André Chargueraud

Marc-André Charguéraud.
Né en 1924 à Paris dans une famille de fonctionnaires.
Père de quatre filles.
Engagé volontaire dans l’armée française après la Libération de Paris en 1944.

Diplômé de Science-Po Paris.
Licence de droit de la faculté de Paris.
Master of Business Administration de l’université de Harvard.

5 années aux Etats Unis : université et études de marché pour des entreprises françaises.

Compagnie des Machines Bull puis Bulle-General Electric :
Directeur commercial de Bull Belgique.
Directeur général de Bull Deutschland.
Directeur général adjoint au siège responsable des activités commerciales.

Fondateur et PDG de Gemini, une start up de logiciel informatique. Devenu par des fusions successives Cap-Gemini, côté au CAC 40.

PDG de SGS Genève, leader mondial des services d’inspection, de contrôle et de certification de marchandises.

A ma retraite : Président des Conseils d’administration de La Genevoise Assurance, de la Banque Unigestion, des Editions Labor et Fides, fondateur et vice-président du Musée international de la Réforme à Genève.

Depuis 15 ans auteur de dix livres qui sont des synthèses grand-public. Ils traitent de l’attitude pendant la Shoah des communautés religieuses, des peuples et des gouvernements occidentaux.

Les articles de André Chargueraud

Shoah : Mai-septembre 1945 - Les survivants dénoncent leur abandon

Mai-septembre 1945 - Les survivants dénoncent leur abandon

Trois mois ne semblent pas longs dans une existence normale, mais c’est interminable pour le malade, l’affamé, le mourant qui attendent de secours depuis des mois, des années.

Tout a été écrit sur les conditions épouvantables qui sévissent dans les camps de concentration libérés par les Alliés occidentaux.[1] Un chiffre terrible donne la dimension de l’horreur.

Dans le seul camp de Bergen-Belsen, au cours des semaines qui ont suivi la Libération, plus de 14 000 personnes sont mortes de maladies ou tout simplement d’épuisement extrême.[2] Certains détenus sont dans un état physique tel qu’il est impossible de les sauver.[3]

On ne peut que leur apporter quelque réconfort pendant leurs derniers jours. Mais combien d’autres auraient pu retrouver la santé si des secours adaptés étaient arrivés en temps voulu ? Des milliers certainement. Le temps passe et la situation ne s’améliore que bien trop lentement.

Le 12 mai 1945, l’aumônier militaire juif Robert Marcus envoie un rapport sur Bergen-Belsen au Congrès juif mondial : « Bien que ces gens aient été libérés par les Britanniques le 15 avril, le 9 mai ils vivent toujours dans des conditions sanitaires inimaginables…Il y a un manque épouvantable de nourriture, de médicaments et pas de personnel….Il y a une immense déception psychologique et un sentiment d’impuissance pour le futur après la joie de courte durée qui a suivi la Libération. »[4] Le docteur Zalman Grinberg, un survivant qui dès la Libération dirigea un hôpital à St. Ottilien, s’exclame le 27 mai 1945 devant une assemblée de survivants juifs : « Nous sommes libres mais nous ne savons ni comment ni avec quoi commencer nos vies de liberté et pourtant malheureuses. Il nous semble qu’actuellement le monde ne comprend pas ce que nous avons vécu et connu pendant cette période. Et il nous semble que nous ne serons pas non plus compris dans le futur. Nous avons désappris à rire ; nous ne pouvons plus pleurer ; nous ne comprenons pas notre liberté : probablement parce que nous sommes toujours parmi nos camarades morts. »[5]

A la mi juin 1945, Abraham Klausner, un aumônier juif qui est très actif en Allemagne, écrit aux Etats-Unis. Les semaines passent mais la situation reste critique. « Il y a six semaines ils étaient libérés (les survivants). Ils furent envoyés dans toute une série de camps et restèrent habillés dans ce costume infamant.[6] Ils sont logés dans des habitations impropres à une occupation humaine et ils sont nourris dans de nombreux cas avec moins que ce qu’ils recevaient dans les camps de concentration. Et je n’utilise pas ces mots de façon imprudente. » Il continue : « A quoi servent toutes mes plaintes ? Je ne peux arrêter leurs larmes. L’Amérique était leur espoir et tout ce que l’Amérique leur a donné, c’est un nouveau camp avec des gardes en kaki. La liberté, bon dieu non ! Ils sont derrière des murs sans espoir. Juifs d’Amérique, ne pouvez-vous pas élever le ton ? Leaders de notre peuple, criez pour demander une nouvelle aurore pour ceux qui ont haï le crépuscule chaque jour ? Il en reste si peu. »[7]

Earl G Harrison a été envoyé en juillet 1945 par le président Harry Truman pour examiner la situation sur place. Dans son rapport il confirme les constatations faites par les aumôniers. Trois mois après la victoire, Harrison recense de nombreux cas de sous-alimentation sévère. Les survivants vivent souvent derrière des barbelés dans d’anciens camps de concentration surpeuplés, souvent sans sanitaires acceptables, dans des conditions généralement sinistres.

Ils sont nombreux habillés avec leurs hardes des camps de concentration ou même d’anciens uniformes de SS allemands.[8] Et Harrison conclut avec exagération certes, mais son appréciation de la situation correspond à ce que pense plus d’un survivant :

Telle que la situation se présente, il semble que nous traitions les Juifs comme les nazis les traitaient, sauf que nous ne les exterminons pas. »[9] Ailleurs dans son rapport Harrison reprend le même thème avec plus de retenue : de nombreux Juifs ont le sentiment d’être abandonnés par leurs libérateurs « bien qu’ils sachent qu’ils n’ont plus à redouter les chambres à gaz, les tortures et d’autres formes de mort violente, ils ne constatent que peu de changements. »[10] Grinberg résume le désenchantement avec sobriété dans le choix de ses mots.[11]

« Les gens ont perdu l’espoir…. Nous pensions que nous allions recevoir des Américains au moins le minimum pour vivre, mais il semble que notre destin soit d’en être privé, exactement comme ce fut le cas avant et pendant la guerre. »[12]

Fin septembre 1945, désabusé, Grinberg devient plus offensif. Il écrit au Congrès juif mondial à New York : « Le détenu moyen… est dans un état d’abattement insondable car survolant un très triste présent, il est confronté à la question sans réponse de son futur. Un passé cruel et affreux, un présent dur et amer, des lendemains incertains donnent à notre peuple l’impression d’être des êtres détruits qui tombent de plus en plus dans un désespoir sans fin. » Il résume la situation en une phrase terrible : « Il vaut mieux être un Allemand vaincu qu’un Juif libéré. »[13]

Les Alliés n’ont pas su faire face aux problèmes que leur pose dans les camps de concentration une population dans une situation matérielle et psychologique désespérée. On peut dans une large mesure parler d’« abandon. » C’est un terme qui a souvent été utilisé pour reprocher aux Américains et aux Anglais leur inertie et leur manque d’initiative pendant les années de la Shoah. Mais les Alliés sont maintenant sur place, le Reich est battu, et les survivants demandent une reconnaissance de leurs souffrances et un soutien matériel et moral sans faille qui ne leur est pas donné. Trois mois ne semblent pas longs dans une existence normale, mais c’est interminable pour le malade, l’affamé, le mourant qui attendent depuis des mois, des années.

Trois mois pendant lesquels ce sont les armées occidentales d’occupation qui ont seules assumé l’entière responsabilité de la gestion des camps de concentration libérés en Allemagne et en Autriche.

 

[1] MARRUS 1985, op. cit.  p. 309 cite Lederer 1953, p. 197. Donne ici comme exemple Theresienstadt, un camp pourtant modèle. « Même jeunes les prisonniers avaient l’air de vieillards. Ils étaient trop faibles pour marcher ou simplement bouger, étaient couverts de poux, d’ulcères et de plaies purulentes ...

ils portaient de maigres hardes récupérées sur les cadavres encore entassés dans des wagons. Beaucoup avaient le regard embrumé par l’énormité de leurs souffrances qui avaient dépassé les limites de l’endurance.

Ils étaient pathétiques, indifférents à leur destin. D’autres avaient les yeux brillants de fièvre, ils se jetaient avidement sur la moindre miette de nourriture etc. le corps pris de tremblements, ils racontaient leur faim insatiable, leur lutte désespérée pour survivre et l’agonie de la mort de tant de leurs compagnons de misère. »

[2] BAUER 1982, op. cit. p. 329.

[3] GILBERT 1987, op. cit. p. 800. « S’ils pesaient moins de trente kilos, ils n’étaient plus en contact avec la vie. Il ne leur restait plus de forces, ni la volonté de survivre, plus de résistance. »

[4] GROBMAN, op. cit. p. 67.

[5] HILLIARD, op.cit. p. 22. Grinberg est un survivant du ghetto de Kovno, des marches de la mort et du camp de Dachau. Martin 1987, p. 810.

[6] Pyjamas rayés imposés par les Allemands à leurs prisonniers. Ces camps sont des centres de regroupement avant rapatriement.

[7] GROBMAN, op. cit. p. 65 et 66. Lettre à Philip Bernstein executive director du Committee on Army Religious Activity (trois associations de rabbins).

[8] PROUDFOOT, op. cit. 326.

[9] HYMAN, op. cit. p. 53.

[10] OUZAN Françoise, Ces Juifs dont l’Amérique de voulait pas, 1945-1950,  Editions Complexes, Paris, 1995.  p. 25.

[11] GROBMAN, op. cit. p. 58. Grinberg, un survivant du camp de Schwabenhausen, près de Dachau.

[12] HILLIARD, op. cit. p. 104.

[13] GROBMAN, op. cit. p. 84.

1945- L’accueil inadmissible des survivants de la Shoah par les démocraties européennes 

Photographie de déportés transportés en bus vers l'hôtel Lutetia, printemps 1945

1945- L’accueil inadmissible des survivants par les démocraties européennes.  

Ils ne bénéficièrent d’aucune attention particulière que leur état de profonde détresse desservait. Ils furent parfois en but à des déclarations antisémites dignes du nazisme. Il faut s’en rappeler.

