La Vie en Israël : Frappez les crocodiles ou juste les laisser nous dévorer de Noam Horev

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La Vie en Israël : Frappez le crocodile ou juste les laisser nous dévorer de Noam Horev

Frappez les crocodiles

Me voici coincé dans un embouteillage monumental, un bébé de trois mois hurlant à l'arrière, un père à l'hôpital, un conjoint en réserve militaire, un appartement toujours perché sur des cartons… Ah, et n'oublions pas la guerre qui fait rage dehors.
Bienvenue en Israël, où la vie quotidienne est une réplique grandeur nature de ce jeu forain où l'on frappe les crocodiles surgissant de toutes parts – sauf que les crocodiles, ici, ont des crocs bien plus aiguisés.

Il faut dire qu'en Israël, on regorge de lionnes et de super-héros. La réalité nous demande une confrontation incessante, sans pause. Et pourtant, tout comme nous avons mérité le titre de héros, nous avons aussi gagné le droit d'être épuisés parfois, de laisser tomber la cape et de pleurer. Alors oui, je me suis retrouvé en panne. Et ce qui a fini par m’achever, croyez-le ou non, c’était l'embouteillage.

Au lever du jour, me voilà avec la petite dans la voiture, tournant à droite, et… Oups ! Voilà que l'application Sage passe de dix minutes à quarante. Toutes les trois minutes, nous avançons de trois mètres. Elle déboucle sa ceinture, fait des bruits de Maggie Simpson avec sa tétine, et se tortille. Je me jure de rester calme et de prier les dieux des gaz pour qu’elle s’endorme. Mais il semble que le dieu des gaz soit trop occupé avec d'autres requêtes, car la petite commence à grogner de plus belle, me lançant un regard "Je ne suis pas satisfaite, papa, t’es vraiment nul là".

J'ai essayé de lui donner une main rassurante, de parler sur un ton tout doux. Mais ça ne lui a pas plu du tout. Elle a explosé de cris, comme pour dire : "Attends un peu, j'ai même pas encore commencé  père indigne !". Et moi, je suais à grosses gouttes, même avec la climatisation à fond.

Quand j'étais enfant, mes parents m’emmenaient à la foire de Souccot à Afula. Parmi les stands de barbe à papa et de maïs ébouillantés, il y avait un stand appelé « Frappez le crocodile ». On avait un marteau et il fallait taper sur la tête des crocodiles qui surgissaient au hasard, à chaque fois depuis un endroit différent. Pas le temps d'en frapper un, qu'un autre surgissait. Puis un troisième. Puis un quatrième. Mais ça, personne ne m'a dit que c'était une métaphore parfaite pour la vie adulte.

Et aujourd’hui, me voilà dans la fosse aux crocodiles : conjoint en réserve, papa à l’hôpital, appartement toujours dans des cartons, bébé de trois mois. Et la guerre qui siffle à la fenêtre. Parfois, il n'y a rien à faire. On veut juste éteindre la lumière, se mettre sous les couvertures, et admettre qu’on est à bout de forces.

C'est à ce moment-là qu'ils ont annoncé des alarmes dans le nord. La seule chose à laquelle j'ai pensé était : « Mon Dieu, surtout pas maintenant… Comment je suis censé m'allonger sur le bord de la route avec un bébé de trois mois qui hurle comme un démon ? »

Dans cette réalité tordue, j'ai été inondé de pensées sur tous les parents coincés au MMD avec leurs enfants. Sur le côté de la route, les bâtiments et les ponts étaient ornés de photos des otages. Leurs yeux semblaient me suivre, impossible d'y échapper.

Ma mère a appelé pour prendre des nouvelles de papa à l'hôpital, et je n’ai pas répondu. Chaïmka a appelé pour savoir quand et s'il pourrait sortir de la réserve, et je n'ai pas répondu. Le technicien Internet m'a appelé pour me dire qu'il m'attendait dans le nouvel appartement… et je n'ai pas répondu. J'étais coincé, sans horizon, sans ligne d'arrivée, juste du bruit, du désordre, et une petite fille pleurant à chaudes larmes.

Les muscles mentaux épuisés, les bras ballants, je n'ai plus de force pour vaincre quoi que ce soit. La réalité exige de nous des affrontements incessants, mais parfois, je veux juste céder aux crocodiles et me reposer. C'est ça aussi, la vie en Israël. Laisser le vent nous plier sans combattre, ça peut être une victoire aussi, parfois.

Et puis, comme par miracle, la circulation s'est débloquée, la petite s’est calmée, et nous avons avancé. Je suis arrivé à la maison, j'ai sorti la petite de la voiture, endormie, avec la douceur d’un acrobate pour ne pas la réveiller, l’action la plus parentale qui soit. Nouvelle maison, nouvelle vie, après le chaos, après les crocodiles. Bientôt, tout ira mieux. Amen.

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