Judaïsme français : une identité privée de véritable expression politique a-t-elle encore sa place dans la culture française ?
S’il découle un enseignement tragique des meurtres anti-français et antisémites de Montauban et Toulouse, c’est celui-là : militaires combattant le Jihad ou enfants et enseignant juifs sont des ennemis d’égale valeur, aux yeux des Jihadistes globaux.
C’est parce que l’enseignement juif et israélien (dans le cas de la double-nationalité de la famille Sandler) brille d’étincelles universelles, depuis sa libération de l’esclavage, de la dictature et du mensonge qu’il est une menace primordiale, ontologique et constante pour le projet de Califat mondial d’Al Qaeda, des Frères Musulmans ou/et de l’UOIF, qui tient tribune ce même 6 avril, au Bourget.
C’est de l’avoir trop passé sous silence que la France dans son ensemble, par la complaisance de ses médias, et la timidité trop timorée des dirigeants de la Communauté juive, se retrouvent subitement, en tête de liste des cibles de ce fléau.
Un véritable examen de conscience s’impose, désormais, par retour sur les erreurs et compromissions passées de la collectivité, pour penser l’avenir de ces relations, qu’on a trop vite fait de faire admettre comme de simples « tensions interethniques » menaçant la sacrosainte « paix sociale ». La fuite en avant dans la culture du déni, nourrie de « chasse aux amalgames » et de sociologie de l’excuse, ne concourt qu’à faire le lit de ceux qui éprouvent le « désir de venger Merah » (C. Guéant en constate la recrudescence).
La communauté juive institutionnelle, ses individualités, ses luttes intestines, ne sont pas exemptes de ce travail introspectif. Il devra mener à l’édification de passerelles, capables de surmonter la mondialisation des menaces. Il serait trop simple d’adopter la position victimaire, en attente de protection sécuritaire renforcée, qui n’est qu’un premier temps de réponse élémentaire aux dangers surmultipliés.
Une fois encore, on pallie les effets de cette nouvelle « peste verte-brune » qui se répand dans les banlieues, mais on s’évite confortablement de tenter d’en surmonter les causes.
Pour répondre à une angoisse légitime, il ne suffit pas, non plus, de participer à une mascarade du « vivre-ensemble » qui se refuse à poser les questions qui dérangent :
• Aux autorités publiques, pour la sur-médiatisation du conflit palestino-israélien et la diffusion à dose massive de messages de ralliement aux conséquences des « printemps arabes », de la part de l’Europe déjà soumise par son besoin de remplacement des générations ;
• aux représentants des communautés qui disent craindre « les amalgames » : mais, qui passe l’essentiel de son énergie à banaliser l’Islamisme et les messages génocidaires de groupes comme le Hamas, sinon l’UOIF et divers autres groupes salafistes bien implantés, tenant le haut du pavé dans la représentation du CFCM et à Bruxelles ?
• Une autre frange de la population se dit attachée à l’idée de Nation, ou pour des motifs athéistes, voit dans le renoncement à toute transcendance et tradition le seul vecteur viable de « contrat laïc et républicain » (voir les bêtises infantiles qu’on peut lire, de temps à autre, sur « Riposte Laïque » à propos de la Casherout). Elle soupçonne, en permanence la communauté juive de « double-allégeance », lorsqu’il n’y a en a plus qu’une, ce qu’il est largement temps d’affirmer haut et clair :
Ou la « Nouvelle alliance » des nations se liguera, moralement et militairement, pour mettre ce fléau islamiste « à genoux » (pour parler comme Merah). Ou ses émissaires, comme celui de Toulouse ou de Forzane Alizza, travailleront ces « soupçons » d’attachement à la tradition, ces « attitudes compréhensives » de plus en plus légitimées envers le terrorisme, l’indifférence envers les peuples qui combattent ces mouvances au corps-à-corps, pour continuer de vider de son sang et de son sens les concepts-mêmes de peuple, de nation et de résistance.
