Raphaël Enthoven, interview exclusive

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Crédit photo : copyright :© A Prime Group - G. Figuérola

Rencontre avec Raphaël Enthoven , philosophe, écrivain, passionné par les médias et la radio. Il intègre brillamment  l'Ecole Normale supérieure. On le retrouve aujourd’hui narrateur pour Primo Levi. "Si c’est un homme" est un récit autobiographique de Primo Levi, relatant son expérience de survivant du camp de concentration d’Auschwitz. Le roman est écrit entre 1945 et 1947.Le livre est publié confidentiellement en 1947.

Raphaël Enthoven interview , pour ALLIANCE 

Nathalie ZADOK : Pourquoi avez-vous choisi la lecture du livre de Primo Levi ? Pourquoi cet ouvrage ?

Raphaël ENTHOVEN : Tout simplement parce que l'on me l'a proposé.

À vrai dire, je n’y avais pas pensé, mais en revanche j’ai accepté immédiatement, sans hésiter !

Cela me semblait une chose impossible, une sorte de quadrature du cercle, je ne savais pas où placer ma voix devant une telle œuvre, ni comment faire pour ne pas recouvrir le texte du sens que j’avais envie de lui donner...

Nathalie ZADOK : Vous dites, je vous cite "c’est le plus important livre témoignage sur la Shoah", pourquoi ?

Raphaël ENTHOVEN : C’est le premier ! C’est celui qui donne le la, c’est celui qui dit ce qui convient d’en penser ou plus exactement ce qu’il convient d’en savoir.

C’est un livre qui est écrit très vite, paru très tôt et qui conserve le souvenir le plus précis de ce qui  s’est passé et par là même, restitue cette tragédie avec plus de présence et de précision. Il était donc essentiel, à mon avis, qu’un tel ouvrage fût le premier.

Nathalie ZADOK : Dans cet ouvrage, Primo Levi souligne que du côté des résistants, tous ne sont pas « si bien que cela » que pensez-vous de cette vision du livre ?

Raphaël ENTHOVEN : On peut être une crapule et un héros. Et les circonstances donnent, parfois, aux misérables l’occasion de se conduire de façon magnifique.

Nathalie ZADOK : Vous dites  "le problème des nazis ne sont pas leur inhumanité mais leur humanité», comment l'expliquez-vous ? Par son absence ?

Raphaël ENTHOVEN : Les nazis sont des humains. C’est bien le problème ! Les tenir pour des monstres est une façon commode de se désintéresser de ce qu’ils ont fait. L’une des leçons , si «leçon » il y a, d’un tel moment de l’Histoire, est que rien de ce qui est monstrueux, n’est étranger à l’humanité. 

Nathalie  ZADOK : Est-ce que vous pensez que l’écoute est un moyen plus simple pour rendre la culture plus accessible ?

Raphaël ENTHOVEN : Ecoutez, ce que je sais, c’est qu’il est difficile de lire des livres !

D’ailleurs, il est facile d’en parler, difficile de les lire, et il est plus facile d’en parler quand on ne les a pas lus ! (rires) . L’ambition de cet enregistrement était aussi de donner à entendre ou à vivre, à éprouver même, ce texte, pour des gens qui n’auraient tout simplement pas le courage d'ouvrir l’objet-livre, bref, d’en étendre la parole. (ndrl ; si c'est un homme 213 pages)

Nathalie ZADOK : Primo Levi se serait suicidé pourtant un doute persiste sur sa fin prématurée. Il a fait de ces résistants des personnes « vivantes ».Dans quel but à votre avis ?

Raphaël ENTHOVEN : Je ne sais pas s’il en a fait des personnes vivantes. Primo Levi n’est pas Marcel Proust. Ce qu’il conserve, il le fige. Primo Levi n’a pas rendu la vie à ceux dont il parle, en revanche il leur a rendu un souvenir et une place dans la mémoire collective. C’est toute la différence entre Si c’est un homme et A la recherche du temps perdu : le premier empêche de mourir deux fois, le second rend la vie.