En Europe occidentale le nombre des survivants juifs des camps de la mort de retour chez eux ne dépasse pas 15 000 personnes.[1][1] 5 450 juifs déportés sont revenus aux Pays-Bas.[2][2]  6 500 si l’on ajoute les Juifs qui se trouvent dans le camp hollandais de Westerbork.[3][3] 3 500 reviennent en France, 5 000 avec les 1 500 détenus de Drancy.[4][4]

En Belgique le nombre de déportés revenus est de 1 335. Ce chiffre passe à 5 900 si l’on inclut les Juifs déportés ou internés en camps ou en prisons en Belgique, France et Hollande.[5][5] On aurait pensé qu’avec ces effectifs malheureusement très modestes, leurs pays d’origine auraient pu organiser un accueil à la hauteur des souffrances subies. Il n’en fut rien.

Dans les trois démocraties, les autorités ont refusé toute aide, toute considération particulière aux survivants juifs.

A Amsterdam par exemple une organisation juive rapporte que « toutes les catégories (de rapatriés) sont traitées de la même façon. »[6][6] Il ne faut pas s’étonner de cette attitude alors qu’un dirigeant du gouvernement hollandais en exil à Londres a déclaré : « Nous ne sommes pas comme les nazis, nous ne faisons pas de différence entre les citoyens juifs et les citoyens non juifs. »[7][7]

Les Belges refusent tout avantage aux survivants juifs, car cela aurait signifié la reconnaissance de la « question juive », ce qui doit absolument être évité. Les Juifs ne doivent être distingués du reste de la société que par la religion.[8][8]

En France la position de la loi du 8 août 1945 rend nulles et non avenues toutes les mesures discriminatoires à l’égard des Juifs. En conséquence, les autorités françaises répondent aux organisations juives qui demandent un traitement préférentiel : « Nous sortons de quatre années de racisme, ne soyez pas vous-mêmes racistes…. Le gouvernement français ne reconnaît aucun problème juif distinct. »[9][9] Il traite les déportés juifs de retour comme les autres. Et pourtant, paradoxe, des rescapés ont été enregistrés à plusieurs reprises avec la mention « Juif » sur leur carte de rapatriement à leur arrivée à Paris ou à Amsterdam.[10][10]

Et comment accepter l’ostracisme dont furent victimes certains survivants. Des Juifs allemands devenus apatrides après avoir quitté le Reich dans les années trente ont été déportés des Pays-Bas pendant l’occupation.

En juin 1945, ils sont rapatriés de Bergen-Belsen. Les autorités hollandaises les emprisonnent comme Allemands avec des SS et des nationaux-socialistes hollandais dans le camp de Vilt, près de Maastrich.[11][11]

En France, des Juifs étrangers sont arrêtés parce qu’ils ont de faux papiers datant du temps de leur clandestinité. Ils ont réussi à échapper à la Gestapo et sont, après la Libération, plusieurs à se retrouver au Camp de Drancy internés parmi des collaborateurs.[12][12]

A la Libération du camp de transit juif de Westerbork en Hollande 896 Juifs s’y trouvent. Le 24 mai ils sont encore 300, le 7 juillet 120. Le processus de contrôle des autorités hollandaises est long, beaucoup trop long ![13][13]

Unanimes, les gouvernements considèrent que l’aide est du ressort des communautés juives nationales et de leurs organisations. Ce sont elles qui doivent prendre en charge les survivants juifs de retour, les autorités estimant qu’elles n’ont aucune responsabilité à cet égard au-delà de ce qu’elles font pour les autres déportés. Des communautés juives importantes ont survécu dans ces pays. Elles ont rapidement mis sur pied des organisations de secours. L’Aide aux Israélites victimes de la guerre en Belgique en octobre 1944. Le Jewish Coordination Committee aux Pays-Bas en janvier 1945.[14][14] En France le Comité juif d’action sociale et de reconstruction.[15][15]

A un mauvais accueil difficile à admettre s’ajoute une atmosphère antisémite insupportable. La lecture du journal démocrate-chrétien Het Volk daté du 30 avril 1946 en témoigne : « Il est incroyable combien d’étrangers vivent illégalement en Belgique en ce moment. …. Avant la guerre, 75 000 Juifs résidaient en Belgique et maintenant, malgré leur persécution par les Allemands, ils sont encore au moins 40 000 à 50 000…. Il faut espérer un large balai,..»[16][16]

Même un pays comme les Pays-Bas, connu avant la guerre pour la faiblesse de son antisémitisme, est atteint par ce cancer.

En 1944 dans un rapport remis au gouvernement de Londres par une organisation de résistance, on peut lire : « Comme objectif le rétablissement d’une communauté juive est à la fois incorrect et indésirable…. Il n’y a pas de place pour une reconnaissance morale séparée. »[17][17] Une lettre publiée le 4 avril 1945 par Vrij Nederland reflète l’attitude d’une partie de la population hollandaise. Les Juifs « utilisent toute leur énergie et influence à s’entraider … le moment est venu de montrer que nous ne voulons pas être envahis à nouveau. »[18][18]

Au printemps 1945, un auteur hollandais écrit dans un livre : « Bien sûr le problème juif est une question brûlante, mais ceux qui cherchent une solution par la haine et l’envie ont rejeté l’amour chrétien… Bien sûr, le monde chrétien devra mener son combat contre l’hégémonie juive, mais cela sera une lutte selon ses propres principes. »[19][19]

On reste confondu par de telles prises de position et ce ne sont pas les propos convenus du premier ministre Pieter Gerbrandy qui changeront les choses. Le 13 avril 1945 à Eindhoven, questionné sur sa position sur l’antisémitisme, il répond : « C’est inadmissible. Je ne peux comprendre que quelqu’un puisse être antisémite. Ce n’est pas chrétien, nos Juifs ont souffert de la manière la plus horrible. »[20][20] Au-delà de paroles lénifiantes, des chrétiens ont montré leur solidarité. « Au premier service qui se tint à la synagogue d’Amsterdam, en mai 1945, quatre cinquièmes des participants furent des non juifs qui vinrent pour exprimer leur sympathie pour leurs voisins juifs », pouvait-on lire dans l’American Jewish Yearbook.[21][21]

Les survivants ont espéré que le monde qui les a abandonnés aux bourreaux nazis allait assumer sa responsabilité. Ils n’ont eu droit qu’à la pitié. Ce qu’ils ont enduré méritait d’être reconnu. Ils ont recueilli l’indifférence. Les Juifs sont exclus de la reconnaissance nationale. Elle est réservée aux Résistants et aux politiques déportés et dans une moindre mesure aux prisonniers de guerre.

Alain Finkieltkraut en donne la raison : « Les anciens membres de la résistance désiraient eux-mêmes se distinguer des survivants juifs. Ils soulignaient qu’ils avaient été déportés pour les actions qu’ils avaient menées et non pour ce qu’ils étaient. »[22][22] Ce sont eux que l’on a parfois appelés « les survivants passifs », oubliant les nombreux Juifs qui ont résisté.[23][23]

Le monde n’avait pas pris la mesure de la « catastrophe » subie par la communauté juive d’Europe. La « destruction des Juifs », telle qu’elle est comprise aujourd’hui avec les termes « génocide », « holocauste », « shoah », n’est apparue que des années plus tard. Il faut aussi attendre « l’inversion des mémoires qui sont passées de l’hégémonie des déportés résistants durant les premières décennies de l’après-guerre à l’attention prédominante pour les victimes juives lors des dernières décennies du XXème siècle. »[24][24]

En cette fin août 1945, la dimension de la Shoah n’est pas encore connue et les victimes sont le plus souvent ignorées. Les survivants de la Shoah sont 50 000 dans les camps de DP occidentaux et des centaines de mille dans l’Est de l’Europe. Ils vont pendant des années attendre « une délivrance définitive », oubliés par un monde qui les refuse, qui les exclut.

 

[1][1] Un peu plus de 10 000 en provenance des camps de concentration occidentaux.

[2][2] DWORK Deborah et VAN PELT, The Netherland, in WYMAN David Ed. The World Reacts to the Holocaust, The John Hopkins University Press, Baltimore et Londres, 1996. p. 55.

[3][3] MOORE, op. cit. p. 229.

[4][4] WEINBERG David, France, in WYMAN David Ed. The World Reacts to the Holocaust, The John Hopkins University Press, Baltimore et Londres, 1996. p. 15 KASPI, op. Cit. p. 383.

[5][5] CAESTECKER Frank, Belgium, in BANKIER David ed. The Jews are Coming Back: The Return of the Jews to their Country of Origin after WW II, Berhahn, New York, 2004. p.74.

[6][6] HONDIUS Dienke, Holocaust Survivors and Dutch Antisemitism, Praeger, Westport, 2003. p. 138. Rapport du 8 juin 1945 de l’organisation anglaise du Jewish Relief Unit.

[7][7] CHESNOFF Richard, Pack of Thieves : How Hitler and Europe Plundered the Jews and Committed the Greatest Theft in History, London- Phoenix, 2000. p. 96.

[8][8] CAESTECKER, op. Cit. p. 104.

[9][9] POZNANSKI Renée, France, in BANKIER David ed. The Jews are Coming Back: The Return of the Jews to their Country of Origin after WW II, Berhahn, New York, 2004. p. 45.

[10][10] LAGROU Pieter, The Legacy of Nazi Occupation in Western Europe. Patriotic Memories and National Recovery.1945-1965, Cambridge University Press, Cambridge Mass, 2000. p. 243.

[11][11] HONDIUS, op. cit. p. 113. Lagrou 2000, p. 243.  En Belgique ces Juifs seront classés comme citoyens ennemis et en subissent le sort pendant de long mois. LAGROU in BANKIER 2004, p. 84 et 86.

[12][12] BAUER1989, op. cit. p. 32.

[13][13] MOORE, op. cit.p. 229.

[14][14] HONDIUS 2003, p. 39.

[15][15] WEINBERG, op. cit.17.

[16][16] CAESTECKER, op. cit. p. 98.

[17][17] HONDIUS, op. cit.  p. 52.

[18][18] IBID, p. 96.

[19][19] LAGROU, op. cit. p. 244.

[20][20] HONDIUS, op. cit. p. 152.

[21][21] CONNY Kristel,  Netherland, in BANKIER David ed. The Jews are Coming Back: The Return of the Jews to their Country of Origin after WW II, Berhahn, New York, 2004, p. 138. American Jewish Yearbook 1945/1946, p. 383.