Sans connaissance de son passé, tout peuple est amené à le revivre. Dans l’ignorance de ses traditions et de ses origines, le Judaïsme Français risque fort de continuer à faire « le grand écart » jusqu’à l’écrasement, sous la pression générale, lui intimant de mettre son identité et son histoire dans la poche pour complaire aux nouvelles tendances électoralistes et multiculturelles ; et de l’autre côté, son attachement viscéral à l’Etat Juif, qui est la concrétisation de toutes les espérances de sa liturgie, depuis la destruction du Second Temple.
Les Juifs d’Exil forment, par essence et pratique, le plus long et le plus beau lègue fait à l’humanité, de fidélité résiliente à l’idée de Nation. C’est ce que reprochent le plus à Israël et aux Juifs, les nouvelles entités transnationales, comme l’Europe et l’ONU, vouées à la gestion technocratique et qui veulent en finir avec l’expression des peuples.
Non seulement on peut (au conditionnel) être, à la fois, « Juif » et « Français », mais on doit (à l’impératif) l’être, indéfectiblement. Le peuple juif a véhiculé, à travers les siècles, le pacte d’alliance le liant à la « Terre Promise », se dotant de la première Constitution démocratique, lors de sa traversée du désert, par laquelle il clame sa délivrance de la tyrannie. L’histoire d’Israël est donc l’ancêtre éponyme de toutes les nations démocratiques, les Dix Paroles qu’il tente d’honorer et de promulguer de par le monde, sont le fil directeur de la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du citoyen », bien avant que la Gaule ne devienne la France, puis la France révolutionnaire des sans-culottes, en 1789. Bien avant que l’ONU s’invente des « commissions d’enquête du Rapport Goldstone ».
Aussi, demander à un Juif s’il se sent « Français » ou s’il est vraiment digne de ce titre, serait-il attiré par le retour aux sources, c’est inverser radicalement la question initiale :
la présence du Judaïsme en France et en Europe a-t-elle achevé sa mission historique, de fécondation des nations et peuples amis, pour les imprégner des forces spirituelles résilientes, capables de résister et de vaincre toutes les tyrannies, toutes les idéologies totalitaires ?
Ou, est-ce qu’à échéances variables, l’une de celles-ci s’installe pour aliéner les esprits et les comportements ? Hier, le Nazisme, les diverses expressions du fascisme ou du collaborationnisme et le Communisme.
Aujourd’hui l’Islamisme global contre le capitalisme déraciné et mondialisé, qui ne sait plus inspirer d’idéaux valant que l’on se batte et que l’on meure pour eux, empêtré dans la crise, face à une idéologie qui lave le cerveau de ses proies, tue toute individualité en eux, pour les mettre au service du culte de la mort ?
A l’heure qu’il est, deux nihilismes s’affrontent :
- un individualisme forcené qui ne conçoit d’autre issue que dans la satisfaction de ses besoins de confort et de mieux-être matériel, pour lequel il ne semble pas y avoir d’issue à la « crise économique » (mais n’est-elle pas, avant tout culturelle ?)
- Un fondamentalisme religieux qui ne voit d’autre solution que dans la conversion forcée du monde qui l’entoure et aucune raison de souscrire aux aspirations du précédent modèle, conçu comme « colonialiste » et aliénant.
La question de la bipolarité de l’identité juive de France n’est pas nouvelle : il lui manque, certainement, aujourd’hui, un mouvement central unitaire, pour réapprendre à marcher sur ses deux pieds. Elle semble, surtout, actuellement, tiraillée par tous les courants contradictoires, au-delà des luttes de personnes, qui assaillent la société française et l’Europe.
Dans ce contexte, elle ne tient plus ce rôle auquel elle semblait promise dans ses fondements : celui de pôle de résistance, affirmant sa spécificité juive, tout en éclairant le monde qui l’environne de ses lumières à vocation universelle.
Lorsque nous parlons « d’éclairage », il ne s’agit pas, seulement, de la tradition de participation des Juifs à la vie culturelle, politique, scientifique et intellectuelle européenne.