Nathalie ZADOK : « Je suis Juif parce que le sort a voulu que je naisse Juif. Je n'en rougis pas et je ne m'en glorifie pas. Etre Juif pour moi, c'est une question d’identité, une  identité à laquelle , je dois le préciser,  je n'ai pas l'intention de renoncer  "Une phrase forte du livre, une véritable force que le juif puise dans la Thora. Êtes-vous d’accord avec cette définition ?   

Raphaël ENTHOVEN : En vérité, je n'ai jamais su ce qu’être Juif signifiait et j’en parlais un jour à un ami qui m’expliquait que le meilleur signe de mon propre judaïsme était que je continuais de m’interroger sur ce que c’était « qu’être Juif». Il y a un texte de Vladimir Jankelevitch (« ressembler dissembler ») dans lequel, tout en faisant droit à la conception sartrienne du Judaïsme (« si le Juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait ») Jankelevitch envisage la possibilité d’un judaïsme substantiel, imposant d’assumer (de mémoire) « la difficulté d’être diffèrent ». Même s’il m’arrive d’avoir confusément l’impression « d’en être », je n’ai jamais su quel contenu métaphysique donner à cette seconde dimension du Judaïsme. La seule personne qui soit plus mal placée que le non-juif pour répondre à une telle question, c’est le juif lui-même.

Nathalie ZADOK : A votre avis comment Primo Levi a pu parler de cette période si terrifiante avec autant de sang-froid et de lucidité ? Etait-ce nécessaire afin de ne pas noyer la narration par l’émotion ? Fallait-il afin qu'il soit entendu extraire le texte de l'émotion normalement ressentie devant de telles circonstances ?

Raphaël ENTHOVEN : Je ne suis pas d’accord. Il y a des passages absolument bouleversants (et surtout bouleversés) dans ce livre. Mais il est vrai qu’il prend soin de la mettre suffisamment en sourdine pour qu’elle ne recouvre pas ce qu’il doit dire, et qui est bien plus important que lui-même.

Nathalie ZADOK : Pensez-vous ,comme beaucoup ,qu’il est indigne pour les  Juifs de voter le FN ? Que pensez-vous de ce parti en regard de l’histoire et notamment celle commentée par Primo Levi ?

Raphaël ENTHOVEN : Que le FN tente de capter le « vote juif » en spéculant sur l’islamophobie, c’est de bonne guerre. Le Judaïsme n’a jamais immunisé contre la tentation de voter de travers, c’est-à-dire avec ses tripes. Ce qui est intéressant, cela dit, c’est la mémoire courte de ceux qui votent pour un parti dont le fondateur est ouvertement négationniste.

On a longtemps fait à Jean Marie Le Pen le procès de dire que 6 millions de morts étaient un point de « détail ». Mais Le Pen n’a jamais dit cela. Pour une raison simple : il n’y croit pas.

Le Pen a mis sur le même plan (au titre d’une différence qui lui semble un « détail ») le fait d’être gazé et le fait d’être abattu sur le champ de bataille. A ses yeux, tout cela fait partie des horreurs de la guerre.

Or, il est essentiel d’établir fermement une différence entre les deux façons de mourir. Mourir dans une chambre à gaz, ce n’est comme mourir au combat. Votre assassin n’a pas la liberté de se dire « c’était lui ou moi » car la raison pour laquelle il vous élimine relève d’une décision absolue, qui n’engage pas sa survie mais votre existence.

En tenant pour un « point de détail » le mode d’extermination des juifs, Jean-Marie Le Pen permet à quiconque l’écoute de mettre sur le même plan les deux dimensions parfaitement incommensurables du crime métaphysique et de la légitime défense. A ce compte-là, aucun génocide n’est pensable.

Nathalie ZADOK : Vous avec récemment reçu à Europe 1 Nicolas Sarkozy. Après les résultats du premier tour nous avons assisté à une victoire écrasante du FN dans les principales régions de France, notamment pour les régions du PACA et du Nord,  puis à un  barrage massif des médias et des politiques de droite et de gauche.

Ne pensez-vous pas que c’est une façon de dénigrer le choix de vote des français qui ont choisi de voter FN et encore plus généralement ne pensez-vous pas que c’est anti- démocratique ?