[22][22] HONDIUS, op. cit. p. 124. Citant FINKELKRAUT, La mémoire vaine. Du crime contre l’humanité, Paris 1989, p. 36. LAGROU 2000, p. 214 cite la Fédération nationale des déportés et internés de la résistance : « Sans sous-estimer, même si peu que ce soit, le mérite des malheureux qui ont souffert… chacun mesurera la différence qui apparaît entre la fatalité dans l’épreuve et le risque librement encouru. C’est précisément de propos délibéré et dans un sentiment spontané d’abnégation que les volontaires de la résistance acceptèrent par avance toutes les conséquences de leurs actes. »

[23][23] HONDIUS, op. cit. p.126. L’expression est de l’historien belge Pieter Lagrou.

[24][24] LAGROU, op. cit. p. 240.

1945-1947 : le peuple américain hostile à l’arrivée des Juifs de André Chargueraud

1945-1947 Le peuple américain hostile à l’arrivée des Juifs.

1945-1947 Le peuple américain hostile à l’arrivée des Juifs.

La guerre est terminée. Les horreurs de la Shoah sont connues et pourtant, insensibles, de très nombreux Américains s’opposent à l’arrivée des survivants.

 

En 1944, 1945 et octobre 1946, trois grandes organisations patriotiques qui regroupent des centaines de milliers de membres, les Filles de la révolution américaine, la Légion américaine et les Vétérans des guerres étrangères, demandent l’interdiction totale de l’immigration aux Etats-Unis pour les prochains cinq à dix ans. Le plus grave, c’est que pour eux, même si les Juifs ne constituent que 10 à 20% des personnes déplacées qui végètent dans les camps, le mot « réfugié » est synonyme de « Juif ».[1] Newsweek rapporte que de nombreux Américains demandent : « Les réfugiés ne sont-ils pas juifs ? Ne sont-ils pas venus d’Europe de l’Est ? Et cela ne signifie-t-il pas que la plupart d’entre eux sont probablement communistes ? »[2]

Des enquêtes successives confirment une attitude de plus en plus négative du public américain à l’égard des Juifs. A la question : « Avez-vous entendu des critiques ou des discussions contre les Juifs au cours des six derniers mois ? Oui répondent 46% des sondés en 1940, 52% en 1942, 60% en 1944 et 64 % en 1946 ».[3] La situation est pire dans l’armée américaine stationnée en Allemagne. 1790 soldats sont interrogés en mars 1946 sur le racisme et l’antisémitisme des Allemands. L’étude révèle que 51% pensent qu’il y avait des côtés positifs dans la politique de Hitler, 22% estiment justifiée la politique nazie de la Solution finale et 19% pensent légitime la guerre déclarée par l’Allemagne. »[4]

Le 16 août 1946 Truman évoque son intention de demander au Congrès d’admettre un nombre non spécifié de personnes déplacées aux Etats-Unis. C’est aussitôt une levée de boucliers. Une enquête Gallup quelques jours plus tard révèle que 72% des personnes interrogées sont contre l’admission d’un plus grand nombre de Juifs ou d’autres réfugiés d’Europe, 16% approuvent la proposition Truman et 12% sont sans opinion.[5] Le refus par la population de tout assouplissement des quotas est sans appel.

Cette attitude négative du peuple américain se reflète au Congrès. « Dans le pays comme au Congrès il existe une méfiance constante à l’égard des étrangers et aussi choquant que cela soit, des Juifs en particulier », écrit en août 1947 Irving Engel, président du Comité d’immigration de l’American Jewish Committee.[6] Pour l’historien Leonard Dinnerstein « la plupart des membres du Congrès n’avaient que peu de connaissance au sujet des personnes déplacées et n’arrivaient pas à comprendre pourquoi elles n’étaient pas rentrées chez elles après la guerre.

On aurait pu penser que tous les Juifs d’Amérique auraient milité en faveur de l’admission aux Etats-Unis d’un maximum de leurs coreligionnaires d’Europe qui cherchent désespérément à quitter les camps en Allemagne où ils sont retenus. Ce n’est pas le cas. En septembre 1945, une enquête d’opinion estime que 80% des Juifs d’Amérique sont en faveur d’un Etat juif en Palestine. Ils craignent que l’admission de réfugiés juifs aux Etats-Unis ne se fasse au détriment de l’immigration en Palestine.[7]

 

[1] DINNERSTEIN in ROSENSAFT Menachem, Life Reborn : Jewish Displaced Persons, 1945-1951. Conférence Proceedings, Washington 14-17 200, United States Holocaust Memorial Museum, Washington, 2001. p. 106.

[2] DINNERSTEIN 1982, op. cit. p. 133.

[3] DINNERSTEIN 1994, op. cit. p. 132.

[4] BAUER 1989, op. cit. p .9, C’est Hitler qui a déclaré la guerre aux Etats Unis en décembre 1941.

[5] GROBMAN, op. cit. p. 167.

[6] GENIZI Haim, America’s Fair Share : The Admission and the Resettlement of Displaced Persons 1945-1952, Wayne State University Press,   Detroit 1993. p. 73.

[7] GANIN, op. cit. p. 47. WYMAN 1996, op. cit. p. 711.

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1945 : Désaccords entre Washington, Londres et Ryad par Marc-André Charguéraud

Désaccords entre Washington, Londres et Ryad par Marc-André Charguéraud

1945   Désaccords entre Washington, Londres et Ryad.

Par Marc-André Charguéraud

.Les Alliés tergiversent, alors que les survivants attendent des secours toujours insuffisants et sont désespérés de ne pas être fixés sur leur sort.

Il n’a pas fallu attendre longtemps. Trois mois après la victoire, le temps de donner les premiers soins aux survivants des camps de concentration et de rapatrier ceux qui le peuvent, la discorde entre les différents gouvernements éclate.

Le 31 août 1945, le Président Harry Truman  écrit à Clement Attlee, le Premier ministre travailliste britannique. Il demande que la Grande-Bretagne accepte la proposition sioniste d’admettre 100 000 survivants juifs en Palestine. A ses yeux « aucun autre sujet n’est aussi important pour ceux qui ont connu les horreurs des camps de concentration… que les possibilités futures d’immigration en Palestine ». Il ajoute que « le peuple américain pense fermement que les portes de l’immigration en Palestine ne doivent pas être fermées ».

Truman a de sérieuses raisons de penser que le nouveau gouvernement travailliste de Attlee acceptera sa demande. En décembre 1944, à la Convention de Blackpool, six mois avant la victoire électorale travailliste, on pouvait lire dans la résolution concernant la Palestine : « Les Arabes doivent être encouragés à quitter la Palestine afin que les Juifs puissent y arriver. Les Arabes ont de vastes territoires et ne peuvent pas refuser l’installation des Juifs en Palestine, un territoire qui n’est pas plus important que le Pays de Galles. Nous devons même étudier la possibilité d’étendre les frontières de Eretz Israël en accord avec l’Egypte et la Transjordanie. »

Un message de juillet 1945 du Dr Hugh Dalton, un dirigeant du parti travailliste, renforce avec conviction la déclaration de Morrison : « Il est moralement inadmissible et politiquement indéfendable d’imposer des obstacles à l’entrée de la Palestine aux Juifs qui désirent s’y rendre. »[1]

Le 14 septembre, Ernest Bevin, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, rencontre son homologue américain James Byrnes. Il craint que l’arrivée massive de Juifs n’entraîne une rébellion armée arabe majeure comme cela fut déjà le cas en juillet 1937.[2] Il met Byrnes en garde : si 100 000 Juifs supplémentaires sont admis en Palestine, alors les Etats-Unis doivent s’engager à envoyer quatre divisions pour maintenir l’ordre. Bevin joue sur du velours, Truman ayant indiqué dans sa conférence de presse du 16 août qu’il n’avait « aucun désir d’envoyer 500 000 soldats américains pour maintenir la paix en Palestine. »[3]

Le 16 septembre, Attlee dans sa réponse fait remarquer à Truman  qu’aucune décision à propos de 100 000 certificats d’immigration supplémentaires ne peut être prise sans consulter au préalable les gouvernements arabes.

Attlee rappelle la lettre de Roosevelt à Ibn Saoud  du 5 avril 1945 dans laquelle le Président Roosevelt confirme « qu’aucune action ne sera prise… qui puisse apparaître comme hostile au monde arabe. » Truman lui-même n’avait-il pas écrit à Amir Abdullah de Transjordanie qu’« aucune décision ne serait prise au sujet de la Palestine sans une consultation approfondie avec les Arabes et les Juifs. » Attlee estime que briser ces engagements mettrait le Proche-Orient à feu et à sang.[4]

Le roi d’Arabie saoudite Ibn Saoud est furieux d’apprendre que le Président Truman recommande l’admission de 100 000 Juifs en Palestine. Dans une longue lettre, il décrit les Juifs comme des gens violents, agressifs et hostiles à l’ensemble du monde arabe. Pour montrer la duplicité de Washington, il fait publier le 19 octobre par le New York Times ses échanges de lettres d’avril avec le Président Roosevelt.[5]

Derrière cette exaspération se trouve un sentiment de grande injustice que ressentent les Arabes.  Il est résumé dans un article du 28 janvier 1946 de la New Republic du lobbyiste arabe Samir Shamma : les Arabes condamnent comme un « crime intolérable » l’extermination par les nazis des Juifs d’Europe, mais ils considèrent « qu’il est parfaitement injuste que le problème des persécutions juives soit résolu en persécutant une autre nation, les Arabes en Palestine ».

Devant cette agressivité les Anglais sont inquiets. Dans un geste de bonne volonté, le Comité pour les réfugiés juifs en Grande-Bretagne propose d’accueillir 10 000 enfants avant l’hiver.

