix en captivité.
« Au fil du temps, le captif perd toute capacité de décision. Il n’a plus aucun contrôle sur son existence, et même le choix de mourir lui échappe. »
Un otage affamé, épuisé, battu ne peut même pas penser à résister. Il n’a plus la force de bouger, de réfléchir, ni même de vouloir mourir.
« Dans les cas les plus extrêmes, certains prient pour que tout s’arrête. Mais leur corps, privé d’énergie, ne leur laisse même pas la possibilité d’agir. Ils sont pris au piège d’un état d’attente absolu. »
Quand ils sont libérés, ils découvrent qu’ils respirent encore, mais que leur âme est restée là-bas.
Survivre, mais à quel prix ?
Les otages libérés ne sont pas des miraculés, ils sont des êtres brisés qui devront lutter pour retrouver une existence normale.
« L’après-captivité est une autre forme de combat, conclut le Dr Gutman. Certains s’en sortiront, d’autres resteront à jamais prisonniers de leurs souvenirs. »
La survie ne se résume pas à un retour à la lumière. C’est un long chemin, semé de démons invisibles et de douleurs silencieuses, vers une vie qui ne sera jamais plus la même.
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