Raphaël ENTHOVEN : L'idée d’un front républicain n'est pas anti-démocratique ! Pour le Front national c'est un « petit arrangement entre amis » qui veulent maintenir le système dont ils seraient les bénéficiaires. Grosse erreur ! Le Front républicain, c’est (au contraire) pour la gauche et la droite l'occasion de mettre de côté leurs intérêts partisans au profit de valeurs communes qui relèvent de l'intérêt supérieur de la nation. Nicolas Sarkozy a eu tort de ne pas appeler au retrait des listes LR qui étaient arrivées en troisième position. Et d’autant plus qu’il a fait la campagne sur le thème « nous sommes républicains avant tout et nos adversaires sont socialistes avant d’être républicains »... En l’occurrence, c’est la gauche qui a fait son devoir républicain.

Nathalie ZADOK : Est-ce que l’Islam radical est le nouveau fascisme du 21eme siècle, peut-on le comparer au nazisme ?

Raphaël ENTHOVEN : A tous égards. Même haine absolue. Même démonisation. Même envie, en somme. Avec une nuance, peut-être : l’antisémitisme des intégristes est teintée d’une antique détestation religieuse. Au procès d’intention classique des juifs qui dominent le monde s’ajoute la vieille rancoeur d’un dogme pour un autre. « Tu es juif, et je suis mahométan, autant dire que nous sommes tous les deux bien crédules... » écrit Rica à Nathanaël Levi (médecin juif à Livourne) dans les Lettres Persanes.

Nathalie ZADOK : Que pensez-vous du regard sur Israël ? 

Raphaël ENTHOVEN : « L’antisionisme est la trouvaille miraculeuse, l’aubaine providentielle qui réconcilie la gauche anti-impérialiste et la droite antisémite ; l’antisionisme donne la permission d’être démocratiquement antisémite. » C’est Vladimir Jankélévitch qui le dit, et il est difficile de lui donner tort. Même s’il est odieux de taxer d’antisémitisme quiconque s’en prend à la politique israélienne, il serait faux de ne pas tenir un certain antisionisme pour l’alibi d’une haine fondamentale.

Nathalie ZADOK : Comme Finkielkraut pensez-vous que  le djihad est un passage obligé  pour tous les musulmans ?

Raphaël ENTHOVEN : Je ne savais pas qu’il avait dit ça. Si, par « Jihad », Finkielkraut désigne l’art de faire, en soi-même, la guerre à toutes les idées reçues (sens premier du mot), s’il désigne le dialogue que tout âme doit avoir avec elle-même pour ne pas durcir comme la pierre au contact du réel, alors il a raison de le tenir pour un devoir. Si, par « Jihad », il désigne simplement le dévoiement de cette idée magnifique en guerre sainte, alors non ça n’a aucun sens.

Nathalie ZADOK : Selon vous quel est concept du bonheur dans notre monde d’aujourd’hui ?

Raphaël ENTHOVEN : Avez-vous jamais été heureuse sans qu’une petite voix vous susurre à l’oreille : "Dépêche-toi ça va pas durer" ? Etre heureux, c’est regretter déjà de ne plus l’être bientôt. Faire du bonheur le but de l’existence, c’est la soumettre à l’arbitraire et la cantonner aux limites bien étroites d’un monde réduit au besoin qu’on en a. Une « politique du bonheur » est, en cela, toujours dangereuse pour ceux qu’elle prétend y conduire.

Nathalie ZADOK : Pensez-vous que les médias ont « starifié » les terroristes ?

Raphaël ENTHOVEN : Coulibaly n'avait pas besoin de BFM, Youtube suffisait à sa vanité. La médiatisation de soi-même fonctionne comme un Graal concret, comme un paradis véritable et beaucoup plus tangible que le paradis lui-même. Un type veut bien mourir à condition de devenir viral. Ce qui renseigne sur la nature du fanatisme : le fanatisme est une immense impiété (qui considère que D.ieu a besoin d’aide), servie par un orgueil sans limites (D.ieu exaucera dans l’au-delà les désirs de mon corps ici-bas) et un narcissisme impénitent : je vais mourir mais mon image me survivra.

*  Le cofondateur du Front national avait déclaré  que « les chambres à gaz étaient un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » lire l'article

Nathalie ZADOK

Primo Levi

Primo Levi

 

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