Le 7 novembre 1945, le Comité central des Juifs libérés de Bavière met « son veto le plus strict à leur envoi en Grande-Bretagne ». Le Comité s’explique : « Etant donné ce qui se passe en Palestine où les forces armées anglaises ont décidé d’utiliser les armes et la détention contre les Juifs qui ont été sauvés des affres de la mort… Nous n’avons pas la moindre confiance dans l’aide et l’hospitalité que la société britannique tente de montrer à l’égard de nos enfants. »[6]

Un message confidentiel du 12 octobre de Bevin à Halifax, l’ambassadeur britannique à Washington, témoigne du climat délétère qui règne entre les deux pays. « Je trouve que les Etats-Unis ont été fondamentalement malhonnêtes sur ce problème (celui des 100 000 Juifs). Jouer sur des sentiments raciaux pour gagner des élections, c’est tourner en dérision la politique des Etats-Unis de promouvoir des élections libres dans d’autres pays. Les Juifs ont terriblement souffert, il en résulte un nombre de problèmes que le Président Truman et ceux d’autres pays d’Amérique exploitent dans leur propre intérêt. »[7]

Traditionnellement le vote juif est acquis aux démocrates. En 1944, 90% des Juifs ont voté pour Roosevelt. Il y a alors 5 millions de citoyens américains juifs et ils sont nombreux à occuper des positions leur donnant accès à la Maison- Blanche, au gouvernement et à la presse.[8] Truman prépare la campagne électorale de novembre pour la mairie de New York et celle de mi-mandat en 1946.[9] Il reconnaît l’importance du vote juif dans sa déclaration électorale du 4 octobre 1946 : « Je dois rendre compte aux centaines de milliers de ceux qui sont anxieux de voir le succès du sionisme se réaliser. Je n’ai pas de centaines de milliers d’Arabes parmi mes électeurs. »[10]

Pendant ce temps des dizaines de milliers de survivants s’entassent dans des camps gardés par des militaires. Les secours tardent malgré leurs appels de détresse. Ils attendent, désespérés de savoir où ils seront accueillis pendant que les Alliés se querellent sur leur sort.

[1] Cité par Hyman 1993, p. 51.

[2] Wasserstein 1979, p. 13. Les rébellions ont eu lieu après la parution du rapport Peel qui prévoyait la partition de la Palestine. Pour rétablir la situation, la Grande-Bretagne fut obligée d’envoyer deux divisions qui représentaient 40% de ses troupes opérationnelles. Morris 2003, p. 179. Les rébellions arabes entre 1936 et 1939 auraient fait de 3000 à 6000 morts parmi les Arabes, quelques centaines du côté juif.

[3] Cité par Hyman 1993, p. 89. Truman répétera plusieurs fois sa volonté de ne pas engager de troupes en Palestine.

[4] Cité par Hyman 1993, p. 90. Snetsinger 1999, p. 20.

[5] Ganin 1979, p. 41. Ibn Saoud n’a eu connaissance de l’information qu’en même temps que le public, le 29 septembre.

[6] Cité par Mankowitz 2002, p. 104.

[7] Cité par Ganin 1979, p. 50.

[8] Kochavi 2001, p. 100.

[9] Kochavi 2001, p. 97. Snetsinger 1999, p. 7. 65% des Juifs se trouvaient dans les Etats de New York, Pennsylvanie et Illinois, des Etats-clés où leurs votes bien que marginaux faisaient la différence.

[10] Cité par Hathaway 1981, p. 291.

1941-1945 Les communistes juifs : un combat contre l’occupant et pas de défense des Juifs

1941-1945

Les communistes juifs : un combat contre l’occupant et pas de défense des Juifs.

 Par Marc-André Charguéraud

 

Les communistes juifs fondent dès le début de la guerre en septembre 1940 le groupe Solidarité.

Ce groupe se place d’entrée hors la loi. Toléré par les Allemands au nom du Pacte germano-soviétique, Solidarité diffuse en France l’appel aux armes contre les nazis lancé aux Juifs par Moscou le 24 août 1941.[1]

Pour les Allemands, les membres de Solidarité deviennent  l’ennemi absolu.

Immigrés de l’Est, ils sont pour les nazis des sous-hommes. Encadrés par des anciens des Brigades internationales, ils sont nombreux à avoir combattu en Espagne contre Franco, l’allié de Hitler. Pour les communistes juifs dès le début, c’est une question de vie ou de mort. On comprend qu’ils aient choisi de combattre plutôt que d’être arrêtés sans résister. Le but de leur résistance, c’est avant tout de régler le problème juif en détruisant le nazisme.

Ces communistes sont persuadés que les Juifs trouveront dans les forces communistes l’aide dont ils auront besoin quand cela deviendra nécessaire.[2]

Solidarité multipliera les initiatives pour élargir sa base de militants. En juin 1942 les communistes créent le Mouvement National contre le Racisme ( MNCR ).

En avril 1943, Solidarité change de nom pour l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide ( UJRE ).

Son but : organiser la défense de la population juive, assurer une aide matérielle aux nécessiteux et établir des relations avec les forces résistantes du pays contre l’ennemi commun.[3] Il s’agit surtout de rassembler d’autres organisations de gauche afin de créer une véritable alternative à l’Union Générale des Israélites de France ( UGIF).

En juillet 1943, une rencontre entre l’UJRE et la FSJF ( Fédération des Sociétés juives de France ), le mouvement des socialistes immigrés, n’arrive pas à rapprocher leurs politiques. L’UJRE soutient que la sauvegarde des Juifs est inséparable de la lutte armée et que la condition du salut est d’assurer au plus vite la défaite de l’Allemagne.[4] Suivant l’expression d’André Kaspi :

« Que l’on ne se trompe pas ! Les résistants juifs qui militent au sein des organisations de résistance ne sont pas des Juifs résistants. Ils font avant tout la guerre à l’Allemagne. »[5] Léon Poliakov abonde dans le même sens, lorsqu’il précise que « l’idéologie de leur résistance était aussi peu juive que celle des combattants militants de la résistance française en général. »[6] La priorité des communistes juifs n’est pas d’éviter aux Juifs la déportation et la mort. L’UJRE n’interviendra pas pour défendre les intérêts immédiats de la population juive. Les communistes juifs suivent les ordres du parti communiste inféodé à Moscou.

On est aux antipodes des préoccupations de la FSJF, qui en priorité absolue cherchent tous les moyens possibles pour assurer la survie des immigrés en clandestinité.

Le 29 septembre 1941, Libération Nord, une publication socialiste proche de la FSJF, titre « Pas d’actes inutiles » et condamne l’attaque de soldats allemands.[7] Les objectifs doctrinaires des Juifs communistes ne font que creuser le fossé. Ils refusent de militer pour un Etat juif situé en Palestine. Ils disent préparer la révolution mondiale qui va bouleverser la société de fond en comble, au point de faire disparaître les tensions, les hostilités antisémites.[8]

De quoi s’aliéner les sionistes, et perdre le soutien de ceux pour lesquels ces positions idéologiques semblent éloignées de leurs tourments journaliers.

Le cycle infernal des attentats et représailles qu’ils déclenchent achève d’isoler les Juifs communistes de leurs coreligionnaires. Pourquoi tous ces attentats contre des militaires allemands pris au hasard, qui entraînent immanquablement l’exécution d’un grand nombre de Juifs innocents.

Que l’on se rappelle la rafle du 20 au 23 août 1941 qui s’abat sur 4 230 Juifs dont 1 600 de nationalité française. Il s’agit d’une mesure de représailles et de prévention contre l’agitation communiste faisant suite à l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht.[9]

Ce sont des attentats communistes contre les troupes d’occupation qui entraînent le 12 décembre 1941 l’arrestation de 743 Juifs, la plupart de nationalité française.[10] Cette résistance communiste est souvent perçue par les autres Juifs comme des provocations qui mettent la communauté en péril.[11]

Le 23 octobre 1941, de Gaulle demande « que tous les combattants (...) observent exactement la consigne que je donne pour les territoires occupés, c’est de ne pas tuer ouvertement les Allemands (...) Il est trop facile à l’ennemi de riposter par le massacre de nos combattants. »[12]

L’activité caritative de Solidarité aurait pu être le fer de lance d’un rassemblement. Elle s’est limitée à la prise en charge des familles des Juifs communistes engagés dans l’action militaire.[13] Solidarité n’aurait jamais pu être le noyau d’un mouvement plus large qui aurait nécessité à côté d’un consensus politique, une continuité et une stabilité qui lui firent défaut.[14]

Les représailles allemandes ont détruit deux fois l’essentiel de l’encadrement de Solidarité. En mai, juin, juillet 1943, plus de soixante cadres sont arrêtés. Puis au début 1944 ce sont 72 membres de la branche armée de l’UJRE, la MOI, avec à sa tête Missak Manouchian, qui disparaissent entre les mains nazies.[15]

Aux termes d’une analyse détaillée de la situation, l’historienne témoin engagée qu’est Annie Kriegel conclut que « c’est peu dire que la MOI ( le bras armé de Solidarité ) n’a pas servi à grand chose : elle a beaucoup desservi. Il n’en reste pas moins que le courage est le courage et le malheur est le malheur ».[16]André Kaspi ajoute : « Personne ne niera que les communistes juifs ont été des résistants efficaces, déterminés et souvent héroïques (...) Ils se sont pourtant trompés. Ils n’ont pas mené une résistance juive ».[17]

Même s’ils avaient mené une résistance juive, les Juifs communistes étaient incapables de proposer une alternative crédible pour aider les Juifs à survivre.

 

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2020. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source

 

[1] Adler 1985, p. 182.

[2] Adler 1985, p. 173.

[3] Rayski 1992, p. 263.

[4] Wieviorka 1986, p. 238.

[5] Kaspi 1991, p. 208.

[6] Lazare 1987, p. 38.

[7] Cité in Dreyfus 1990, p. 499.

[8] Kaspi 1991, p. 313.

[9] Bensimon 1987, p. 79.

[10] Bensimon 1987, p. 79.

[11] Adler 1985, p. viii.

[12] Cité in Dreyfus 1990, p. 499.

[13] Poznanski 1997, p. 425.

[14] Adler 1985, p. 223. L’auteur conclut l’inverse : « De toutes les stratégies possibles, la communiste fut la seule qui, si elle avait été généralisée, aurait assuré la survie du plus grand nombre de Juifs français ou étrangers. »

[15] Rayski 1992, p. 268 et 270, principalement des Juifs.

[16] Kriegel 1991, p. 233.

[17] Kaspi 1991, p. 321. Racine 1973, p. 90 et 91, affirme au contraire que la lutte des partisans a eu une importance colossale en empêchant l’état-major hitlérien de retirer des divisions dont il avait besoin ailleurs. Pour lui les sabotages étaient incomparablement plus efficaces que les bombardements de l’aviation anglo-américaine.

