L’armée israélienne va bientôt devoir enrôler des hommes ultra-orthodoxes : comment ce processus va-t-il fonctionner ?

Tsahal envisage deux principales options pour recruter des milliers d'étudiants de yeshiva issus de la communauté Haredi dominante : une loterie qui pourrait susciter des réactions négatives majeures, ou une conscription ciblée en marge de la communauté.

La semaine dernière, dans une décision simple mais aux conséquences lourdes, la Haute Cour de justice a ordonné à l’État d’enrôler les étudiants ultra-orthodoxes des yeshivot, mettant fin à des décennies d’exemption massive de service militaire obligatoire pour ces jeunes hommes.

Quelques heures après cette décision, le bureau du procureur général a demandé au ministère de la Défense de mettre en œuvre cette directive, affirmant que « l'obligation de l’establishment de la défense de recruter des étudiants de yeshiva existe déjà le 1er juillet ».

Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

L’armée commencera-t-elle dès lundi matin à envoyer des milliers d’ordres de conscription aux étudiants de la yeshiva Haredi à Bnei Brak, Jérusalem, et ailleurs en Israël ?

La réponse courte est probablement non, du moins pas immédiatement. Cependant, le ministère de la Défense et l’armée israélienne devront établir un mécanisme de conscription permettant de publier rapidement des avis et d’enrôler quelque 4 800 conscrits ultra-orthodoxes au cours des 12 prochains mois.

Interrogé sur la manière dont il compte se conformer aux ordres du procureur général Gali Baharav-Miara, le ministère de la Défense a refusé de commenter.

Le bassin de tirage

La semaine dernière, la Haute Cour a jugé que la loi permettant des exemptions générales du service militaire pour les étudiants des yeshivot Haredi ayant expiré fin juin 2023, il n’existe plus de cadre juridique pour accorder ces exemptions, et l'État doit donc commencer à enrôler ces étudiants.

Actuellement, 63 000 hommes de la communauté Haredi sont éligibles au service militaire et susceptibles d’être enrôlés, selon la décision du tribunal et les ordres du procureur général.

De plus, selon Shlomit Ravitsky Tur-Paz, responsable du programme religion et État à l'Institut israélien pour la démocratie, 14 000 autres jeunes Haredi auront 18 ans cette année et seront éligibles au service militaire. Au total, environ 77 000 jeunes Haredi pourraient légalement recevoir un ordre de conscription cette année.

L'armée israélienne a déclaré au procureur général qu’elle pourrait raisonnablement absorber environ 3 000 recrues ultra-orthodoxes supplémentaires cette année, en plus des 1 800 qui s’enrôlent en moyenne chaque année. Le procureur général a donc ordonné à Tsahal de commencer à enrôler 4 800 étudiants de yeshiva. L’armée doit maintenant décider qui recevra les ordres d’enrôlement et qui restera exempté du service militaire.

Sélection aléatoire ou ciblée ?

L’armée a deux options principales : organiser une loterie parmi ceux qui sont éligibles à la conscription, ou recruter les jeunes hommes les plus susceptibles d’accepter l’enrôlement, c’est-à-dire ceux de la communauté Haredi moderne et des yeshivot pour décrocheurs.

La mise en place d'une loterie risquerait de provoquer une confrontation avec la communauté ultra-orthodoxe si les jeunes hommes des yeshivot d’élite étaient enrôlés. L’alternative, selon Ravitsky Tur-Paz, est de recruter parmi la communauté Haredi moderne et les yeshivot pour décrocheurs, où peu d’études religieuses sont réellement faites.

La communauté Haredi moderne représente entre 11 et 15 % du public ultra-orthodoxe et est plus intégrée dans la société israélienne, ce qui la rend moins hostile au service militaire.
Les yeshivot pour décrocheurs, qui accueillent des jeunes hommes moins intéressés par les études talmudiques, constituent une autre source potentielle de conscrits.

Environ 9 500 étudiants fréquentent ces yeshivot.

Les dirigeants ultra-orthodoxes pourraient être plus enclins à laisser ces étudiants servir dans l’armée, tant que les étudiants des yeshivot traditionnelles sont laissés à leurs études. Cependant, des questions légales subsistent, car l’État doit appliquer la loi de manière égale à tous les citoyens.

Selon Ravitsky Tur-Paz, tant que l'État montre qu'il entend appliquer la loi de manière plus large à l’avenir, la conscription parmi les yeshivot pour décrocheurs et la communauté Haredi moderne pourrait passer l’examen légal à court terme.

L'armée et le procureur général ont indiqué que les 4 800 recrues de cette année ne constituent que la première étape d’un processus de conscription progressif. La question est de savoir dans quelle mesure les dirigeants ultra-orthodoxes sont prêts à résister à la conscription de ce segment de la communauté.

Selon Yisroel Cohen, journaliste et commentateur Haredi, si l'armée cible les segments marginaux des étudiants de yeshiva et ne dépasse pas les 4 800 conscrits cette année, les dirigeants de la communauté Haredi dominante pourraient accepter cette situation.
« S’ils font quelque chose de aléatoire [une loterie], alors il y aura un grave problème », a insisté Cohen.

« Mais le courant dominant Haredi est prêt à donner quelque chose [un certain nombre de conscrits] qu'il estime important... Si cela vient des yeshivot modernes et des yeshivot décrocheurs, je pense qu'ils fermeront les yeux et permettront au ministère de la Défense et au ministère de la Justice de remplir les quotas, mais à partir de la marge. »

« Mais s’ils commencent à rejoindre le courant dominant Haredi… alors cela pourrait provoquer une explosion. »