
Plus de 500 000 Israéliens ont demandé une aide psychologique depuis le début de la guerre (c’est-à-dire depuis l’attaque du 7 octobre 2023).
Ce chiffre inclut non seulement les soldats et réservistes, mais aussi les civils, les familles des soldats, les victimes d’attaques terroristes, les habitants du sud et du nord d’Israël sous le feu, et plus largement toute personne affectée psychologiquement par la guerre.
Cette donnée provient d’un rapport national agrégé qui compile les chiffres des grandes ONG comme ERAN, NATAL, Sahar, l’Association pour la santé mentale d’Israël (Enosh), ainsi que les services publics comme les centres médicaux, l’armée et les HMO (organismes de santé).
C’est un indicateur massif du traumatisme collectif que traverse actuellement la société israélienne.La guerre invisible : la détresse mentale des soldats israéliens après 600 jours de conflit
Une fracture silencieuse au sein de la société israélienne
Alors qu’Israël entre dans le 600e jour de guerre contre le Hamas à Gaza, une autre bataille, plus insidieuse, se joue loin du front. Elle ronge les esprits, fragilise les familles, mine les fondations morales du pays. Il s’agit de la crise de santé mentale que traversent des milliers de soldats et réservistes de Tsahal, une hémorragie psychologique que certains décrivent déjà comme une “catastrophe nationale”.
Un rapport inédit de l’ONG israélienne ERAN (Secours Émotionnel), dévoilé à l’approche de ce sinistre anniversaire, met en lumière l’ampleur alarmante du phénomène. L’organisation, spécialisée dans l’assistance psychologique, a enregistré plus de 66 000 appels depuis le 7 octobre — date de l’attaque sans précédent du Hamas — émanant de soldats, de réservistes et de leurs proches. Mais les responsables estiment que les chiffres réels sont bien plus élevés, nombre de militaires choisissant de rester anonymes par honte ou peur de l’étiquette.
“J’aurais préféré mourir à Gaza”
Le témoignage glaçant rapporté par la Dre Shiri Daniels, directrice clinique nationale d’ERAN, illustre avec force la profondeur du malaise : « Un réserviste nous a dit qu’il aurait préféré mourir à Gaza. Il ressent une culpabilité non seulement de ne pas être tombé au combat, mais aussi d’avoir osé demander de l’aide. » Ce sentiment de “culpabilité du survivant” s’est banalisé parmi ceux qui sont revenus du front. La violence des combats, les pertes humaines, et la dissonance entre l’univers militaire et la vie familiale ont laissé des séquelles lourdes.
La Dre Daniels insiste : « Certains nous confient que leur entreprise a fait faillite ou qu’ils ne trouvent plus d’emploi. Mais au-delà de ces difficultés économiques, c’est l’impact sur la cellule familiale qui les ronge. Ils passent de l’état d’alerte permanent à celui de père ou de conjoint, sans transition. Beaucoup s’en veulent de perdre patience avec leurs enfants ou de ne pas réussir à être présents pour leur partenaire. »
Du traumatisme à la dépression : un glissement inquiétant
Selon les experts d’ERAN, une évolution notable est en cours. Alors que les premiers mois de la guerre étaient marqués par des traumatismes aigus, des crises d’angoisse et des troubles de stress post-traumatique, les appels récents révèlent un autre fléau : la dépression chronique. Ce passage du choc à la lente descente dans la douleur psychique est le signe d’une fatigue morale profonde, d’une usure prolongée que l’armée comme la société peinent à contenir.
Le phénomène n’épargne personne : ni les jeunes appelés, ni les vétérans, ni leurs familles qui, souvent, ne comprennent pas comment soutenir leurs proches revenus méconnaissables. Les conséquences sont dramatiques. Selon les données transmises par d’autres organisations de soutien psychologique, les tentatives de suicide parmi les soldats ont connu une hausse significative depuis le début de la guerre. Des unités entières rapportent des besoins croissants d’interventions psychologiques sur le terrain.
Une guerre qui ne dit pas son nom
Alors que les regards sont tournés vers les combats au nord et au sud du pays, une hémorragie se répand en silence dans les foyers israéliens. Les retours de missions s’accompagnent de nuits blanches, de colères rentrées, de larmes refoulées. Ce que le pays ne dit pas assez haut, c’est que la guerre ne finit pas avec le cessez-le-feu. Elle s’infiltre dans les têtes, dans les chambres d’enfants, dans les silences d’un père qui ne trouve plus les mots.
La société israélienne est familière des longues périodes de mobilisation. Mais la durée et l’intensité de ce conflit, couplées à la violence du 7 octobre et à la perception d’un danger existentiel, ont creusé un abîme. « C’est un niveau de détresse mentale que nous n’avions jamais vu jusqu’ici, même après les guerres du Liban ou l’opération Bordure protectrice », affirme un psychologue militaire sous couvert d’anonymat.
Vers une mobilisation nationale de la santé mentale ?
Le ministère de la Défense a reconnu l’ampleur du problème et renforcé les équipes de soutien psychologique dans les bases et les centres de mobilisation. Mais les associations en première ligne, comme ERAN ou NATAL, appellent à un plan d’urgence national, à la hauteur de l’enjeu. Elles réclament plus de moyens, plus de personnel formé, mais aussi une reconnaissance publique et décomplexée de ce combat intérieur.
« Si nous ne soutenons pas nos soldats après la guerre, alors nous en perdons le sens », tranche la Dre Daniels. Ce n’est pas seulement la santé de quelques individus en jeu, mais l’équilibre de tout un peuple.
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