1940-1944. URSS : le sauvetage involontaire de 1 400 000 Juifs par Marc-André Charguéraud

1940-1944. URSS : le « sauvetage involontaire » de 1 400 000 Juifs.

Conséquence de la déportation de 400 000 Juifs polonais et du transfert de 1 150 000 travailleurs juifs russes vers l’est. Un sujet qui est rarement abordé dans son ensemble. Dans un cas comme dans l’autre, ce ne sont pas en tant que Juifs que ces personnes furent évacuées, mais comme éléments subversifs qu’il fallait neutraliser ou comme travailleurs dont le pays avait besoin. Mais le résultat est là.          

Par Marc-André Charguéraud

Le plus grand « sauvetage » de l’histoire de la Shoah résulte de la vaste déportation policière vers l’Asie centrale et la Sibérie d’une population polonaise jugée dangereuse et du déplacement massif de travailleurs russes juifs de la zone des combats vers les combinats industriels de l’Oural.

L’intention des autorités de l’URSS n’a jamais été de procéder à ces immenses transferts de population pour sauver qui que ce soit. Dans un cas comme dans l’autre, ce ne sont pas en tant que Juifs que ces personnes furent évacuées, mais comme éléments subversifs qu’il fallait neutraliser ou comme travailleurs dont le pays avait besoin. C’est ce qui les sauva.[1] Dans le contexte de la Shoah cette situation peut surprendre, car atypique. Ce sauvetage est peu connu malgré l’importance considérable du nombre de Juifs en cause.

Entre septembre 1939 et 1941, 400 000 Juifs polonais sont déportés par les autorités russes dans les provinces asiatiques de l’Est de l’URSS.[2] La plupart ont fui, certains ont été expulsés dans des conditions souvent atroces de la Pologne occupée par les Allemands. Cet afflux de Polonais dans leur zone d’occupation déplaît aux Soviets qui déportent la plupart des nouveaux arrivés considérés comme bourgeois réactionnaires.

La guerre terminée, près de 100 000 de ces Juifs sont morts de faim, de maladie ou de mauvais traitements. 50 000 déportés décident de rester en URSS, ils se sont intégrés à la population locale. 250 000 sont rentrés en Pologne.[3] Ces 300 000 survivants auraient été condamnés à une mort certaine s’ils n’avaient pas été exilés à l’Est de l’URSS.

A la suite de l’invasion allemande du 21 juin 1941, on trouve un déplacement comparable pour les Juifs russes. Les autorités de Moscou ont décidé de transférer des millions de travailleurs et leurs familles qui vivent à l’Ouest du pays vers les complexes industriels de l’Est.[4] Il faut agir vite car, en ce début de campagne, la Wehrmacht avance rapidement. On estime que 1 150 000 Juifs auraient été évacués pendant ce gigantesque transport de population. Un rapport russe de l’époque précise qu’« en plus d’une évacuation planifiée, il y a une migration non planifiée des populations des provinces qui risquent d’être occupées par les nazis ».[5]

Ce chiffre peut paraître élevé. Il trouve son explication dans l’histoire. Les tsars avaient enfermé les Juifs russes dans un immense ghetto centré sur la ville de Pale à l’Ouest de l’empire. Dans les premiers jours qui suivirent la révolution russe, un décret annula cette relégation. Vingt années plus tard les deux tiers des Juifs russes vivent encore dans la région où ils avaient été assignés à résidence. En 1939, ils sont 1 500 000 en Ukraine et 500 000 en Biélorussie et Crimée.[6] Sur ces deux millions de Juifs, environ 60% sont évacués vers l’Est. [7] Ils seront ainsi 1 150 000 mis hors de portée de leurs tortionnaires nazis.

Il n’y a aucune volonté délibérée de sauver des Juifs. Aucune directive n’existe dans ce sens. Les Juifs sont évacués comme main d’œuvre nécessaire aux usines d’armement du pays. Un rapport allemand daté du 11 septembre 1941 reconnaît cet exode mais lui attribue une autre raison : « Il y a un avantage aux rumeurs de l’extermination de tous les Juifs par les Allemands. Cela explique de toute évidence la raison pour laquelle les Einsatzgruppen trouvent maintenant de moins en moins de Juifs. On constate que partout 70 à 90% des Juifs se sont enfuis…»[8]

On doit parler ici de sauvetage. Les 850 000 Juifs russes qui n’eurent pas la chance de pouvoir partir furent, jusqu’au dernier, mitraillés dans des conditions affreuses par les infâmes Einsatzgruppen allemands. (Unité mobile d’extermination). Il faut se rappeler les 500 000 Juifs exécutés par balles pendant les cinq mois qui suivirent l’invasion allemande.[9] Les 33 771 Juifs assassinés en 36 heures près de Kiev dans le ravin de Babi Yar le 29 septembre 1941.[10]

Les pertes totales s’élèvent à 1 100 000 morts sur une population juive initiale de 3 100 000.[11] On doit en effet ajouter aux 850 000 Juifs morts qui viennent d’être cités 70 000 prisonniers de guerre que les Allemands ont tués ou affamés à mort, 100 000 civils morts sous les bombardements ou victimes de mauvais traitements des autorités russes et 80 000 soldats juifs tués au combat. [12]

N’est-il pas paradoxal que ce soient des déportations policières russes qui aient sauvé 75% des Juifs qui ont survécu en Pologne ? 300 000 sur 400 000. N’est-il pas surprenant que ce soit le repli massif organisé des populations russes de la zone des combats qui ait sauvé presque 60% des Juifs russes qui ont échappé aux massacres nazis ? 1 150 000 sur 2 000 000. Il fallait le dire.                        

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2020. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.

 

 

[1] Etant donné les mouvements incessants de population et les difficultés à identifier les Juifs parmi les millions de personnes déplacées, les chiffres qui suivent doivent être considérés comme des ordres de grandeur.

[2] Parmi eux figurent des milliers de Juifs baltes.

[3] BAUER 1982, op. cit. p. 295.

[4] DOBROSZYCKI et GUROCK, op. cit. p. 78. 10 à 20 millions de personnes auraient été évacuées.

[5] ALTSHULER Mordechai, Escape and Evacuation of Soviet Jews at the Time of the Nazi Invasion, in  DOBROSZYCKI et GUROCK, op. cit. p. 78.

[6] GITELMAN Zvi, Soviet Reaction to the Holocaust, 1945-1991, in DOBROSZYCKI et GUROCK, op. cit. p. 10.

[7] ALTSHULER, op. cit.  p. 99.

[8] ALTSHULER, op. cit. p. 98.

[9] GITELMAN, op. cit. p. 6.

[10] KOTEY William, A Monument Over Babi Yar ? in DOBROSZYCKI et GUROCK, op. cit. p. 63.

[11] GUTMAN, op. cit. p. 1799.

[12] MAKSUDOW Sergei, The Jewish Population Losses of the USSR from the Holocaust, in DOBROSZYCKI et GUROCK, op. cit. p. 212.

 

L'Holocauste 1939-1941 : Les Américains refusent de sauver les Juifs d'Europe des nazis

1939-1941 Les Américains refusent l’information.

L’Amérique est encore neutre, des rapports accablants d’Américains sur le terrain se succèdent mais le public reste sceptique.

Par Marc-André Charguéraud 

Pendant les premiers mois de 1940, une série d’éditoriaux prophétiques avaient tiré le signal d’alarme. Elias Newman écrivait avec une exactitude terrifiante dans le magazine Friends of Sion de mars 1940 : « Après la dernière guerre mondiale, trois millions de Juifs se sont retrouvés mendiants ; avant que cette guerre ne se termine, sept millions seront des cadavres ». Nahum Goldmann, président du Comité exécutif du Congrès juif mondial, dans un article de juin 1940, prédisait : « si la situation continue, la moitié des 2 000 000 de Juifs de Pologne seront exterminés dans l’année qui vient. »[1] L

e Newark Ledger, le 7 mai 1940, annonçait que cinq millions et demi de Juifs étaient dans la détresse et que nombre d’entre eux étaient condamnés à périr.[2] De tels propos auraient dû préparer le public américain à s’inquiéter de ce qui allait arriver ! Il n’en fut rien.

Plus tard, Knickerbocker, un journaliste américain de retour d’Allemagne, parlant au début de 1941 de la destruction des Juifs d’Europe, disait que « peut-être cinq à six millions de Juifs allaient mourir au bout du compte ». Ils ne seraient pas assassinés, mais condamnés « à une mort lente ».[3]

Le public américain refusa d’entendre ces déclarations prémonitoires. Pour lui, dans sa grande majorité, il s’agissait d’une vaste opération de propagande montée pour entraîner l’Amérique à intervenir dans le conflit. Or, plus que tout, les Américains voulaient rester neutres.

Que penser alors de tous ces rapports quasi journaliers que faisaient parvenir les journalistes américains travaillant en Europe ? Un certain nombre ne seront rapatriés qu’en 1942, quelques semaines après le début des hostilités entre l’Amérique et l’Allemagne.
Auparavant, ils avaient côtoyé quotidiennement cette « mort sociale » dont les Juifs étaient les victimes. Dès décembre 1939, dans les gares ils avaient assisté au départ de milliers de Juifs d’Autriche et du Protectorat tchèque pour les « colonies de l’Est polonais ».