L’intellectualisme est sûrement l’une des principales caractéristiques du Judaïsme français et, sans aucun doute, son défaut récurrent : on parle, on écrit beaucoup, on se chamaille et cela interloque énormément certains de nos interlocuteurs, plus pragmatiques, notamment, ceux qui ont fait le choix de vivre en Israël.
Ils y voient une débauche de temps et de débats pour résoudre des questions apparemment simples, qui feraient d’abord appel à un minimum de bon sens.
Nous faisons référence à l’une des origines du Judaïsme français qui, par l’exemplarité, a certainement le plus marqué la branche française du Judaïsme : il faudrait prendre plus de temps pour revenir à la personnalité et à l’œuvre pleine d’abnégation de Robert Gamzon, alias « Castor Soucieux» :
Jeune homme plein de ressources, doté d’une énergie incomparable, futur diplômé de Supelec, il fonde, sous l’influence d’Edmond Fleg, les « Eclaireurs Israélites de France », en 1923. Il imprègne ce mouvement d’élan, de goût de l’effort et d’éducation juive, en donnant à cette jeunesse les fondements de connaissance et de pratique du Judaïsme qui manquaient le plus, à l’époque de l’intégration à la société d’adoption.
Sans le savoir, mais sensible aux différents courants qui agitent une époque troublée, il l’arme mentalement, spirituellement et physiquement pour les épreuves qui attendent les communautés juives d’Europe. A partir des années 1940, une grande partie des cadres et des adhérents des « Eclaireurs Israélites de France » passeront, avec armes et bagages, au maquis ou alimenteront les filières clandestines permettant à tant de Juifs d’être « rattrapés par les cheveux » pour échapper à une déportation et à une mort certaine.
Robert Gamzon, lui-même, deviendra officier de la Résistance et libérera, avec ses hommes, notamment la ville de Mazamet et sa région.
Paul Giniewski z’l, décédé en juillet 2011, a relaté une partie de cette saga des Eclaireurs, dans : « Une résistance Juive : Genoble, 1943-1945 », édition Cheminements. Giniewski a en effet fait partie du MJS (Mouvement de la Jeunesse sioniste), réseau de résistance né à Lyon en 1941, sous l'impulsion de Joseph Fisher, secrétaire de la section française du KKL. Le mouvement se structura en 1942, à Montpellier, sous la direction de trois hommes : Dika Jefroykin, représentant du Joint américain, Simon Levitte des EEIF (Eclaireurs israélites de France) et Otto ("Toto") Giniewski, frère aîné de l'auteur.
Parmi les principales activités du MJS figuraient la fabrique de faux papiers destinés aux Juifs, et la cache d'enfants et de familles juives entières, promis à la déportation. L'originalité de ce mouvement était aussi de donner à ses membres une formation sioniste et de les préparer activement à l'alyah.
A la fin de la guerre, « Castor » fonde deux institutions à visée pédagogique, l’Ecole d’Orsay et celle du Plessis-Trévise. Elles forment, entre autres, des cadres-éducateurs, dont beaucoup se dévouent aux enfants-orphelins de la Shoah. La première fonctionne, déjà, sur le modèle du « Kibboutz », alors que la seconde pourrait ressembler à une « Yeshiva », avec les moyens du bord du Judaïsme français de cette époque. Lors des élections consistoriales de décembre 1945, il présente une liste, qui restera minoritaire, dans le but affiché de réformer la structure du Judaïsme français. La frilosité, le conformisme, le jeu des connivences, l’emporteront et cet apport de « sang frais » restera longtemps ignoré.
C’est peut-être ce virage réformiste qu’ont manqué, à l’époque, les institutions juives de France, pour constituer ce véritable pôle identitaire, tirant toutes les leçons de ce qui venaient alors de se passer, en Europe, entre 1933 et 1945.
