
Briser le silence : le combat juridique face à la violence sexuelle comme arme de guerre
Un rapport historique pour mettre fin à l’impunité
L’avocate Sharon Zagagi‑Pinhas, ancienne procureure militaire en chef de Tsahal (réserve) et coautrice du rapport A Quest for Justice: October 7 and Beyond publié en juillet 2025 par le Dinah Project, se livre à Moshé Nussbaum dans une interview révélatrice. Ce rapport révèle que la violence sexuelle a été utilisée comme une “arme tactique”, dans un schéma « très large et systématique » visant à déshumaniser et terrifier la société israélienne .
Silence et traumatisme : un défi pour la justice
« Quand il s’agit de l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre, le principal défi est que l’un de ses traits caractéristiques est le silence quasi absolu des victimes. Le 7 octobre, la grande majorité des victimes ont été assassinées, et celles qui ont survécu doivent affronter un traumatisme si profond qu’elles ne sont pas en mesure de témoigner sur ce qu’elles ont vécu. » Ce constat terrible s’inscrit dans un contexte où, selon le rapport, les témoins directs sont souvent absents, rendant la collecte de preuves extrêmement difficile.
Dans cette optique, l’équipe juridique plaide pour une approche innovante : « si l’on adopte une approche strictement pénale classique, dans laquelle l’unique pivot est le témoignage direct de la victime, il sera impossible de poursuivre les coupables. C’est pourquoi nous appelons à recourir à d’autres formes de preuves légitimes et reconnues : les témoignages de témoins oculaires ou encore les déclarations faites par les victimes au moment des faits. »
Terreur en pleine lumière : responsables à identifier collectivement
Le rapport souligne que l’un des objectifs essentiels de l’attaque du 7 octobre était de semer la terreur. De nombreux actes ont ainsi été perpétrés au vu et au su de tous, ce qui offre des témoignages nombreux. Toutefois, un défi de taille persiste : « au cœur de cette attaque de masse, il est souvent impossible de lier un terroriste en particulier à une agression spécifique, ce qui crée une forme d’‘immunité’ judiciaire. »
Pour répondre à cette impasse, le Dinah Project propose un modèle de responsabilité collective, fondé sur des principes juridiques éprouvés : attribuer une responsabilité à tout membre du Hamas ayant sciemment participé à cette attaque génocidaire, caractérisée par la déshumanisation et l’anéantissement .
Des preuves accablantes : au cœur des sites d’horreur
Le rapport A Quest for Justice documente la présence de violence sexuelle sur divers sites, notamment le festival de musique Nova, l’autoroute 232, la base de Nahal Oz et les kibbutzim de Re’im, Nir Oz ou Kfar Aza.
Il s’appuie sur les témoignages de quinze otages libérés et dix-sept témoins, ainsi que sur les déclarations de professionnels – premiers intervenants, médecins légistes, etc. Il décrit des corps mutilés (objets insérés, vêtements partiellement ou entièrement retirés, blessures par balles à la tête ou aux parties génitales, mains ligotées).
Ces preuves corroborent les conclusions d’enquêtes antérieures, notamment un rapport de l’ONU de mars 2024 concluant que des violences sexuelles, y compris le viol collectif et la torture sexualisée, avaient été commis à plusieurs endroits, notamment Re’im et Nahal Oz .
Une stratégie internationale ambitieuse
Le Dinah Project joue un rôle actif sur la scène internationale. Ses experts ont présenté le rapport devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme à Genève et la Maison-Blanche. Ils ont également rencontré des responsables politiques dans une vingtaine de pays, en Europe, Amérique du Nord et Asie-Pacifique.
Cette démarche vise à obtenir la reconnaissance par l’ONU du Hamas en tant qu’auteur de crimes de guerre et crimes contre l’humanité fondés sur les violences sexuelles.
Vers un cadre juridique novateur
L’un des axes stratégiques est de dépasser les limites du modèle pénal classique. Ce dernier, tourné vers la preuve directe, se heurte à l’extinction silencieuse des victimes. Selon Zagagi‑Pinhas, seule une approche juridique hybride – tirant partie de preuves circonstancielles, de témoignages oculaires ou de déclarations antérieures des victimes – pourra aboutir à des condamnations. Il s’agit d’une rupture avec les méthodes traditionnelles.
La justice collective plutôt qu’individuelle
Ce rapport marque une étape décisive pour briser le mur du déni et briser l’impunité. Il propose de tenir responsables non seulement les individus, mais tous les membres d’un mouvement ayant consciemment participé à une entreprise de violence sexuelle massive et organisée lors du 7 octobre.
Ce modèle juridique collectif vise à instaurer une responsabilité partagée, dans les pas des preuves : « attribuer une responsabilité collective à tout membre du Hamas ayant sciemment participé à cette attaque, dont l’objectif était génocidaire », explique Zagagi‑Pinhas .
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