Les articles qui parurent dans la presse américaine furent nombreux. The New Republic du 15 novembre 1939, par exemple, parlait d’une « souffrance humaine au-delà de tout ce qui peut être imaginé ». « Graduellement tous les Juifs sont regroupés dans la région de Lublin, la partie la plus inhospitalière de l’ancienne Pologne », lisait-on dans le Chicago Tribune du 28 mars 1940.
Le titre d’un article dans le Christian Science Monitor, du 17 mars 1941, ne laisse planer aucun doute : « Les Juifs n’ont aucune chance de survie dans l’ordre nouveau nazi. »[4]

Les Américains trouvaient ces rapports exagérés. Ils ne voulaient pas se laisser berner. Un éditorial du 9 mars 1940 rappelait aux Américains que pendant la Première Guerre mondiale « un très grand nombre d’histoires horribles furent confirmées, répétées avec acharnement (...) bien qu’entièrement fausses ». [5] William Zukerman, le correspondant européen du Jewish Morning Chronicle de New-York, n’écrivait-il pas le 9 novembre 1940 que la souffrance des Juifs n’était pas plus grande que celle endurée par d’autres populations ?
Après la chute de la France, il prédisait une diminution de l’antisémitisme nazi, car il avait « atteint son but » et parce qu’« il ne reste que très peu de gens qui croient encore à ce bluff évident »[6]. Les Américains préféraient lire ce genre de commentaires qui les rassuraient et les confortaient dans leur inaction. Venant d’un journal israélite connu, l’information prenait toute sa valeur. Voilà enfin un journaliste, témoin direct de ce qui se passait, qui ne se laissait pas influencer par la propagande ! 

Si le public restait sceptique, les dirigeants politiques, eux, auraient dû se rendre à l’évidence. Les Etats-Unis eurent des ambassades à Berlin jusqu’en décembre 1941, à Budapest et à Bucarest jusqu’en janvier 1942, à Vichy jusqu’en novembre 1942.[7] Bien que ces diplomates aient transmis des témoignages fiables, ils ne provoquèrent pas de réactions de Washington.

Au début de l’été 1941 se déroulèrent des massacres en Europe centrale, dont les diplomates américains sur place furent informés de façon précise.[8] (22)  Les 27 et 28 août 1941, 14 à 16 000 Juifs des régions récemment annexées par la Hongrie, qui avaient été déportés par les autorités hongroises à Kamenets-Podolski, au nord-est du pays, furent massacrés à la mitrailleuse par les Allemands aidés de sapeurs hongrois.

Informé de cette tuerie, le ministre de l’Intérieur hongrois ordonna l’arrêt des déportations.[9] Herbert Pell, ambassadeur des Etats-Unis en Hongrie jusqu’au 11 décembre 1941, était comme tout le monde à Budapest au courant de cet assassinat monstrueux. Pell, ami de Roosevelt, avait un accès direct auprès du Président et il était en général écouté.[10] Ses rapports restèrent pourtant sans réponse. 

Franklin Mott Gunther était à son poste de représentant américain à Bucarest, lorsque, le 29 juin 1941, 4 330 Juifs de la ville roumaine de Iasi furent entassés dans des wagons de marchandises verrouillés. Ils roulèrent, sans quitter la Roumanie, six à sept nuits sans nourriture, sans eau et sans air, les fenêtres ayant été obstruées. 2 650 Juifs moururent assoiffés ou asphyxiés dans ce transport fou, particulièrement horrible.[11]

Déjà en janvier 1941, Gunther avait informé Washington du massacre de plus de 700 Juifs à Bucarest par les membres de la Garde de fer. Il donnait les détails du dépeçage de 60 corps juifs accrochés à des crocs de boucher. « Cela vous rend malade au plus profond de soi d’être accrédité auprès d’un pays où de telles choses arrivent. »[12]

Gunther se plaignait du silence de son ministère. Sa position sur place en était affaiblie : « Je n’ai pas manqué une occasion d’indiquer ma forte condamnation (...) et je continuerai dans cette voie en l’absence d’instructions spécifiques. »[13]) Quelques mois plus tard, Gunther comprit pourquoi il n’avait pas reçu de réponse de Washington.

Ses supérieurs du Département d’Etat voulaient éviter toute intervention auprès du gouvernement roumain, qui aurait pu les contraindre à accueillir les Juifs qui fuyaient la tyrannie : « Accepter un tel plan a toutes les chances d’ajouter de nouvelles pressions pour l’asile dans les pays de l’hémisphère ouest », disait-on. Et puis comment peut-on sauver des Juifs roumains sans que le précédent ne s’applique à tous les Juifs persécutés ? « D’après ce que je comprends, nous ne sommes pas prêts à nous occuper de l’ensemble du problème juif », répondait Cavendish Canon, de la division des affaires européennes du Département d’Etat.[14]  En fait, l’Amérique n’était même pas prête à recevoir le nombre de réfugiés autorisé par ses propres quotas d’immigration, malgré les appels désespérés des Juifs d’Europe.

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2020. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.

 

 

[1] ROSS, op. cit., p. 148 et 150.

[2] LIPSTADTt, op. cit., p. 145.

[3] LIPSTADTt, op. cit., p. 147.

[4] IBID,, p. 143, 145 et 148. D’autres exemples sont donnés par l’auteur.

[5] IBD. p. 137.

[6] FRIEDMAN, Saul S. No Haven for the Oppressed: United States Policy toward Jewish Refugees 1938-1945, Wayne University Press, Detroit, 1973. p. 109.

[7] LAQUEUR, op. cit. p. 25.

[8] Des tueries massives qui commencèrent dans les semaines qui suivirent l’entrée des troupes allemandes en URSS, en juillet 1941,

[9] BAUER 1996, op. cit., p. 207.

[10] FENYO Mario, Hitler, Horty and Hungary : German-Hungarian Relations 1941-1944, New Haven, Yale University Press, 1972,  p. 47.

[11] GUTMAN, op. cit., p. 711.

[12] MORSE, op, cit. p. 298.

[13] IBID,, p. 299.

[14] FEINGOLD 1970 op. cit., p. 179.

1933-1941 Avant la Shoah, l’Occident abandonne les Juifs persécutés à leur sort

1933-1941 Avant la Shoah, l’Occident abandonne les Juifs persécutés à leur sort

Les raisonnements les plus indignes sont invoqués. La situation des Juifs va s’améliorer, les aider c’est jouer le jeu des Nazis, la paix est mise en péril !

Par Marc-André Charguéraud  

Deborah Lipstadt, qui a analysé la presse américaine de l’époque, constate que « jusqu’à la Nuit de Cristal et même après dans une moindre mesure, une importante partie de la presse continua à être optimiste en ce qui concerne le traitement des Juifs.

Elle condamne la violence et immédiatement prédit que ce qui vient de se passer marque la fin de la campagne terroriste contre les Juifs. Ce qui n’arriva jamais. En fait, à chaque étape la brutalité augmentait... Aussi longtemps que l’on put argumenter que l’Allemagne allait adopter une attitude plus rationnelle et plus respectable, on pouvait arguer que le monde resterait en paix.... »[1]

Le désir de paix d’une grande partie des populations occidentales est tel qu’elles deviennent incapables de regarder les réalités en face, à moins qu’elles ne le veuillent simplement pas. Elles se répètent sans cesse, pour se rassurer et conforter leur opinion publique, que le régime allemand va se modérer et qu’Hitler va devenir un dirigeant respectable. Le moindre signe, la plus petite manifestation dans ce sens, sert de preuve irréfutable de cette évolution chimérique et devient l’excuse pour continuer dans cette voie sans issue.

Si la situation doit s’améliorer, alors ne vaut-il pas mieux que les Juifs restent chez eux ? Mais, les aider, les financer, n’est-ce pas jouer le jeu des oppresseurs d’aujourd’hui ? Sir Andrew MacFadyean, un libéral anglais connu qui s’est rendu sur place en janvier 1939, conclut qu’une solution dont l’exécution s’étendrait sur de nombreuses années « devrait être possible, sinon, aussi difficile que ce soit de le dire, il y a au moins un gentil qui en est sincèrement convaincu, il ne faut rien tenter de plus, sauf peut-être un minimum d’aide humanitaire.

Le temps est arrivé où il faut considérer les Juifs vivant dans les Etats totalitaires comme étant des otages pour lesquels il est impossible de payer une rançon... sans augmenter l’appétit des ravisseurs à des montants qui ne pourront jamais être satisfaits. »[2]

Lord Winterton, président du Comité Intergouvernemental créé par la Conférence d’Evian, pense également qu’il faut arrêter de financer les Juifs européens. En décembre 1938, il s’élève contre la constitution du Baldwin Fund pour les réfugiés, que l’ancien premier ministre Earl Baldwin vient de lancer : « Moins l’Allemagne et d’autres pays avec d’importantes populations juives se sentiront obligés d’aider, plus ils adopteront l’attitude qu’il s’agit d’un problème que les autres pays doivent résoudre...

Ces pays (l’Allemagne et les autres) en tireront la conclusion que la meilleure méthode pour forcer les autres pays à recevoir des Juifs, c’est de les persécuter. »[3] Au-delà de cette argumentation pernicieuse se profile la peur des gouvernements occidentaux d’avoir à étendre aux populations juives des pays de l’Est l’aide qui serait apportée au Reich, multipliant ainsi le problème par un facteur de dix et le rendant financièrement insupportable.

Alors, faut-il abandonner les Juifs européens aux persécutions qui s’aggravent quelle que soit l’aide apportée par l’Occident ? Comme le souligne Yehuda Bauer : « si, jusqu’en 1941, les Nazis eux-mêmes n’étaient pas conscients de leur projet d’exterminer les Juifs, il paraît difficile de demander à leurs victimes de l’avoir été avant eux. »[4] On pourrait dire la même chose de leurs sauveteurs potentiels, sans que cela puisse constituer une excuse pour ne rien entreprendre.

Et pourtant il fallait d’urgence sauver ces Juifs, même si l’Holocauste n’était pas prévisible, car les nazis les faisaient mourir à petit feu en leur retirant tous les moyens de vivre tant sur le plan physique que sur le plan psychologique.

Et cela, le monde le savait à la fin des années trente. La seule solution possible était de soustraire les victimes à leurs oppresseurs.

Il fallait tout faire pour faciliter l’évacuation des Juifs en péril mortel, en sachant que jamais les tortionnaires ne financeraient les départs, mais qu’ils recourraient au pire pour provoquer l’exode. Que le nombre devint trop important, car l’augmentation des émigrants pris en charge risquait de multiplier le nombre de candidats à l’exil, peu importe. Dès le départ, il était évident que tous ne pourraient pas être sauvés, mais que le plus grand effort devait être fait, car chaque vie comptait. L’on ne peut que condamner les raisonnements indignes qui conduisirent à l’abandon des Juifs à leur sort. Ils furent dans de nombreux cas une excuse pour justifier une attitude passive.