Gamzon était aussi porteur, après différents séjours en « Palestine » de l’époque, d’un projet dont il sera question, de façon récurrente : celui d’une Aliya Massive, qui continue d’être révolutionnaire et de faire scandale, lorsqu’on en évoque l’hypothèse, de nos jours. Il en parle beaucoup autour de lui, mais ses propos sont accueillis fraîchement. Qu’importe ! Il réussira, accompagné, d’abord, d’une cinquantaine de téméraires, montant, plus tard à une bonne centaine, à franchir ce premier pas. Ils se donnent pour mission de contribuer à l’accueil et à l’intégration des vagues de Juifs d’Afrique du Nord, qui arrivent en Eretz à l’époque, en plein « choc culturel », expulsés des pays arabes, lors de la fondation de l’Etat d’Israël.
Gamzon et les siens vivent d’abord l’expérience du kiboutz, notamment dans celui de Sdé Eliyahou, près de Bet Chéan (ancien site antique de la bataille de Guilboa).
Fort de ses connaissances d’ingénieur, il met au point un système acoustique de haut-parleur isodynamique fondé sur l'emploi des ferrites magnétiques (céramique ferreuse possédant d'excellentes qualités magnétiques), au département électronique de l’Institut Weizman. C’est un succès mondial qui l’amène à voyager beaucoup en Europe et à être invité aux Etats-Unis.
Sans dire qu’il s’agit réellement là des débuts de la fameuse « nation start-up », on comprend de quelle façon cet homme est un pionnier, un précurseur, qui misait sur les apports de la culture française et de son esprit de synthèse pour féconder –et réciproquement- le développement de son jeune-vieux pays. Il meurt en 1961, à l’âge de 54 ans, en se noyant, lors d’un accident bête, qui prive le Judaïsme franco-israélien du plein épanouissement d’une figure emblématique et d’un précurseur, qui aurait pu encore apporter tant de réponses à notre époque fatiguée, paresseuse et si encline à l’individualisme.
Pourquoi revenir au parcours de cette personnalité ? Tout simplement, sa vie nous enseigne à quel point il est parfaitement conciliable d’apporter le meilleur à une société française en quête de libération, à cette époque et dans la nôtre, sans renoncer à ses idéaux. Par l’Ecole d’Orsay, notamment, par son dévouement à la résistance et par l’expression de son audacieux esprit pionnier, en Israël, il a su imprimer sa marque à une époque. Il a fait de nombreux émules et fondé les bases, tant du Judaïsme français, si réticent à prendre, chaque fois toute la mesure des évènements, que de la communauté francophone israélienne, riche des apports de la culture française en Eretz et à Jérusalem. André Néher, Yéhouda Léon « Manitou » Ashkenazi, le Grand Rabbin Paul Roitman, également grande figure de la Résistance, puis de l’Agence juive, sont parmi ses compagnons de route.
Surtout, il semble que le conformisme, « l’apaisement », le simple attrait du confort moral et intellectuel contaminent une bonne partie des élites de la communauté juive de France. Elle semble incapable de faire abstraction de ses conflits de personnes, pour se rassembler, s’unifier et faire entendre un message clair à ses interlocuteurs des institutions françaises, comme des autres communautés qui tentent de faire pression pour renvoyer le Judaïsme français dans ses cordes, comme un boxeur sonné, à la limite du K.O debout.
Comme, la semaine dernière, nous avons évoqué les promesses économiques d’Israël, dans une nouvelle configuration, de nouveaux partenariats en Méditerranée, il est important de faire retour sur l’apport moral et spirituel du Judaïsme français à ce pays de pionniers.
Il est déterminant de montrer à quel point il a contribué à faire renaître le berceau du Judaïsme sur sa terre, sans rien renier de ce qu’être Français veut dire. Plus que de prospérité, le monde moderne a besoin de replonger aux sources de la spiritualité qui lui a permis de se développer, au fil des siècles, pour surmonter les défis contemporains.
Nos chères institutions, tournées vers la promotion de la belle image d’elles-mêmes, le marketing associatif et politique, insuffisamment attentives aux besoins de renouveau profond que manifeste leur jeunesse, auraient, instamment, grand besoin d’en prendre de la graine !
Marc Brzustowski.
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