L'existence juive
Bien plus que n'importe quel traité savant ou n'importe quel discours éloquent, les Yamin noraïm, les jours redoutables de Roch-Hachana et de Yom Kippour ont le don de nous introduire au coeur du judaïsme.
A certains moments de la vie, tout homme a besoin de faire le point, de se rappeler ses raisons de vivre, de les repenser avec plus de profondeur.
Claude Layani
Aux heures de crise, les questions se font plus pressantes, plus lancinantes pour se cristalliser finalement en cette interrogation "Pourquoi, je vis?", quel est mon identité, le sens de mon existence en
tant que juif.
C'est ce problème majeur qui apparaît particulièrement aux jours des Grandes fêtes de Tichri où nous retrouvons le chemin de la Synagogue désertée pour beaucoup d'entre nous les autres jours de l'année. Il est dans la nature de l'existence juive d'être enveloppée d'incertitude. C'est là sa caractéristique. C'est une partie de son fardeau que de se fier au sens de son destin.
Etre juif c'est être sûr du "pourquoi" de la vie, mais incertain de son application quotidienne. C'est savoir et ne pas savoir. C'est poser des questions qui demeurent sans réponse. Nous sommes condamnés ou, suivant notre point de vue, nous avons la chance d'être éternellement dans le doute au sujet de la place que nous occupons dans le monde. L'existence juive comme l'existence humaine suppose la question et la quête. Le juif a conscience d'être un envoyé, il écoute le message, cependant il doit savoir qu'en fin de compte subsiste le grand "peut-être".
Peut-être voilà notre mot-clé. Nous disons peut-être au pourquoi du moment, mais - et ceci est essentiel - pas au pourquoi lui-même. Nous pouvons ne pas connaître le but de la tâche d'aujourd'hui, mais nous savons qu'elle existe. Autrement dit, nous savons que le document a été écrit, bien que nous soyons incapables de le déchiffrer clairement.
En lisant les pages de l'histoire juive, nous ne voyons pas seulement son existence, mais aussi son orientation. Nous voyons l'événement et nous croyons apercevoir la mission. Cependant, même maintenant, après tant de siècles, nous n'avons point la certitude et nous sommes obligés de répéter "peut-être".
Nous le faisons, non par modestie, mais avec la conviction que la signification juive ne peut être exprimée autrement.
Peut-être, était-ce le devoir d'Abraham de faire connaître le D. UN aux enfants des hommes ? Peut-être était-ce le sens de l'esclavage en Egypte de démontrer les possibilités de la rédemption.
Peut-être était-ce le rôle des prophètes de répandre la vision du D.ieu d'Israël aux quatre coins de la terre, de promouvoir une justice et un intérêt universels dans le domaine de la compréhension humaine. Peut-être au Moyen Age, était-ce la vocation juive de servir de pont entre l'Occident et l'Orient, entre l'Islam et la chrétienté.
Et peut-être que ce fut la présence même du juif, son existence en Europe occidentale qui libéra la première vague d'émancipation, car, au début, la polémique s'engagea autour de lui.
Qui peut pénétrer le sens de l'histoire dont nous sommes pourtant si proches, mesurer l'étendue de ses tragédies et sonder la profondeur de ses desseins ? Assurément, toute certitude doit être atténuée, toute affirmation hardie dédaignée.
L'incertitude au sujet du contenu de la mission ne peut masquer la certitude de l'existence de celle-ci.
Qu'en est-il de nos jours de l'existence juive. En dépit d'un climat assimilationniste très prononcé, le juif essaye avec beaucoup de difficultés de garder son identité, souvent sans but apparent, souvent par instinct et presque par intuition.
Fréquemment ignorant de son passé, et même de toutes les possibilités d'expression offertes par le présent, il se contente simplement d'exister ; cependant même ainsi, il peut servir une fin qui le dépasse. Peut-être est-ce la destinée du juif contemporain d'assurer la présence sur notre globe d'une minorité et d'une diversité. Il le fait à la fois volontairement et involontairement, dénigré et solitaire, mais toujours poussé à rester lui-même, fût-ce malgré lui.
Les juifs qui désirent faire partie du monde, se trouvent contraints d'en être séparés. Ce fut leur lot jadis, quelquefois de gré, le plus souvent de force et, avec le temps, cela devint un aspect inéluctable de l'existence juive. La sainteté conduit toujours à l'isolement. "Kadoch" signifie saint, consacré et par là même ce qui tend à être "Kadoch" est mis à part.La séparation, la solitude ne feraient-elles pas partie de notre élection ?
C'est possible.
Peut-être est-ce notre lot d'aujourd'hui: être admis à la même culture, mais non pas assimilés ; être totalement dans ce monde et cependant au-delà de ce monde ; être à la fois des citoyens loyaux en beaucoup de pays et des internationalistes convaincus ; être propagateurs de nombreuses cultures et ne jamais être connus d'elles ; être acceptables, mais jamais tout à fait acceptés. Kadoch ce signe est gravé sur le front du juif jusqu'à la fin des temps. C'est D.ieu qui l'a voulu pour le bien ou pour le pire. L’existence juive présente cette particularité qui n'a pas été démentie par l'histoire .
Dans son livre "Clefs pour le judaïsme" le professeur André Néher z!l fait remarquer très justement. Dans la condition juive, s'expérimente en quelque sorte, la condition humaine. Le monde a besoin du juif, mais le juif attend et espère que le monde éprouve et exprime ce besoin."
En ce début de l'année religieuse exprimons ce voeu contenu dans la amida de Roch-Hachana "que l'homme peut instaurer malgré ses divergences un ordre nouveau où l'Humanité ne formera plus qu'un seul et même faisceau "agouda a'hat" au service d'un même idéal de justice, de paix et d'amour".
Claude LAYANI
Ministre du Culte
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