Ne prenons qu’un seul exemple, celui des Etats-Unis. Sans transgresser la sacro-sainte réglementation des quotas d’immigration, les autorités américaines auraient pu au moins utiliser pleinement les quotas existants pour les Européens en permettant que l’affidavit concernant la clause LPC ne soit pas limité aux immigrants ayant de la famille aux Etats-Unis, mais soit étendu à d’autres entités solvables.

Si le quota était rempli pour un pays donné et que le réfugié doive attendre de longs mois son tour, l’administration aurait pu trouver un lieu de séjour provisoire avec le concours des associations juives américaines. Enfin, au lieu de refouler les fugitifs qui arrivaient par bateau, n’aurait-il pas été préférable de les admettre temporairement, quitte à les interner dans des camps pour respecter la loi sur l’immigration ?

Au lieu de rechercher des solutions qui auraient pu sauver ne serait-ce que quelques milliers de fugitifs supplémentaires, les grandes puissances s’envoyèrent des reproches réciproques et stériles. L’exemple fameux, ce sont les échanges aigres-doux entre Londres et Washington. A la suite d’une réunion de cabinet britannique le 16 novembre 1938, les Anglais proposent aux Américains de consacrer la partie non utilisée du quota d’immigration anglais en faveur des réfugiés du Reich.

La réponse du sous-secrétaire d’Etat Summer Wells est sèche : « Les quotas accordés par le Congrès ne sont pas la libre propriété des nations auxquelles ils ont été octroyés... on ne peut modifier les articles de la loi parce que certains gouvernements sont prêts à abandonner... les quotas qui sont accordés à leurs nationaux. »[5]

L’administration américaine contre-attaquera, appuyée par les associations juives sionistes, lorsque le livre blanc sur la Palestine qui limite l’immigration juive dans ce pays sera publié le 17 mai 1939. Outre-Atlantique on crie au scandale :  interdire aux Juifs l’accès de leur propre pays, un crime ! En octobre 1938 déjà, presque la moitié des membres du Congrès avaient signé une pétition  au président Roosevelt demandant à la Grande-Bretagne de ne pas mettre en oeuvre le projet d’arrêt de l’immigration en Palestine dont on parlait.[6] De son côté l’Angleterre avait pris les devants, en juillet 1938 lors de la conférence d’Evian, lorsque Lord Winterton avait opposé une fin de non-recevoir à toute discussion sur l’immigration juive en Palestine : « On a fait valoir dans certains milieux que l’ensemble du problème, tout au moins en ce qui concerne les réfugiés juifs, pourrait être résolu si seulement on ouvrait toutes grandes les portes de la Palestine aux immigrants juifs, sans restrictions d’aucune sorte. Je tiens à déclarer avec toute la netteté possible que je considère toute proposition de ce genre entièrement insoutenable. »[7] C’est clair, net, définitif et sans explications.

Il est vrai que les ténors politiques avaient déjà épuisé le thème des grandes conférences qui ne décident rien, mais calment l’imagination d’une opinion publique qui demande des mesures contre la barbarie nazie. L’établissement de centaines de milliers de Juifs dans le tiers monde avait déjà fait l’objet de projets immenses, longuement discutés et publiés, mais parfaitement irréalisables.

 

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2019. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.

 

[1] Deborah Lipstadt - Op. Cit. p. 53

 

[2] Meir Michaeli - Op. Cit. p. 209 - Compte-rendu de janvier 1939 d’une visite de Sir Andrew MacFadyean à la demande du Board of Deputies of British Jews et de l’American Joint Distribution Committee pour examiner les conséquences des nouvelles lois raciales italiennes.

[3] Ari Johsua Sherman - Op. Cit. p. 185 citant Lord Winterton à propos du Baldwin fund.

 

Yehuda Bauer - Résistance et Passivité juives Face à l’Holocauste - dans L’Allemagne et le Génocide juif  -  Op. Cit. p. 405

 

[5] Summer Wells, sous secrétaire d’Etat cité par Ari Johsua Sherman - Op. Cit. p. 177

[6] David Wyman - Paper Walls - Op. Cit. p. 257

[7] Actes du Comité Intergouvernemental - 6-15 juillet 1938 - Evian

 

Seconde guerre mondiale: la zone d’occupation italienne, un salut temporaire

La zone d’occupation italienne, un salut temporaire.  Novembre 1942, septembre 1943.

A la mi-novembre 1942, à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord, les armées allemandes et italiennes occupent la zone libre française. La zone italienne s’étend alors de la Côte d’Azur au Dauphiné et à la Savoie. Un havre de paix et de liberté pour les Juifs ? S’opposant aux Allemands et au gouvernement de Vichy, les Italiens vont courageusement multiplier les mesures de protection de la population juive présente dans leur zone d’occupation, un engagement que l’armée italienne duplique dans ses zones d’occupation en Croatie et en Grèce.

En décembre 1942, les autorités allemandes décident par « mesure de sécurité » que tous les Juifs arrivés depuis le 1er janvier 1938 dans les trente kilomètres de la zone côtière méditerranéenne doivent être évacués. Leur transfert est prévu vers l’Ardèche et la Drôme, des départements occupés par la Wehrmacht. Les Italiens refusent de livrer ces Juifs. L’armée italienne n’hésite pas à employer la force pour appuyer son autorité. A la suite d’un attentat, les Allemands demandent à la gendarmerie française d’arrêter 2 000 Juifs. Celle-ci procède à des arrestations à Grenoble et Annecy. L’armée italienne établit aussitôt des barrages pour empêcher le départ des centaines de Juifs appréhendés.[1]

Envers Vichy les Italiens pratiquent une politique d’indépendance. Chaque fois que c’est possible, ils imposent leur autorité dans leur zone d’occupation. Il s’agit d’affirmer leur souveraineté sur un territoire qu’ils espèrent toujours annexer à la fin de la guerre. Lorsque, les 6 et 7 décembre 1942, le gouvernement français demande aux préfets d’incorporer dans les Compagnies de travailleurs étrangers certaines catégories de Juifs, les autorités italiennes décident de surseoir à l’application de cette mesure. La loi de Vichy du 11 décembre 1942 astreint tous les Israélites à faire apposer sur leur carte d’identité la mention Juif. Les Italiens l’interdisent.[2]

Les fonctionnaires et les officiers italiens sont d’autant plus prêts à prendre la défense des Juifs que l’antisémitisme à l’italienne est plus verbal que réel. Les lois antijuives promulguées en Italie en 1938 ne furent jamais appliquées avec rigueur. La population juive italienne ne dépasse pas 50 000 personnes dont moins de 3000 réfugiés.[3] La plupart des Juifs sont établis depuis des siècles et parfaitement intégrés.

On trouve des Juifs parmi les officiers des troupes d’occupation. S’estimant trop souvent mésestimés, déconsidérés, blessés dans leur fierté par les Allemands, les Italiens saisissent cette occasion de leur en remontrer. Les dirigeants du Reich sont intervenus au plus haut niveau pour obtenir du gouvernement italien qu’il s’aligne sur la politique antijuive nazie. Sans succès. Avec une souplesse toute italienne, Rome promet beaucoup mais ne prend aucune mesure coercitive.

 

Les autorités italiennes ont appliqué dans leur zone une réglementation humaine. Un exemple de tolérance dans un océan de barbarie. On estime que plus de 15 000 Juifs sont venus du reste de la France trouver refuge auprès de l’armée italienne.[4] Kurt Lischka, un des chefs de la Gestapo en France, écrit à Berlin : « De nombreux Juifs se sont réfugiés, sans discontinuer, dans la zone italienne, où ils se sentent complètement en sécurité en ce qui concerne la mainmise allemande. »[5]

Avant même l’arrivée des Italiens, le bouche-à-oreille a fonctionné. Le 15 novembre Angelo Donati disait à Philippe Erlanger : « Ce sont les Italiens qui vont occuper la région (...) J’ai déjà alerté beaucoup de Juifs de Marseille et des alentours. Faites-en autant si vous le pouvez. Qu’ils viennent ici, ils seront protégés ».[6]

Même le gouvernement français est gagné par cet élan d’humanité. En juillet 1943, un nouveau préfet, André Chaigneau, est nommé pour les Alpes Maritimes. Sa déclaration devant les représentants des organisations juives est à la fois surprenante et réjouissante de la part d’un représentant officiel de Vichy : « Je n’admettrai désormais aucun acte arbitraire à l’égard des Juifs se trouvant même dans une situation irrégulière ou illégale. Je ne veux pas laisser aux Italiens le noble privilège d’être les seuls défenseurs de la tradition de tolérance et d’humanité qui est pourtant celle de la France ».[7] Et ses propos sont suivis d’effets. Sa première mesure, dès le 23 juillet, est de régulariser tous les Juifs qui sont entrés illégalement dans les Alpes maritimes.[8]

Le refuge italien ne dure malheureusement que dix mois. Le régime fasciste de Rome s’écroule. Le 9 septembre 1943, la Gestapo dirigée par Aloïs Brunner arrive à Nice. Son équipe n’excède pas 15 personnes. Entre le 10 septembre et le 14 décembre, ils arrêtent et transfèrent à Drancy 1 817 Juifs sur les 25 000 qui se trouvent entre Cannes et Menton.[9]

Sauf quelques dénonciateurs dont on a tendance à exagérer le nombre, les hommes du commando Brunner n’ont reçu aucun soutien de la population et de l’administration locale.[10] Le lendemain de son arrivée, le préfet Chaigneau leur refuse l’accès aux fichiers juifs sous prétexte qu’il les a remis aux Italiens.[11]  Brunner se précipite au consulat italien. Le consul Spejchel et son adjoint Borromeo lui répondent que les dossiers sont déjà partis pour Rome. Les Allemands ne sont pas dupes. Ils déportent les deux hommes deux jours plus tard.[12] Brunner ne sera pas aidé par la Wehrmacht, tout au plus par quelques feldgendarmes au début. La milice ne semble pas avoir été active, la police française n’est pas intervenue.

