Yad Vashem, le Centre mondial de mémoire de l'Holocauste, s'emploie à identifier les noms des victimes jusque-là perdues parmi 230 millions de documents textuels, dans le but d'enregistrer 5 millions de noms de victimes d'ici 2029.

Comme de nombreux survivants de l'Holocauste, Olga Katz a transmis à Yad Vashem à Jérusalem les noms des membres de sa famille immédiate assassinés lors du génocide.

Née en Belgique en 1933, Katz a survécu à la guerre cachée dans un couvent avec de faux papiers. En 2017, lors d'une interview accordée à Yad Vashem, elle a partagé les noms des membres de sa famille immédiate tués pendant l'Holocauste. Toutefois, Katz n'a pas mentionné les noms de ses parents éloignés.

"En analysant son témoignage à l'aide de notre technologie innovante d'intelligence artificielle (IA), Yad Vashem a pu extraire les noms d'autres membres de la famille, jusqu'alors inconnus, qui ont été assassinés à Auschwitz pendant l'Holocauste – notamment la grand-mère, les oncles et les neveux de Katz," a expliqué Shira Roth, de la division des technologies de l'information de Yad Vashem, au Times of Israel.

Les membres de la famille de Katz font partie des 73 000 noms de victimes ajoutés à la base de données centrale de Yad Vashem en 2023. Alors que certains noms ont été ajoutés par des personnes remplissant des pages de témoignage – la méthode traditionnelle pour rapporter le nom d'une personne assassinée pendant l'Holocauste à Yad Vashem – de plus en plus de nouveaux noms sont identifiés grâce à un programme pilote basé sur l'IA.

L'IA permet de trier et d'analyser des millions de documents pour découvrir des informations passées inaperçues. Les logiciels peuvent établir des connexions au sein des archives massives de Yad Vashem qu'un travailleur humain n'aurait ni le temps ni la capacité d'établir.

Dans les années à venir, le musée – dont le nom en hébreu signifie "un mémorial et un nom" – utilisera davantage l'IA pour identifier des victimes jusqu'alors non identifiées, a déclaré la porte-parole Simmy Allen.

Depuis les années 1950, plus de 4 900 000 noms de victimes de l'Holocauste ont été enregistrés par Yad Vashem. De nombreuses familles et communautés juives ont été totalement détruites par les nazis, ne laissant personne derrière elles pour enregistrer leurs noms comme victimes.

"L'IA nous aide en examinant les témoignages et en extrayant des noms qui sont jusqu'à présent passés inaperçus," a expliqué Allen. "Jusqu’à récemment, nous comptions principalement sur l'intervention humaine, mais ce processus prend énormément de temps."

Chaque année, des millions de documents sont donnés à Yad Vashem, a ajouté Allen. "D'ici trois à cinq ans, Yad Vashem espère atteindre plus de 5 000 000 de noms. Pourtant, à mesure que nous nous éloignons des événements de l'Holocauste, notre travail devient beaucoup plus difficile," a expliqué Alexander Avram, directeur du projet de récupération des noms de la Shoah à Yad Vashem.

Yad Vashem abrite 230 millions de pages de documents textuels, en plus de plus d'un demi-million de photographies. Cet été, des archives permanentes et souterraines,  de six étages, seront ouvertes au public.

Le terme "intelligence artificielle" est largement utilisé mais sa signification n'est pas bien comprise. Avant le déploiement d'un modèle d'IA à Yad Vashem, les chercheurs ont dû déterminer comment trier les noms figurant sur leurs listes datant de la guerre grâce à l'IA, a expliqué Roth.

"Notre première étape a été d'identifier et de comprendre la base de données de reconnaissance des entités nommées (NER) et l'extraction des relations," a déclaré Roth. "Nous avons formé un modèle SPAcY. Ce modèle, combiné à des techniques de correspondance de modèles, a donné un taux de précision impressionnant dépassant 95 %," a-t-elle ajouté.

Alors que la technologie du musée consistait autrefois en des classeurs noirs contenant des pages de témoignages, le personnel déploie désormais des outils d'IA qui étaient impensables il y a une génération.

"Pour renforcer encore la fiabilité et la précision de notre modèle, nous avons intégré un code logique substantiel, en étroite collaboration avec des experts en contenu de Yad Vashem," a précisé Roth.

L'outil d'IA primé développé par Roth et ses collègues a donné des résultats remarquables dans le cas d'un survivant connu auparavant uniquement sous le nom de Swajlach, un vétérinaire lituanien.

"Swajlach était marié à Eta Grudzanski, qui a été assassinée en 1941 à Jurbarkas," a expliqué Avram. "Ce témoignage fait également référence à six autres membres de la famille Grudzinski, très probablement des proches d'Etele," a-t-il ajouté.

Swajlach et sa femme ont été assassinés par des "locaux" lituaniens, a-t-il poursuivi. Personne n'a jamais rempli de pages de témoignage pour les proches du couple, mais l'outil d'IA de Yad Vashem a connecté la famille Grudzinski à Swajlach grâce au témoignage de Lichtenstein.

"Grâce à [l'IA], ces noms peuvent désormais être ajoutés à la base de données afin que nous puissions restaurer une identité de l'oubli de l'Holocauste, et également donner une meilleure image de qui ils étaient avant qu'ils ne soient victimes de l'antisémitisme," a conclu Avram.