Quand l’antisémitisme se cache derrière la lutte contre « l’antisémitisme »

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Quand l’antisémitisme se cache derrière la lutte contre « l’antisémitisme »

Quand l’antisémitisme se cache derrière la lutte contre « l’antisémitisme »
Une perversion du langage qui pourrait nuire… aux Juifs eux-mêmes

 D’après une tribune de Timothy Snyder (Telos, 2024)

L’antisémitisme inversé : une arme politique aux effets pervers

À l’heure où l’antisémitisme progresse à visage découvert, un phénomène plus insidieux émerge : la lutte contre l’antisémitisme devient, entre les mains de certains régimes autoritaires, une arme détournée, utilisée non pour protéger les Juifs, mais pour renforcer leur pouvoir, museler leurs opposants, et manipuler l’opinion. Un paradoxe que l’historien Timothy Snyder dénonce avec lucidité.

Qui est Timothy Snyder ? Une autorité sur la mémoire de la Shoah

Timothy D. Snyder est professeur d’histoire à l’université de Yale. Spécialiste de l’Europe centrale et orientale, il est reconnu internationalement pour ses travaux sur la Shoah, les totalitarismes et les violences de masse.

Auteur de plusieurs ouvrages de référence, dont Terres de sang (Bloodlands), Terre noire (Black Earth), et De la tyrannie, il est également membre du United States Holocaust Memorial Museum et une voix incontournable dans le débat sur la mémoire historique.

Son engagement intellectuel s’inscrit dans un combat clair : préserver la signification des mots, protéger la mémoire, et identifier les dangers des régimes qui falsifient l’histoire.

La Russie : maître du double langage

Dans sa tribune, Snyder démonte une opération de propagande massive : celle de la Russie de Vladimir Poutine, qui prétend combattre le nazisme en Ukraine, tout en reprenant des codes rhétoriques ouvertement antisémites.

L’instrumentalisation de l’antisémitisme

L’invasion de l’Ukraine est justifiée par un discours de « dénazification », alors même que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, est juif. Mais cette contradiction ne dérange pas les propagandistes russes, qui nient l’identité juive de Zelensky ou affirment, sans sourciller, qu’Hitler était juif lui aussi.Le but ? Détruire le sens des mots, semer la confusion et rendre floue la ligne entre vérité et mensonge.
On va donc jusqu’à affirmer qu’Hitler était juif, comme pour dire que l’identité juive ne protège de rien, voire que les pires monstres de l’histoire peuvent être juifs eux-mêmes. C’est là une manière tordue de neutraliser le concept d’antisémitisme, en semant le doute sur les victimes elles-mêmes.

Trump, Orbán, et les nouveaux visages du détournement

 Donald Trump : louer les Juifs… pour mieux accuser les démocrates

Snyder cite également Donald Trump, qui a souvent affirmé « aimer Israël » et « protéger les Juifs », tout en accusant les juifs démocrates américains d’être déloyaux envers Israël, insinuant qu’un bon Juif devrait voter Trump. Mais ce type de rhétorique instrumentalise l’identité juive à des fins politiques et alimente les soupçons classiques de double loyauté, un ressort antisémite ancien.

Viktor Orbán : Soros, le Juif universellement coupable

Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán mène quant à lui une campagne acharnée contre George Soros, présenté comme un Juif cosmopolite conspirateur, responsable de tous les maux du pays : immigration, islamisation, perte des valeurs.Or, comme le souligne Snyder, le style rhétorique utilisé par Orbán rappelle à s’y méprendre les mécanismes de propagande nazie, tout en s’habillant des oripeaux du patriotisme chrétien et de la défense de la culture européenne.

La Pologne : nier sa complicité historique au nom des Juifs

En Pologne, un autre détournement opère. Le gouvernement ultranationaliste s’est élevé contre toute mention de la complicité polonaise dans la Shoah, tout en se proclamant défenseur des Juifs contre l’antisémitisme.

La loi mémorielle polonaise de 2018 interdit ainsi de parler de « camps de la mort polonais » ou d’accuser la population locale de collaboration avec les nazis. Pourtant, les historiens et survivants ont documenté des massacres perpétrés par des civils polonais. Cette réécriture de l’histoire, sous prétexte de protéger l’honneur national, occulte la vérité et instrumentalise le martyre juif.

États-Unis : une dérive plus subtile mais tout aussi inquiétante

Snyder attire aussi l’attention sur les États-Unis, où la lutte contre l’antisémitisme est parfois utilisée pour justifier des politiques autoritaires.

 Un exemple frappant : l’étudiant Mahmoud Khalil

À Columbia University, l’expulsion d’un étudiant accusé d’antisémitisme pour avoir critiqué l’intervention israélienne à Gaza montre comment la défense des Juifs peut être invoquée comme prétexte pour censurer des voix dissidentes, même en l’absence de preuve concrète.
Le danger ici est double : d’un côté, cela affaiblit la crédibilité de la lutte contre l’antisémitisme, et de l’autre, cela alimente un ressentiment qui risque de se retourner contre les Juifs eux-mêmes.

Timothy Snyder met en garde contre les nouvelles tentatives, sur les campus américains, d’utiliser la lutte contre l’antisémitisme pour étouffer les voix critiques à l’égard d’Israël, même lorsqu’elles émanent de Juifs eux-mêmes.

Cela conduit à une hyper-judiciarisation du débat, où le mot « antisémite » est vidé de sa gravité, tandis que les véritables discours de haine prospèrent en parallèle, banalisés, banals.

Effacement de la mémoire de la Shoah

Quand tout devient « antisémite », alors plus rien ne l’est vraiment. Cette dilution sémantique affaiblit la mémoire collective. Elle transforme l’histoire des persécutions juives en simple variable d’ajustement idéologique.

Snyder nous met en garde : à trop banaliser le mot “antisémitisme”, on affaiblit les outils pour combattre les vrais ennemis des Juifs.

L’autoritarisme, vraiment protecteur des Juifs ?

C’est la question que pose Timothy Snyder avec force : « L’autoritarisme aidera-t-il les Juifs ? »L’histoire enseigne le contraire. Chaque fois que la démocratie a reculé, les Juifs ont souffert. Et chaque fois qu’un régime autoritaire a prétendu les protéger, il s’agissait moins de sécurité que de récupération politique.

Protéger les Juifs, ce n’est pas s’en servir

La leçon de Timothy Snyder est limpide : les mots comptent. Les abus de langage tuent la vérité. Ceux qui crient à l’antisémitisme tout en instrumentalisant cette accusation pour étouffer le débat, ne protègent pas les Juifs. Ils les exposent à nouveau, à leur insu, au rejet et à l’isolement.

La lutte contre l'antisémitisme une arme à double tranchant

L’antisémitisme de notre époque n’avance plus masqué, il se recycle. Il se transforme en accusation inversée, il revêt les habits de la vertu, pour mieux frapper là où ça fait mal.Ce n’est plus seulement la haine du Juif qui menace, mais la récupération du Juif par ceux qui veulent dominer le récit, imposer le silence, et défendre des valeurs contraires à celles de la démocratie.

 

 

 

 

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