 

La population s’est montrée secourable.[13] Exemplaire, l’évêque de Nice Mgr Rémond intervient directement. Les colonies de vacances, les pensionnats, les orphelinats, les presbytères de l’évêché accueillent des centaines d’enfants juifs.[14] De leur côté, les organisations juives et en particulier les jeunes sionistes, les éclaireurs israélites et l’Oeuvre de secours aux Enfants ( OSE ), tous travaillant dans la clandestinité, ont fourni une aide matérielle substantielle et ont distribué plus de 6 000 fausses cartes d’identité.[15]

 

« Les rafles de Brunner à Nice furent un échec. 1 800 personnes arrêtées et envoyées à Drancy, soit 6 à 7% des Juifs de la région », juge une historienne.[16] L’objectif était certainement infiniment plus élevé. Il s’agit toutefois d’un échec relatif. Sans aucune aide extérieure, avec la mauvaise volonté des autorités locales, en face d’une population hostile qui aide les persécutés, les 15 hommes du commando Brunner ont réussis hélas à arrêté en 100 jours 1 800 personnes dans la région niçoise.

[1] HILBERG  Raul, La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, Paris, 1988, p. 561.

[2] KLARSFELD Serge, La Shoah en France, volume 3. Le calendrier de la persécution des Juifs de France, Septembre 1942-août 1944, Fayard, Paris, 2001, p. 1297 et 1298. Rapport du préfet des Alpes-Maritimes au Gouvernement.

[3] MICHAELIS Meir, Mussolini and the Jews : German-Italian Relations and the Jewish Question in Italy , 1922 – 1945, Clarendon, Oxford, 1978, p. 255.

[4] ZUCCOTTI Susan, The Italians and the Holocaust : Persecution, Rescue and Survival,  Basic Books, New York, 1987, p. 89.

[5] BILLIG Joseph, La solution finale et la question juive : Essai sur ses principes dans le IIIème Reich et en France sous l'occupation, Edition Serge Klarsfeld, Paris, 1977, p. 103. Note du 15 mars 1943.

[6]  KASPI André, Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, 1991, p. 286. Donati, personnalité juive italienne qui défendit les Juifs auprès des autorités italiennes. Erlanger, personnalité juive française connue.

[7] KASPI op. cit.  p. 288.

[8] POLIAKOV Léon et SABILLE Jacques, Jews Under the Italian Occupation, Editions du centre, Paris, 1955, p. 30.

[9] KLARFELD Serge, Vichy Auschwitz : Le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France , 1943-1944, Fayard, Paris, 1985, p. 124 et 125.

[10] Ibid.

[11] REMOND René,  Le Fichier juif,  Plon, Paris,  p. 134.

[12] KLARSFELD 1985, op. cit.  p. 116.

[13] IBID.  p. 125.

[14] DUQUESNE, Jacques, Les catholiques français sous l'occupation, Bernard Grasset,  Paris, 1996, p. 286.

[15] POZNANSKI Renée, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Hachette, Paris, 1997,  p. 467.

[16] ZUCCOTTI Susan, The Holocaust, the French and the Jews. New York, 1993, p. 186. Plus précisément 7,2% en reprenant les chiffres de Klarsfeld donnés ci- dessus : 1 800 par rapport à 25 000.

1933-1939 La Palestine première destination des Juifs fuyant le Reich

1933-1939 La Palestine première destination des Juifs fuyant le Reich

Une performance étant donné l’opposition violente des Arabes, les obstacles meurtriers érigés par la Grande Bretagne et les difficultés de la vie de pionnier.

Par Marc-André Charguéraud

« La Palestine détient une position unique parmi les pays d’immigration juive. Elle est le seul pays vers lequel le Juif arrive avec la sanction internationale, de droit et non de pitié », soulignait le mémorandum de l’Agence Juive à la conférence d’Evian en juillet 1938.[1] Déjà en 1922 lorsque la Société des Nations confia le mandat de la Palestine aux Anglais, elle parle « du lien historique qui existe entre le peuple juif et la Palestine » et incite les Anglais à favoriser la création d’« une patrie juive.»[2]

La SDN se réfère à la déclaration d’Arthur Balfour, secrétaire d’état aux affaires étrangères, qui préconisait en 1917 la constitution d’un foyer national pour les Juifs en Palestine dans la mesure où les droits des Arabes seraient sauvegardés. L’équivoque ainsi créée attisera une confrontation qui ne demandait qu’à se manifester entre Juifs et Arabes.

Une nation en devenir sur 15.000 kilomètres carrés avec une population de 1.336.000 personnes en 1936. Malgré ces faiblesses de départ, la Palestine accueillera entre 1933 et 1939 plus de 203.000 Juifs fuyant l’Europe.[3] Sur le plan économique, l’immigration aurait pu être plus importante. C’est ce que confirme Sir Arthur Wauchope, le Haut-Commissaire pour la Palestine, quand il affirme qu’une suspension de l’immigration ne peut se justifier pour des raisons économiques.

C’est ce qui ressort également du rapport de la commission royale, présidée par Lord Peel, publié en juillet 1937, qui souligne que l’accélération du rythme de l’immigration a créé un véritable boom économique en Palestine. Et pourtant le livre blanc du gouvernement britannique de mai 1939 fixe un quota qui ne devra pas excéder 10.000 immigrants par an pendant cinq ans, plus 25.000 Juifs qui seront admis dès que le Haut-Commissaire s’estimera convaincu que leurs conditions de survie sont assurées.

Résultat du succès des implantations juives en Palestine entre 1918 et 1939, le nombre de Juifs est passé de 56.000 à 475.000, de 10% de la population à 31%.[4] Pour les Arabes, c’est déjà bien trop, ce qui provoque des grèves et des émeutes dont l’ampleur s’accentue avec la progression de la colonie juive pour s’achever dans une véritable rébellion en juillet 1937 à la publication du rapport Peel prévoyant la partition de la Palestine.

Pour rétablir le calme, la Grande-Bretagne est obligée d’envoyer deux divisions qui représentent 40% des troupes opérationnelles anglaises.[5] Une situation intenable que la publication du livre blanc réglera, mais qui sera vivement critiquée par les milieux juifs des démocraties. Les organisations juives américaines se disent prêtes à financer l’implantation de 2.800.000 Juifs en Palestine.

Plus modeste, le Congrès Juif Américain propose au Comité Intergouvernemental pour les Réfugiés un projet expérimental d’implantation en Palestine. Quelques jours après la Nuit de Cristal, l’Agence Juive qui représentait les Juifs en Palestine demanda 100.000 certificats supplémentaires d’immigration, dont les bénéficiaires seraient transportés et financés entièrement aux frais de la diaspora juive. Dans le contexte politique de l’époque, aucune de ces propositions ne sera prise en considération par le gouvernement de Londres.

Puisque la voie légale est fermée, 1939 sera l’année de l’immigration illégale. Une union contre nature se fera contre l’interdiction anglaise. Y prennent part les Juifs, d’abord, en créant le Mossad el Aliyad Beth, un groupe organisant l’immigration illégale. Puis la France, l’Italie et la Suisse, qui délivrèrent des sauf-conduits pour de fausses destinations, trop heureuses de se défaire de Juifs en fuite. Enfin des pays d’Amérique latine, qui émirent des passeports, des visas et autres documents de voyage contre paiement.

De leur côté Eichmann et la Gestapo, poursuivant leur politique d’expulsion forcée, facilitèrent les départs de Juifs sans permis d’entrée en Palestine, même si cette politique à court terme entrait en conflit avec celle du Ministère des affaires étrangères allemand.

Celui-ci, dans une circulaire du 1er juin 1937 déjà, précisait à ses ambassades à Londres, Jérusalem et Bagdad « qu’il n’était pas de l’intérêt de l’Allemagne de voir se former un état juif (...) étant donné qu’un tel état n’absorberait pas les Juifs du monde entier mais les doterait d’une nouvelle force (...) quelque chose de comparable à ce que représente l’état du Vatican pour les catholiques ou Moscou pour le Komintern. »[6]

Des passeurs complétèrent le tableau, dépouillant de leur maigre viatique les 10 à 15.000 Juifs qui empruntèrent dans des conditions souvent atroces l’un des 37 bateaux de fortune où ils étaient entassés tels des esclaves.[7]

Des navires de guerre anglais patrouillèrent pour empêcher ces cargos pourris de décharger leurs cargaisons humaines.

Ceux qui passaient à travers les mailles furent internés pour quelques semaines puis libérés par les autorités, faute d’une meilleure solution. Au début, pour tenir compte de ces illégaux, on réduisit d’autant le quota de 10.000 immigrants juifs par an.

Ce n’était pas une solution, car cela revenait à encourager l’immigration clandestine au détriment de l’immigration légale.

La guerre proche vint régler le problème.
En octobre 1939, le gouvernement britannique arrêta toute immigration en Palestine, réduisant également l’immigration illégale de façon importante.

Pour des raisons politiques et non économiques, au détriment de dizaines peut-être de centaines de milliers de Juifs désespérés, la Palestine n’a qu’incomplètement pu jouer son rôle de refuge national juif.

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2019. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.

[1] Mémorandum de l’Agence Juive à la conférence d’Evian cité par Shlomo Katz - L’Opinion Publique Occidentale Face à la Conférence Internationale pour les Réfugiés : Evian 1938 - Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales - 1971 . p 12

[2] MARRUS Michael, Les Exclus, Les Réfugiés européens au XX siècle, Calmann-Levy, Paris, 1985. p.116

[3] Total de l’immigration en Palestine de 1933 à 1939 . Source : Royal Institute of International Affairs - Great Britain and Palestine 1915-1945- - Londres p.63. Cité par SHERMAN Ari Joshua, Island of Refuge, Britain and the Refugees from the Third  Reich, 1933-1939, Paul Elek, London , 1973.

  1. 272 . S’ajoutent à ce chiffre environ 16.000 entrées illégales. PROUDFOOT Malcolm J. European Refugees 1939-1952 : A Study of Forced Population Movements, London, 1957. p. 28.

[4] WASSERSTEIN Bernard, Britain and the Jews of Europe , 1939-1945, Université de Brandeis, Oxford, 1979. p.2

[5] IBID. p 13

[6] Télégramme de Constantin Neurath, ministre des affaire étrangères aux ambassades d’Allemagne à Londres, Jérusalem et Bagdad en date du 1er juin 1937 cité par ELISSAR, Eliahu Ben, Le facteur juif dans la Politique Etrangère du IIIème Reich, 1933-1939, Julliard, Paris 1969. p. 194.

[7] Ari Joshua Sherman, op. cit. p.236 et 237.